KIRGHIZISTAN-OUZBÉKISTAN : Des dizaines de milliers de réfugiés ont besoin d’aide

Écrit par IRIN News
30.06.2010
  • KIRGHIZISTAN-OUZBÉKISTAN. Des réfugiés Kyrgyz installent leur tente à la frontière ouzbèke. VICTOR DRACHEV/AFP/Getty Images(攝影: / 大紀元)

Des affrontements entre des groupes ethniques kirghizes et ouzbeks dans le sud du Kirghizistan depuis le 10 juin ont fait au moins 170 morts, blessé 1 762 autres et forcé 300 000 personnes à fuir, selon le ministère kirghize de la Santé et des agences des Nations Unies.

Parmi les 300 000 personnes déplacées figurent environ 75 000 personnes d’origine ethnique ouzbek, qui ont traversé la frontière vers l’Ouzbékistan et ont été enregistrées comme réfugiées, d’après les autorités ouzbeks. Certaines estimations parlent même de 100 000 personnes, qui pour la majorité restent dans des camps aux alentours d’Andijan, la quatrième plus grande ville d’Ouzbékistan, située à 50 kilomètres au nord d’Osh au Kirghizistan, point de départ des violences, à cinq kilomètres de la frontière entre les deux pays.

Les autorités ouzbeks autorisent les personnes âgées, les femmes et les enfants âgés de moins de 18 ans à entrer dans le pays, pour des raisons de sécurité, ont-elles dit. Des rapports suggèrent que des dizaines de milliers d’Ouzbeks attendent toujours de pouvoir passer la frontière.

« Nous craignons qu’à moins que la paix et la sécurité ne soient rétablies très rapidement, davantage de personnes puissent être déplacées dans la mesure où elles fuient les campagnes ou tentent de traverser la frontière vers l’Ouzbékistan », a dit Andrej Mahecic, porte-parole du Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), lors d’un point presse le 15 juin, à Genève.

Quelque 770 000 personnes d’ethnie ouzbek vivent dans le sud du Kirghizistan, soit un peu moins de 15 pour cent des 5,3 millions d’habitants du pays. Edward Luck, conseiller spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour la responsabilité de protéger, a dit que les déplacements massifs d’Ouzbeks « pourraient être équivalents à un nettoyage ethnique ».

Le Secrétaire général adjoint des Nations Unies aux Affaires politiques, B. Lynn Pascoe, et son homologue chargé des Affaires humanitaires, John Holmes, ont appelé le 15 juin à la création d’un corridor humanitaire pour permettre aux Nations Unies et autres organisations humanitaires d’apporter une assistance.

« Il est essentiel que la sûreté et la sécurité des personnels humanitaires soit garantie pour que nous puissions atteindre ceux qui ont besoin [d’aide]. Il est également vital que la frontière avec l’Ouzbékistan reste ouverte. Nous saluons la générosité ouzbek envers ceux qui traversent la frontière, et espérons que cela pourra continuer », a dit M. Holmes, ajoutant que des « Appels éclairs » (flash appeals) allaient être préparés pour venir en aide aux déplacés au Kirghizistan et aux réfugiés en Ouzbékistan.

Assistance de UNHCR

L’Ouzbékistan a demandé l’assistance de UNHCR pour répondre aux besoins des réfugiés. « A la demande des autorités ouzbeks, le premier vol affrété par UNHCR [a été] chargé de 800 tentes légères pour répondre rapidement au besoin grandissant d’abris », a dit M. Mahecic le 15 juin.

Cet avion, de même qu’un autre transportant des fournitures humanitaires provenant de l’entrepôt central de l’agence à Dubaï, a atterri sur l’aéroport d’Andijan, en Ouzbékistan, le 16 juin dans l’après-midi.

Ils constituent les premiers des six avions cargos de UNHCR prévus avant la fin de la semaine pour fournir 240 tonnes de couvertures, matelas, ustensiles de cuisine et bâches plastiques pour abris d’urgence, qui seront ensuite transportés par camions vers les différents sites hébergeant des réfugiés, en coordination avec le gouvernement ouzbek.

« Nous apprécions la collaboration que nous voyons de la part du gouvernement ouzbek pour apporter cette assistance vitale à ceux qui en ont besoin », a dit António Guterres, Haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, le 16 juin. « Il s’agit d’une situation dramatique de réfugiés qui se développe rapidement. Il y a un besoin urgent d’aide ».

Conditions précaires dans les camps

D’après des articles de la presse locale, les gardes-frontières ouzbeks ont laissé les premières vagues d’arrivants de l’ethnie ouzbek entrer en Ouzbékistan et s’installer chez des amis ou des proches dans les villages environnants. Mais à partir du 15 juin, les réfugiés ont été obligés de rester dans des camps de tentes surveillés par la police, dans le cadre de ce qui a été présenté comme une mesure destinée à garder une trace des réfugiés et à éviter des réinstallations illégales en Ouzbékistan.

Les conditions de vie dans ces camps de fortune sont décrites comme précaires. « Il y a déjà des rapports faisant état de dysenteries qui se répandent parmi les enfants dans les camps. Le gouvernement ouzbek lutte pour répondre aux besoins mais il a été débordé par l’énorme afflux de population. Les principaux besoins actuellement sont une aide alimentaire, des kits d’hygiène et des fournitures médicales », a dit Malika Mirkhanova, coordinatrice régionale pour l’Organisation International Medical Corps en Asie centrale, au Caucase et au Moyen-Orient.


Kirghizistan : un fragile équilibre ethnique

La population du Kirghizistan, qui s’élève à 5,3 millions d’habitants, est composé de trois principaux groupes ethniques : les Kirghizes, les Ouzbeks et les Russes. Après l’effondrement de l’Union soviétique, en 1991, le nombre de Russes a diminué, plus particulièrement dans le sud du pays où les migrations internes ont également modifié l’équilibre entre Kirghizes et Ouzbeks.

À l’instar de ses voisins d’Asie centrale, le Kirghizistan présente une population composite depuis le découpage des frontières de la région par Staline dans les années 1920. La plupart des 767 000 Ouzbeks du Kirghizistan vivent dans le Sud, dans la partie kirghize de la vallée de Ferghana, la zone la plus densément peuplée d’une région où les terres sont rares.

Les tensions autour des ressources, et principalement des terres, sont devenues évidentes en juin 1990 lorsque de jeunes Kirghizes ont réclamé des terres qui appartenaient à une ferme collective sur laquelle travaillaient une majorité d’Ouzbeks. Les troupes soviétiques ont rapidement réprimé le conflit.

Osh et Jalal-Abad, deux villes du sud du pays, sont au cœur des récents affrontements. Le gouvernement provisoire, mis en place après le départ du pouvoir de l’ancien président Kourmanbek Bakiev suite aux manifestations de masse d’avril, s’est montré incapable d’asseoir son autorité. Le 17 juin, on dénombrait 191 morts, des centaines de blessés et environ 300 000 personnes ayant fui leur domicile. Quelque 100 000 d’entre eux ont trouvé refuge en Ouzbékistan voisin.

Composition de la population

Avant l’effondrement de l’Union soviétique, en 1991, les Kirghizes étaient minoritaires à Osh, le principal centre urbain du Sud. Historiquement, les Kirghizes étaient principalement des nomades vivant dans les zones rurales, tandis que les Ouzbeks étaient des fermiers, des artisans et des commerçants vivant dans les villes. Les frontières dessinées par Staline, qui séparaient les citoyens des différentes nationalités dans la vallée de Ferghana, étaient principalement administratives et n’avaient pas, en pratique, une grande signification.

Après l’indépendance de 1991, la composition ethnique a considérablement changé. De nombreux Russes sont partis et davantage de Kirghizes se sont installés à Osh pour trouver des écoles et du travail suite à la suppression des subventions agricoles et au démantèlement des fermes collectives. Des tensions sont apparues lorsque les Kirghizes ont commencé à percer dans les métiers traditionnellement exercés par les Ouzbeks, notamment l’artisanat et le commerce.

Au 1er janvier 2009, les Kirghizes représentaient 69,6 pour cent de la population, les Ouzbeks 14,5 pour cent et les Russes 8,4 pour cent. Selon le Comité national des statistiques, parmi les autres groupes ethniques composant les 5,3 millions d’habitants du Kirghizistan, on compte environ 60 000 Dungans (appelés Hui dans le nord-ouest de la Chine, d’où ils ont émigré au XIXe siècle, ils résident principalement dans le nord du pays), environ 52 000 Ouïgours, 48 500 Tadjiks résidant principalement dans le sud du pays et 38 600 Kazakhs résidant en majorité dans le nord du pays.

D’après ce même comité, la population du sud du Kirghizistan était estimée à environ 2 762 700 habitants en 2009 et les Ouzbeks représentaient environ 30 pour cent de la population de cette région. Les Ouzbeks sont cependant majoritaires dans certains districts, comme celui d’Aravan dans la province d’Osh, ou dans les villages.

Politique

Selon certains analystes, la politique des minorités était plus « souple » sous la présidence d’Askar Akaev. Les Ouzbeks jouissaient d’une liberté économique et certains de leurs dirigeants étaient représentés politiquement. Toutefois, ils étaient pour la plupart de riches entrepreneurs, vus par de nombreuses personnes comme davantage intéressés par la défense de leurs intérêts personnels que par l’établissement de liens stratégiques entre l’« establishment » kirghize et la communauté ouzbek.

Kourmanbek Bakiev est arrivé au pouvoir en 2005 après que M. Akaev en ait été chassé suite à des manifestations de masse. Originaire de Jalal-Abad, dans le sud du pays, il a commencé à remplacer certains des dirigeants ouzbeks qui avaient bénéficié d’avantages sous la présidence d’Akaev – dans certains cas, des avoirs et des biens ont été redistribués aux membres du clan de Bakiev.

Après la chute de Bakiev en avril dernier, certains dirigeants ouzbeks, plus particulièrement à Jalal-Abad, ont ouvertement accordé leur soutien au gouvernement provisoire. Depuis l’indépendance, les Ouzbeks s’étaient éloignés de la sphère politique. Selon un analyste basé au Kirghizistan, qui s’est adressé à IRIN sous le couvert de l’anonymat, ce genre de déclaration a donc soulevé l’inquiétude de l’élite politique kirghize.