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Interpréter la charia dans les pays musulmans

Écrit par Annie Wu, La Grande Époque
23.06.2010
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  • Des policiers interceptent une femme à moto parce qu'elle porte des vêtements trop serrés(Stringer: AFP / 2009 AFP)

Lorsque nous entendons parler en Occident d'un homme qui a été condamné en Arabie saoudite pour avoir donner un baiser à une femme dans un centre commercial, nous avons souvent peine à comprendre et trouvons cette réaction plutôt extrême.

Application à la lettre de la loi musulmane (charia) ou interprétation de celle-ci? La charia est le code de règles qui doit régir la vie du musulman. Ces règles sont essentiellement tirées du Coran et des hadiths, recueillant les dires, gestes et enseignements de Mahomet.

La charia influence les codes de lois de la plupart des pays musulmans d'une façon ou d'une autre. Cependant, l'interprétation de celle-ci peut varier grandement entre les États.

Eleanor Abdella Doumato, chercheuse en études de genre et en histoire dans la région du golfe Persique, explique que chaque pays possède son groupe de philosophes qui interprète l'islam à sa manière. Le système légal est donc très particulier selon les régions.

Dans des pays comme le Nigeria, l'État est laïque, mais des tribunaux de la charia pour musulmans sont mis sur pied pour rendre des décisions sur des sujets comme le mariage, le divorce, la garde des enfants et l'héritage.

Dans le cas de l'Égypte, Mme Doumato mentionne que les tribunaux de la charia n'existent plus, mais le gouvernement affirme encore que la charia est la loi qui régit le pays.

Les Afghans incorporent différentes pratiques tribales et coutumes locales dans leur charia qui ne sont pas stipulées par le Coran ou d'autres textes religieux, et la plupart sont discriminatoires envers les femmes, poursuit Mme Doumato.

Application «arbitraire» de la charia

L'aspect le plus controversé de la charia concerne les codes criminels qui prescrivent des châtiments sévères pour certaines infractions.

Dans le cas de l'homme condamné pour avoir donné un baiser sur la place publique, l'Associated Press rapporte qu'il a été arrêté par la police de la moralité. Ensuite, un tribunal l'a condamné à quatre mois de prison et 90 coups de fouet, se basant sur l'interprétation saoudienne de la charia qui «proscrit la socialisation entre un homme et une femme n'ayant pas de lien de parenté».

Mme Doumato explique comment le système de tribunaux de la charia fonctionne en Arabie saoudite : «Il n'y a pas un système de jurisprudence où les juges se penchent sur des décisions précédentes et disent “ce genre de crime mérite ce genre de peine”. C'est un peu n'importe quoi.»

Les peines peuvent être «assez arbitraires», mentionne Mme Doumato. «[La décision émane de] l'opinion du juge particulier qui s'adonne à être d'office lorsqu'un cas est traité.»

De plus, Mme Doumato affirme que ce sont les minorités ethniques ou les étrangers qui écopent des peines les plus sévères.

Au mois de mars, un homme libanais qui s'était rendu en Arabie saoudite pour effectuer un pèlerinage a été condamné à mort pour avoir pratiqué la «sorcellerie». L'individu était un présentateur d'une chaîne de télévision libanaise où il donnait en ondes des «conseils et des prédictions sur l'avenir», ce qui a entraîné son arrestation, rapporte Amnesty International.

Cependant, Dr Ali A. Mazrui, directeur de l'Institute of Global Cultural Studies à Binghamton, New York, affirme que ces peines sévères sont rarement appliquées.

«En réalité, la plupart des pays musulmans n'appliquent pas les châtiments islamiques classiques traditionnels», a-t-il indiqué dans une entrevue avec Voice of America. Il a toutefois fait remarquer que ces pays préfèrent ne pas mentionner cela ouvertement, car il s'agit d'un sujet politique sensible.

«Il ne font qu'éviter les situations où la peine la plus sévère pour le vol est de trancher la main, et celle pour l'adultère est la peine capitale. Ils ne les appliquent tout simplement pas», ajoute Dr Mazrui.

En Indonésie, où la majorité de la population est musulmane, le gouvernement est laïque et autant la charia que le système légal légué par l'ancienne administration coloniale sont en vigueur devant les tribunaux.

Les libertés sociales en Indonésie sont plus respectées qu'en Arabie saoudite. Par exemple, les femmes ne sont pas obligées de porter le voile. La capitale, Jakarta, est cosmopolite avec ses quartiers de divertissement et ses bars. Toutefois, cela pourrait éventuellement changer.

Ces dernières années, les musulmans conservateurs et intégristes ont milité pour l'imposition de restrictions sur les libertés sociales. En 2008, une loi antipornographie est entrée en vigueur, avec une définition de la pornographie qui est assez large. Non seulement les livres et les films pornos ont-ils été bannis, mais les baisers en public et les vêtements trop suggestifs aussi. La loi a été contestée mais, en mars dernier, un tribunal constitutionnel lui a donné son aval.

En 2009, la province d'Aceh a adopté une charia stricte, imposant des peines sévères pour des activités comme la consommation d'alcool, le jeu, l'adultère et le port de pantalons serrés.

En Arabie saoudite, bien qu'il y ait eu certain mouvements de réforme, Mme Doumato estime que les vrais changements ont été minimes.

«Il y a eu certains changements, ce qui rend la vie un peu plus facile aux femmes, [mais] vient ensuite la question : une fois que le système légal accepte le changement, voyons-nous vraiment un changement sur le terrain?» Mme Doumato affirme que c'est difficile à dire.

Les effets de la charia sur les non-musulmans

L'application de la charia dans un État islamique où tous les citoyens ne sont pas musulmans soulève certains problèmes. Au Soudan, où des peines sévères dérivées de la charia sont en vigueur pour les musulmans, elles s'appliquent aussi pour les non-musulmans.

Mohammed Salih, un professeur à l'Institute for Social Studies à La Haye, fait remarquer dans une entrevue avec Voice of America : «Comment distinguez-vous les musulmans et les non-musulmans au Soudan? Lorsque quelqu'un est arrêté par la police et qu'il affirme qu'il n'est pas musulman, c'est très difficile à vérifier [s'il dit la vérité].»

Selon M. Salih, lorsque l'ex-président soudanais Jaafar Nimeiri était au pouvoir (1969-1985), plus de 250 chrétiens du Sud-Soudan ont eu la main tranchée la main en guise de châtiment.

Le professeur ajoute que l'incorporation de la charia au système judiciaire peut confiner les non-musulmans au statut de citoyens de deuxième classe. Lorsque vous acceptez la charia en tant que code légal, cela affecte le concept de citoyenneté, poursuit-il.

«Vous divisez la société en deux : les gens du [Coran] et les non-musulmans. Vous créez une hiérarchie entre les citoyens : les chrétiens, les juifs et les croyants traditionnels. Cette hiérarchie est appliquée au pouvoir, alors si vous êtes musulman, il y a plus de chance que vous ayez plus de droit sous la charia que les non-musulmans. Donc, les implications [de la charia] dépassent le code criminel.»

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