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Une organisation de façade de Pékin présumée critique le chef du SCRS

Écrit par Matthew Little, La Grande Époque
13.07.2010
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  • L'ex-diplomate chinois Chen Yonglin(Staff: GREG WOOD / 2005 AFP)

TORONTO – Le directeur du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), Richard Fadden, a subi les foudres de la classe politique et de certains groupes et médias après avoir indiqué, en entrevue avec la CBC, que des gouvernements étrangers avaient un ascendant sur des politiciens et des fonctionnaires canadiens. Mais au moins un des groupes qui critiquent le chef du renseignement canadien serait, selon certaines allégations, exactement le type d'organisation qui mène des activités d'influence au Canada.

Le 2 juillet, deux groupes dont l'appui à Pékin est indéfectible, le National Congress of Chinese Canadians (NCCC) région pacifique et la Chinese Benevolent Association of Vancouver, ont tenu une conférence de presse à Vancouver et émis un communiqué conjoint affirmant que M. Fadden devait élaborer sur ses propos au risque d'éclabousser tous les Chinois.

Les organisations ont demandé à Fadden de venir s'entretenir avec elles pour expliquer ses propos et pour qu'il soit au courant de leurs effets dans la communauté chinoise. Elles ont aussi affirmé que ses propos pourraient nuire aux relations Canada-Chine.

Les deux organisations disent représenter les intérêts des Sino-Canadiens, et le NCCC se présente comme un rassemblement d'organisations canadiennes qui font la promotion de l'unité parmi les Sino-Canadiens et les aident à s'intégrer dans la société canadienne.

Mais le NCCC a un passé qui remet en question le rôle qu'il se donne, alors que certains l'accusent d'être une organisation de façade visant à promouvoir les intérêts du Parti communiste chinois (PCC). La Grande Époque a tenté de joindre plusieurs des responsables de ces groupes, mais ils n'ont pas rappelé.

Chen Yonglin était le premier secrétaire du consulat chinois de Sydney, Australie, avant de faire défection en 2005. Il a révélé des documents montrant comment les consulats en Australie et de par le monde coopèrent et utilisent des organisations de façade pour réprimer les groupes dissidents.

Le NCCC et ses équivalents dans d'autres pays trônent au sommet d'une pyramide de groupes mis sur pied par les missions diplomatiques chinoises afin de contrôler et d'influencer la communauté chinoise et le gouvernement canadien, estime Chen Yonglin. Il a fait remarquer que le groupe a vu le jour après le massacre de la place Tiananmen en 1989 afin de rapprocher Pékin et Ottawa.

Chen Yonglin a indiqué que le NCCC faisait régulièrement pression sur le gouvernement canadien afin qu'il adopte des positions favorables au régime chinois et qu'il œuvrait pour rallier les Sino-Canadiens à ces positions.

Les liens du NCCC avec Pékin sont solides et bien documentés. Certains de ses responsables ont des liens avec les médias officiels chinois, et leurs entreprises dont ils sont propriétaires s'appuient sur une relation étroite avec les missions diplomatiques chinoises.

Le travail du NCCC au Canada serait d'un intérêt pour l'agence de renseignements nationale, affirme Michel Juneau-Katsuya, ex-chef du bureau Asie-pacifique au SCRS et coauteur du livre Ces espions venus d'ailleurs.

Il souligne que le NCCC et ses compères sont depuis longtemps soupçonnés par plusieurs agences de renseignements d'être le porte-voix du régime chinois. Le groupe et son directeur canadien, Ping Tan, ont adopté le point de vue de Pékin sur le Tibet, le Falun Gong et le massacre de la place Tiananmen.

Au Canada, le NCCC allègue représenter 280 organisations sino-canadiennes, mais n'a jamais été en mesure de les énumérer et n'a pas tenu compte de plusieurs requêtes de La Grande Époque de le faire.

Lorsque la tenue des Jeux de Pékin en 2008 faisait l'objet d'une controverse en raison de la répression au Tibet, le NCCC région pacifique était parmi les groupes participant à des rassemblements dénonçant le dalaï-lama et les reportages «biaisés» des médias occidentaux sur le sujet.

La Chinese Benevolent Association of Vancouver a organisé des manifestations semblables avant les Jeux. Son président, Mike Jang – dont la signature est apposée sur la déclaration du 2 juillet – avait à l'époque organisé des groupes pour contrecarrer les critiques adressées à la Chine et il avait appelé les Chinois de la diaspora à être sur leurs gardes face au «groupe du dalaï-lama» et aux «forces anti-Chine» afin «d'exposer et d'attaquer leurs conspirations à tout moment».

On a pris connaissance du NCCC à l'échelle nationale en 2005 lorsqu'il a tenté d'obtenir les 2,5 millions de dollars de compensation du gouvernement fédéral destinés aux premiers immigrants chinois victimes de la taxe d'entrée.

Le Conseil national des Canadiens chinois (CNCC), qui selon Michel Juneau-Katsuya ne serait pas suspecté d'être une organisation de façade, a fait pression contre l'attribution des fonds au NCCC.

Tandis que le NCCC affirmait représenter les Sino-Canadiens du Canada en entier, y compris des organisations majeures comme le CNCC, un examen minutieux de l'affaire a révélé que le NCCC ne représentait pas autant de Sino-Canadiens qu'il le prétendait et, dans une lettre adressée au gouvernement fédéral, le CNCC a indiqué que le NCCC avait exagéré les appuis dont il bénéficie.

Les conservateurs ont par la suite annulé le paiement compensatoire destiné au NCCC et ont plutôt compensé les Sino-Canadiens affectés directement par la taxe d'entrée.

Le Département du Front uni

Les efforts du régime chinois visant à utiliser la diaspora chinoise pour faire avancer ses intérêts ont été documentés par la U.S.-China Economic and Security Review Commission. Dans son rapport de 2009 au Congrès, la Commission a souligné le rôle du Département du Front uni chinois.

Le Département du Front uni est subordonné au Comité central du PCC et fait partie d'une opération de renseignements qui existe depuis 1935. Pékin utilise ce département pour rallier la diaspora chinoise à différentes causes sur une base régulière et effectue également la collecte de renseignements, la diffusion de propagande et l'ingérence étrangère.

Le Département organise également la Conférence consultative politique du peuple chinois où Ping Tan, président du NCCC, agissait à titre de représentant canadien en mars 2008. Ping Tan était l'un des 32 représentants étrangers seulement.

Ping Tan a également eu la tâche d'organiser l'accueil offert à plusieurs hauts responsables chinois lors de leurs visites au Canada, notamment l'ex-dirigeant Jiang Zemin et l'actuel dirigeant Hu Jintao.

Dans un article récent, Jonathan Manthorpe du Vancouver Sun décrit les inquiétudes du SCRS concernant le régime chinois et son Département du Front uni.

«En effet, le SCRS a toujours été très ouvert en affirmant croire que le Canada est une cible inévitable de la détermination de Pékin visant à rendre actif des Canadiens susceptibles de recueillir des secrets utiles – concernant spécialement les progrès en technologie – et d'influencer la politique canadienne en faveur de la Chine», écrit-il.

«Un des premiers rapports se penchant sur les efforts chinois visant à exercer une influence sur les autres pays et gouvernements a été rendu public par le SCRS en 1998. Il s'agit d'une étude sur l'utilisation de ce que Pékin appelle le “Front uni” qui vise à modeler l'opinion publique à Hong Kong avant son retour à la Chine en 1997 et ainsi minimiser les craintes de répression.»

De telles activités, selon Manthorpe, peuvent constituer de l'ingérence étrangère.

Fadden ne recule pas

Richard Fadden a dit qu'il regrettait la candeur mais pas la substance de ses propos controversés lors de son apparition devant un comité des Communes le 5 juillet.

Dans son allocution avant la période de questions, il a indiqué que le SCRS avait décidé de soulever le problème de l'ingérence étrangère, car il est trop souvent ignoré.

«En tant que pays, nous ne réfléchissons pas assez aux menaces que sont l'espionnage, le terrorisme et l'ingérence étrangère.»

Tandis que le directeur a affirmé qu'il n'était pas en accord avec la pugnacité des critiques à son égard, il a exprimé son regret d'avoir causé l'émoi par certains de ses propos, notamment ceux indiquant que deux ministres de cabinet provinciaux étaient sous l'influence d'un régime étranger. Il a dit que «de tels détails ne seraient dorénavant pas fournis».

«Ayant dit cela, je ne déroge pas de mon message général sur l'ingérence étrangère. C'est une inquiétude et une menace, c'est plus commun, ici et ailleurs, que beaucoup ne le pensent et il est souhaitable que cette menace soit connue et discutée.»

Plus de 204 720 056 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.