La jeunesse au cinéma

Écrit par Alain Penso, La Grande Époque
27.06.2010
  • Gérard Depardieu et Gisèle Casadesus dans le dernier film de Jean Becker, La tête en friche.(攝影: / 大紀元)

La jeunesse est un thème essentiel au cinéma qui s’adapte à tous les sujets et tous les genres. Elle est le fondement de la narration, se trouve dans le passé et dans l’avenir. Les luttes de tous genres, politiques, intellectuels ou les duels, prennent pour motifs les débordements de la jeunesse, unique responsable du manque de sagesse, de l’absence de sérénité qui ne peut prendre corps que dans le long cheminement que seule permet la vie.

René Clair l’avait bien compris. Avec son humour, doublé de sa réflexion, il avait mis en scène ce très beau film La beauté du diable (1950) où Gérard Philipe abandonnait ses habits de vieux professeur pour retrouver la jeunesse qu’il croyait pourtant définitivement perdue. Sans savoir qu’il s’adressait au diable, il avouait ne rien avoir appris pendant sa vie. Méphisto lui propose un pacte qu’il signera avec son sang. Son âme à sa mort sera sa propriété. Jusque-là, il vivrait une vie heureuse. Dans Doux Oiseaux de Jeunesse de Richard Brooks (1962) avec Paul Newman et Geraldine Page, s’affrontent les deux éléments destructeurs de sérénité, le passé – Paul Newman a été l’amant de la mariée – et le futur, celle-ci va épouser un médecin de renom.

L’histoire dynamise le présent en lui donnant un sens

Ce film tourné cinq ans après la seconde guerre mondiale éclaire sur la réelle ambition de l’homme à rejoindre le clan du bonheur et à réaliser ses ambitions trop longtemps mises sous le boisseau. L’année de la victoire, le 8 mai 1945, est belle. Mais les dirigeants de la France cherchent à faire de l’instant présent un fragment d’éternité. Ils cherchent à éloigner toutes les peurs. Les rancœurs paralysent toutes les actions positives afin de sortir les Français de la nostalgie. Les philosophes grecs prônent qu’on ne peut vaincre la peur de la mort que lorsqu’on est réconcilié avec le présent. En 1985, John Berry tourne Voyage à Paimpol avec Myriam Boyer, son épouse dans la vie. Il utilise non pas un flash-back pour conter l’histoire mais un présent permanent qui font se superposer le présent et une histoire passée devenue une sorte de miel du présent. Cette superposition renouvelle l’art de la narration cinématographique. La sérénité, la jeunesse vient de la maîtrise du passé et de la neutralisation du futur qui peut s’avérer pathogène, s’il n’est pas analysé à la lumière d’un présent maîtrisé. La jeunesse prend sa source dans cette capacité indispensable que seule l’expérience permet d’obtenir.

Roberto Rossellini dans Socrate (1950) explicite tous ces concepts sur la jeunesse. Il est vrai que l’initiateur du néo-réalisme a donné un nouveau souffle à la télévision de la seconde moitié du XXe siècle, renouvelant son langage balbutiant.

La fureur de vivre (1955) de Nicolas Ray avec James Dean et A l’est d’Eden d’Elia Kazan (1955) prennent leur sève dans la vie de James Dean qui après avoir tourné Géant de George Stevens (1955) sera fauché par la mort dans un accident de voiture. Plusieurs générations se reconnaîtront en lui. Il traîne cette déconvenue de l’existence, liée aux résultats exigés dans le futur. James Dean disparaîtra tragiquement, le 30 septembre 1955 à l’âge de 24 ans, au sommet de sa carrière et ayant croisé de grands acteurs et actrices comme Paul Newman, Rock Hudson, Elisabeth Taylor et Nathalie Wood. De prestigieux metteurs en scène tourneront avec lui dont Elia Kazan, fondateur de l’Actors Sudio, Nicolas Ray réalisateur de Johnny Guitare (1955), Joan Crawford et Sterling Hayden. George Stevens, metteur en scène connu pour ses comédies, passionné de sa collaboration avec James Dean, changera de registre et travaillera beaucoup sur les procédés de narration qui sont un remède contre l’oubli. La disparition tragique de son acteur préféré et sa prise de conscience de l’œuvre fondamentale qu’il venait de tourner modifiera désormais et pour toujours son approche du cinéma. Le journal d’Anne Franck (1959), interprété avec fraîcheur par Millie Perkins, confirmera ses intuitions un peu plus tard avec La plus grande histoire jamais contée (1965). Tous ces acteurs exceptionnels et disparus dans des conditions « inacceptables » sont des sortes de « madeleine » marquant des générations entières et dont la fonction ne peut être autre chose que de cautériser psychologiquement les plaies passagères mais douloureuses que le jeune traverse pour se construire. Dans Les 400 coups (1959) de François Truffaut, Antoine Doinel, sous les traits de Jean-Pierre Léaud, vole une machine à écrire dont il ne sait quoi faire, ce qui traduit cette désorientation que rencontre le jeune à l’approche de sa vie d’adulte, ainsi que le cinéaste par la même occasion, devant tant d’émotions à maîtriser, sous peine de ne plus tourner. « Faisons sensible dans une ambiance de froideur  absolue pour que tout puisse fonctionner » s’écrierait le metteur en scène pour diriger son équipe efficacement, comme dans La Nuit américaine (1973). Toute cette jeunesse sacrifiée, de génération en génération : James Dean a représenté toute une jeunesse des années cinquante se remémorant les frères disparus dans toutes les guerres nécessaires, selon les autorités, pour conserver le prestige, la puissance et la richesse du pays. George Stevens veillera à tirer la sonnette d’alarme précisant que l’argent ne pouvait suffire pour entraîner une grande nation dans un destin qui devait être exemplaire.

Patrick Dewaere avait tourné d’excellents films dont les derniers, Série noire d’Alain Corneau (1979), Un mauvais fils de Claude Sautet (1980). Avec Paradis pour tous (1982) son ultime film,  Alain Jessua devra supporter toutes sortes de vexations suivant de peu la disparition de l’acteur Patrick Dewaere qui se donne la mort, le 16 juillet 1982, comme dans le scénario du film, précédé pourtant par Mille milliards de dollars d’Henri Verneuil (1982), un film optimiste pour la carrière à venir du grand acteur et l’excellent Paco l’infaillible tourné en 1979 qui ne sort qu’en mars 1982. Rien ne présageait une fin si tragique à l’aide d’un fusil 22 long rifle que lui avait offert Coluche pour tirer dans des boîtes de conserve. Il se donne la mort, laissant sans voix toute une génération de jeunes orphelines qui avaient les yeux rivés sur lui et qui attendaient de le voir dans Edith et Marcel (1983) de Claude Lelouch avec Evelyne Bouix. Le fils de Cerdan le remplacera au pied levé dans le rôle titre. Il a disparu à l’âge de 35 ans.

Ma biographie de Patrick Dewaere est sortie du vivant de l’acteur. Je la lui ai remise de son vivant, comme il est dit dans l’excellent premier site sur Patrick Dewaere. Ce livre a servi de base de travail à bien d’autres, sans que les différents auteurs ne citent leur source.

La tête en friche pour retrouver sa jeunesse dans Les mains en l’air (2010) de Romain Goupil, le réalisateur situe l’action en 2067 pour, semble-t-il, rendre pertinent son film. Il est vrai que l’enfance est prise à bras-le-corps dans des problèmes qui la dépassent, le problème des papiers pour pouvoir rester dans une stabilité et continuer ses années scolaires sans être perturbée. L’enfance ne doit pas être dérangée, nous disait Freud lui-même, sinon les troubles s’enracinent profondément et il faudra un certain temps, une fois adulte, pour trouver les racines du mal. Les adultes font de la morale pernicieuse, un peu désincarnée de la vraie réalité. Seule Valeria Bruni-Tedeschi, plus vraie que nature, arrive à concilier le fond et la forme que l’aspect science-fiction dérange. L’actrice remet en ordre le temps et projette, sur les adultes présents aux réunions militantes, le besoin de conviction et d’action humaine désintéressée qui fait aujourd’hui défaut face à cette propension devenue presque la règle : la corruption vaut mieux que la passivité et la pauvreté, quitte à ce que ce soit aux dépends des autres. Tristes pensées, heureusement compensées par cette fraîcheur que représente l’enfance. L’adulte peut retrouver sa jeunesse grâce à l’expérience d’une autre vie faite de savoir et disposée à donner à autrui.

Dans La Tête en friche de Jean Becker (2010), Germain, Gérard Depardieu, cinquantenaire presqu’analphabète, mène une vie d’adulte cabossé par une enfance marquée par le manque d’amour, de connaissances et une mère alcoolique détestable : insultante... Il rencontre Germaine, passionnée de lecture, qui lui transmet l’amour de la lecture. Ses nouvelles connaissances perturbent ses copains de bistrots rigolards qui passent leur temps à se moquer. Il reprend le sens de sa vie, restaure sa jeunesse perdue désormais la plus belle. Il voue à cette femme un amour et une reconnaissance délicieuse.

Dans Où vas-tu, Moshé ? d’Hassan Benjelloun (2010) avec Vincent Elbaz, est contée l’histoire de l’immigration juive vers Israël et tous les problèmes psychologiques que cela suppose. L’histoire est d’autant plus exemplaire que la disparition des Juifs pourrait signifier la fin du café où seuls les non musulmans consomment. À travers l’exode des minorités juives, la société marocaine entre dans un processus de déséquilibre : ce que montre le cinéaste avec un certain talent. Hatchi de Lasse Hallstrôm (2010) est un film presque psychanalytique qui cherche l’amour de l’enfance grâce à l’adoption d’un chien. Un chien arrive du Japon par avion et se perd dans une gare. Le professeur Parker Wilson l’adopte malgré les réticences de sa femme. Il devient un personnage à part entière et va régulièrement chercher son maître à la gare jusqu’à ce que survienne une tragédie que le chien portera en lui jusqu’à sa disparition. Les animaux transportent avec eux l’âme de leur maître disparu. C’est ce que montre ce film d’une finesse peu commune. Il montre aussi où se situent les symboles et la jeunesse persistante lorsque les êtres sont faits de finesse parce qu’il y a eu un travail sensible et intellectuel, généreux tout au long d’une vie.

Le retour de la conscience

Quelle qualité peut, mieux que la conscience, redonner du tonus à notre vie et donner le goût de l’air frais ? Dans ses yeux film argentin de Juan José Campanella (2009), vingt-cinq ans après avoir enquêté sur le meurtre d’une jeune femme, Benjamin décide d’écrire un roman sur cette période de sa vie. Il reprend l’enquête et les dossiers, retrouve ses amours perdues ou délaissées par souci professionnel, retrouve son jeune âge, s’habille du passé et le devient. Cela donne une œuvre qui tente d’allier l’enquête à la vie. Il montre, comme Georges Simenon dans ses romans, que la vie et les enquêtes se confondent pour donner une gâterie à consommer avec modération car elle fait mal au cœur et à l’estomac.

Dennis Hopper s’est éteint le 29 mai 2010 à la suite d’une longue maladie, le cancer. C’était un homme sublime, une personnalité exceptionnelle. Il est vraiment marqué par son temps. Dès 1955, il joue dans La Fureur de vivre puis tourne dans un grand western Règlements de comptes à OK Corral (1957) de John Sturges. Ces deux films vont le conditionner, puisqu’il réalisera Easy Riders (1969) qu’il interprétera également, représentant la génération des années cinquante. Dennis Hopper fera un geste de loin à László Benedek qui avec L’Équipée Sauvage (1953) avait représenté, grâce à Marlon Brando, toute une génération des années cinquante. La modernité de ce merveilleux artiste interprète de l’Ami américain de Wim Wenders (1977), d’Apocalypse Now de Francis Ford Coppola (1979) et de cet étrange film de Sam Peckinpah, Osterman Week-End (1983), est d’avoir compris que l’art n’a pas de frontières ni de genres préétablis. Il dessine tout au long de sa vie une idylle dont la forme principale est restée la jeunesse, cet air de nouveauté qui souffle partout.