Héla Fattoumi : du voile islamique au free jazz

Écrit par La Grande Époque
05.07.2010

  • Héla Fattoumi, lors de sa performance au Festival du Jazz sous les Pommiers.(攝影: / 大紀元)

Un mois après son spectacle «Manta» au théâtre de la Cité internationale à Paris, Héla Fattoumi change d'air au Festival du Jazz sous les Pommiers. La jeune directrice du Centre chorégraphique national de Caen, a eu très tôt une reconnaissance internationale avec le 1er prix au Concours chorégraphique international de Bagnolet en 1990 qu'elle a partagé avec Éric Lamoureux. Depuis le couple a créé de nombreuses chorégraphies défiant parfois les limites du corps et traitant souvent des différences culturelles, du rapport entre le collectif et l'individu et d'autres thèmes tournant autour des phénomènes sociaux.

 

Héla Fattoumi a l'habitude d'être à l'écoute de l'autre. Au festival du Jazz sous les pommiers, elle collabore avec Laurent Dehors, musicien polyvalent. La danseuse-chorégraphe et le musicien sont arrivés au spectacle avec quelques idées qui se sont développées au fur et à mesure de leur rencontre. Le spectacle était de la pure improvisation, elle n’avait pas vu l’espace avant de débuter la scène!

 

Mais ils ont plongé dans l'inconnu, lui, explorant les sons avec joie et elle, explorant les possibilités de ce nouvel espace qui s’offrait à elle. Comme dans toute improvisation qui se respecte, le geste suit la musique et vice versa: «Quand Héla danse je lis une autre partition, oui on est très influencé par le mouvement, la forme et le geste», nous dit Laurent Dehors.

Héla Fattoumi, de son côté, essaye de ne pas être en «fusion» avec la musique.

 

«S'il y a un enjeu c'est celui de réussir à être ‘geste total’. Au moment ou tu fais, tu dois être complètement dans cette chose-là, sans anticiper ce qui va venir, sans être en train d'analyser ce que tu viens de faire, être vraiment dans chaque instant, garder le vivant», dit la danseuse.

Le dialogue ludique qu'elle mène avec Laurent Dehors change de l'ambiance oppressante de son dernier spectacle «Manta» qu'elle a interprété un mois auparavant à Paris.

 

«Manta» a été conçu pour le Festival de Montpelier 2009 en collaboration avec le chorégraphe Éric Lamoureux avec qui elle travaille depuis 1987. Dans cette création, la danseuse ne ressemble pas à la jeune femme espiègle qu’elle est avec Laurent Dehors. Affublée d’un voile et seule sur scène, elle explore la relation du voile au corps, du corps au voile, du niqab ou nijab: le voile (intégral) des femmes musulmanes.

 

Comment passe-t-on de la spontanéité au voile islamique? C’est la question qu’on se pose spontanément. «Ce sont deux choses très distinctes, mais le projet de ‘Manta’ était de faire une expérience purement corporelle», dit la danseuse née en Tunisie. «Moi qui ne suis pas une femme voilée et qui ne l'ai jamais été, en tant que danseuse, cela m'intéressait de voir quel corps, quelle sensation cela procure, quelle perception de l'extérieur, de l'espace que l’on peut avoir et comment on a envie de bouger ou pas, à l'intérieur de ce vêtement symbole, vêtement prison quand même, et la réponse du spectacle est assez simple.»

 

Sous le nijab il est difficile de deviner le corps et Fattoumi joue avec les éléments cachés. Où est la tête? Où sont les fesses? Devant? Tout se mêle, et voilà soudain une paire d'yeux. Des images incompréhensibles troublantes. «C'est un travail sur tout ce qui est interdit, caché, et sur tous les fantasmes que ça peut déclencher.»

 

L'idée était de proposer aux spectateurs de s'interroger avec la danseuse sur la complexité de ce cloisonnement à travers des images fortes, qui visent «à amener le public à réagir aussi sans être du tout dans la provocation, mais de partager des visions qui sont clairement des visions d'empêchement d'enfermement». Sur scène la femme trouve finalement sa liberté et arrive à un épanouissement. Elle retrouve enfin son corps d’abord étouffé par le poids du tissu. Et son chemin aboutit dans «une danse et dans une chanson d'ouverture». Manta traite du nijab, mais aussi de la libération de la femme: «Il y a un moment ou je fais des tâches domestiques, je plie et je plie des tissus».

 

Née en Tunisie, Héla Fattoumi est familière avec la tradition musulmane. Pourtant le voile intégral est un objet étranger pour elle qui n'a jamais fait partie de son vécu.

 

«J'ai été élevée dans une culture arabo-musulmane. J'ai toujours connu la tradition arabo-musulmane qui tente toujours de visser, ce qu'on appelle visser les jeunes filles, parce que l'on a toujours peur qu'elles perdent cette fameuse virginité, cette histoire de la ‘vertu’, etc. Sans le voile, c'était plus dans l'éducation mais sans avoir à cacher, à obliger, à attacher le corps. Si je me suis intéressée à cette problématique c'est parce que depuis dix ans il y a de plus en plus de femmes qui se voilent pour des raisons soi-disant religieuses, mais moi je crois qu'il y a beaucoup d'intégrisme, des choses qui sont liées à l'Islam fondamentaliste et qui n'ont rien avoir avec l'Islam tel que ma grand-mère, ma mère l'ont vécu. Moi je viens d'un pays, la Tunisie, où il n'y a jamais eu cela. On ne l'a jamais porté, personne ne l'a porté. Maintenant il y a des jeunes dans ma famille qui le portent, qui se voilent, et pour moi il y a une grande violence et une grande incompréhension à faire qu'en 2010 il pourrait exister des jeunes femmes dans le monde arabe, et pire - dans le monde occidental - qui revendiquent et qui veulent absolument porter ce vêtement.