Et si le déficit de l’Assurance Maladie était une question de santé?

Écrit par Laurent Gey, La Grande Époque
03.07.2010
  • La France, premier consommateur de médicaments en Europe, connaît en 2010 un déficit record de 30 milliards d’euros de la Sécurité Sociale. AFP/Getty Images(Staff: AFP / ImageForum)

Le déficit record de plus de 30 milliards d’euros de la Sécurité Sociale pour 2010 montre les limites du système de prise en charge des soins. Ordonnancée en 1945 par le gouvernement provisoire du général De Gaulle, la gestion des soins en France a connu de profondes mutations jusqu’à aujourd’hui notamment avec l’apparition des groupes pharmaceutiques et de la technologie. Au cœur du système de Santé Publique, le concept initial de la santé semble s’être effacé au profit de la médicamentation et  de l’organisation administrative des soins. En remontant dans l’histoire, le concept de la santé se trouve lié au XIXe siècle à la science expérimentale, au Moyen âge à l’Église et dans l’antiquité à la philosophie. Ce « déficit structurel », selon les termes d’Éric Woerth, ancien ministre du Budget, semble indiquer que le système de gestion et de remboursement des soins n’est peut être plus adapté à notre société. Entre imbroglio systémique et perte du savoir, c’est du côté de son histoire que la santé peut nous permettre de comprendre les raisons de la complexification de l’administration de la santé et des moyens de la rendre accessible au plus grand nombre.

Un peu d’histoire

Dans l’antiquité chinoise, la notion de santé était reliée à celle du Tao. Dans le Yijing (le Livre des Mutations), il est écrit que « le fonctionnement de la loi céleste est le plus sain, si l’homme suit cette loi alors il deviendra naturellement fort ». Un médecin très connu de la dynastie Tang, Sun Simiao, avait écrit que « si l’homme a une bonne moralité, sa vie sera longue et heureuse sans qu’il prenne de médicaments ». Dans la Chine antique, être en bonne santé signifiait donc s’appliquer à cultiver son corps et son esprit, discipline aujourd’hui connue sous les termes de Qi Gong. Cette science traditionnelle a d’ailleurs été préservée dans sa quasi totalité jusqu’au milieu du XXe siècle.

Dans l’antiquité gréco-romaine, la médecine était étroitement liée à la philosophie, c'est-à-dire à la raison et à l’état moral de la personne. La philosophie antique était conçue pour soigner l’âme tandis que la médecine soignait le corps. Platon rapproche la médecine d’un art, permettant d’atteindre la beauté et la sagesse. Il définit la cité idéale comme étant la plus à même de procurer le bonheur collectif à ses citoyens. Selon lui, la philosophie détourne l’homme de ses passions susceptibles de le faire souffrir et « l’homme en lequel la raison domine est plus sain que celui qui s’abandonne à la pente naturelle de ses désirs ». Il est étonnant de savoir que les savants de l'Antiquité grecque tels que Pythagore, Thalès de Milet ou Démocrite, connus pour leurs écrits en mathématiques ou en philosophie, sont les fondateurs de la médecine occidentale. C’est d’ailleurs Hippocrate de Cos, considéré comme le père de la médecine moderne, qui au VIe siècle av. J.-C., est le premier à séparer la médecine de la philosophie en en faisant une discipline distincte. Il met au point un système curatif basé sur la théorie des humeurs, dont le but est de rétablir à l'intérieur du corps l’équilibre des quatre éléments terre, eau, air et feu. Il est le premier à catégoriser les états extérieurs du mal être et à utiliser la nature pour fournir des soins palliatifs. Il préconise le repos et l’immobilisation ainsi que des conditions de propreté afin d’éviter aux patients des infections. Il classe les maladies en fonction de symptômes aigus, chroniques, endémiques, épidémiques et décrit les premières procédures du diagnostic médical et du traitement chirurgical.

La médecine connaît au Moyen âge un changement méthodologique au sein de la société. Après l'effondrement de l'Empire romain en Occident, l'enseignement de la médecine devient limité aux structures religieuses et les écrits des auteurs antiques sont perdus et dispersés. La médecine devient alors dépendante de l'église catholique qui s'approprie entièrement la pratique médicale et met en place les premiers hôpitaux. L’hôpital a alors pour mission de recueillir les pauvres et de prendre soin du nécessiteux par amour de Dieu. Ce n’est qu’au XIIe siècle que les facultés et les universités de médecine font leur apparition. Un retour aux textes antiques est suscité par les premiers résultats des études expérimentales, principalement dans le domaine de la dissection et de l’anatomie.

La médecine moderne, qui remonte au milieu du XIXe siècle, est marquée par l’apparition des sciences fondamentales. Le développement des techniques d'investigation du corps humain modifie considérablement la connaissance médicale. La médecine se détache définitivement de la philosophie et de l’Église pour entrer dans l'ère moderne. Une somme colossale de connaissances et de découvertes médicales est accumulée en un siècle. L'examen clinique, la radiologie, l'anesthésie et la chirurgie bouleversent le pronostic médical. Avec le développement des techniques médicales, les concepts de la santé et de la médecine se sectorisent jusqu’au début du XXe siècle en un ensemble de disciplines distinctes, telles que la médecine générale, la cancérologie, la cardiologie, la bactériologie, la neurologie, la psychiatrie, la pédiatrie, la gériatrie, la rhumatologie, la dermatologie, l’immunologie, la toxicologie, la médecine urgentiste, etc.

Le bilan de la santé après  1945

A partir du milieu de XXe siècle, la médecine connaît de grands bouleversements. Dans le contexte de la Première et de la Seconde guerre mondiale, l'industrie du médicament s'est dotée de moyens considérables permettant de produire des substances naturelles ou de synthèse. Pour répondre aux besoins des hôpitaux en agents antibactériens pendant la guerre, la fabrication industrielle de la pénicilline dès 1943 amorce une ère thérapeutique nouvelle avec l’apparition des premiers antibiotiques destinés aux traitements bactériologiques. En 1945, le gouvernement De Gaulle met en place la Sécurité sociale en ordonnançant la fusion de toutes les anciennes corporations. Mutualité et solidarité nationale deviennent alors les maîtres mots pour panser les maux d’une société meurtrie par deux guerres mondiales. La santé devient un droit social et l’ensemble des prestations mutualistes est généralisé, sans toutefois remettre en cause les structures et les principes de base. Le Préambule de 1946 de la Constitution de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) définissait alors la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social ».

Depuis l’Assurance Maladie est fondée sur le principe de la prise en charge du risque individuel par la collectivité. Pour mettre ce principe en application, un système de gestion administrative a été mis en place sous forme de caisses d’Assurance Maladie réparties par régimes. Devant la quantité d’informations créée par les différents types de régimes, de remboursements, d’interventions médicales, de campagnes de vaccination, de nouveaux médicaments, etc., le système de remboursements des soins s’est irrémédiablement complexifié. Il a été complètement informatisé auprès du grand public à partir de 1996 avec la mise en place de la carte vitale. Cette informatisation de la gestion des soins a permis une externalisation des données de toutes les prestations entre le médecin, le pharmacien, la caisse d’allocations et le patient, donnant ainsi la main à des informaticiens sur le système de gestion des soins. Par souci économique, la gestion des soins de santé s’est retrouvée attribuée à des boites de consulting privées, très loin des aspirations sociales et bienveillantes de la médecine traditionnelle, et accentuant encore l’imbroglio systémique et le labyrinthe administratif.

En fin de compte, on observe aujourd’hui d’une part la centralisation de la gestion des soins de santé, et d’autre part un déficit de l’Assurance Maladie qui est devenu endémique, signe que les structures et les principes de base du système semblent devenir non maîtrisables ou non applicables par des outils administratifs et informatiques. À cela, l’histoire du concept de la santé apporte des éclaircissements quant à la définition d’être en bonne santé et des nouvelles méthodes permettant d’y faire accéder le plus grand nombre.

Les perspectives pour demain

Aujourd’hui la France est devenue le premier consommateur de médicaments en Europe, le deuxième à l’échelon mondial derrière les Etats-Unis. Le poids de l’industrie pharmaceutique, qui consacre trois milliards d’euros à la promotion de ses produits, incite les médecins à prescrire des médicaments récents, pas forcément innovants et plus chers. L'art de guérir s’est, semble t-il, éloigné du concept de la santé en tant que bien-être accessible à tous. On observe que la médecine a connu de grandes avancées scientifiques en même temps que sa terminologie s’est complexifiée. En élargissant le champ de recherche de la santé, il serait intéressant de regarder son histoire en dehors de l’Europe. Le meilleur exemple en serait les méthodes de santé venant de la Chine ancestrale et des résultats de guérison spectaculaire observés chez des personnes pratiquant le Qi Gong. Des recherches scientifiques récentes montrent également les liens entre une bonne santé et le respect de valeurs morales, ceci ouvrant de futures pistes vers de nouvelles méthodes de soins basées sur l’éducation morale et et le bien être du corps et de l'esprit.

 

Voir aussi:

La musique, l’ancêtre de la médecine

http://www.lagrandeepoque.com/LGE/Arts-et-cultures/La-musique-lancetre-de-la-medecine.html