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Une guerre de mots à sens unique survient entre Pékin et Washington

Écrit par Matthew Robertson, La Grande Époque
30.08.2010
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  • Les marines coréene et américaine participent à un exercice naval conjoint le 27 juillet 2010. (Handout: Handout / 2010 Getty Images)

Tandis que les États-Unis ont cherché, dans un récent rapport du Pentagone et à travers différentes déclarations publiques, à adopter une approche conciliante envers la Chine, les médias officiels chinois réagissent avec agressivité et même de manière belliqueuse.

Des analystes ont émis plusieurs hypothèses pour expliquer la rhétorique du régime chinois : le Parti communiste chinois (PCC) joue la carte du nationalisme pour renforcer sa légitimité; il profite de l'approche conciliante de Washington pour marquer des points sur l'échiquier géopolitique; ou l'Armée populaire de libération (APL) cherche à accroître son influence auprès des dirigeants chinois.

Approche conciliante

Les responsables américains de la Défense ont pris soin d'éviter tout battage politique en discutant du rapport du Pentagone sur la puissance militaire de la Chine publié à la mi-août. Un haut responsable, en s'adressant aux journalistes, a souligné que la publication était «de nature très factuelle […] le ton du rapport et nos efforts dans son écriture visaient à être très, très droit au but, factuel, descriptif et analytique...»

Certains ont même qualifié le rapport de trop mou. Après un embargo de cinq mois sur sa publication imposé par l'administration Obama, et après le changement de son titre par le Congrès (de Puissance militaire de la République populaire de Chine à Développements dans les champs militaires et de sécurité impliquant la République populaire de Chine), des experts en défense estiment que le rapport dérive beaucoup trop et manque de substance lorsque vient le temps d'aborder les conséquences de ses propres trouvailles.

«On rapporte que le Conseil sur la sécurité nationale jugeait que l'information était trop provocatrice», indique Michael Mazza, chercheur principal associé avec l'American Enterprise Institute, en entrevue avec La Grande Époque.

Des messages du Département de la Défense diffusés dans les médias adoptent un ton similaire. Les grands titres indiquent : Gates exhorte à des relations militaires sino-américaines positives et Les États-Unis veulent reprendre les échanges militaires avec la Chine.

«Il semble que l'administration peine encore à se réconcilier avec sa politique sur la Chine», mentionne M. Mazza.

Après avoir oscillé entre une approche conciliante et une autre plus ferme face à la Chine ces derniers mois, les États-Unis ont récemment eu du mal à projeter leurs intentions pacifistes.

«Les États-Unis se sont engagés […] à la poursuite d'une relation positive, coopérative et exhaustive avec la Chine», a spécifié un haut responsable de la Défense lors d'un point de presse.

La récente publication du rapport militaire entre dans le moule de la politique du «réconfort stratégique», un pilier de la politique étrangère de l'administration Obama visant à accommoder Pékin et lui garantir que Washington est un partenaire.

Toutefois, le PCC pourrait considérer que le ton conciliant des États-Unis représente une occasion pour adopter une rhétorique et un comportement plus agressifs, selon Michael Mazza.

Tendances nationalistes

Après que les États-Unis ont annoncé leur intention de procéder à des exercices militaires avec la Corée du Sud dans les eaux internationales de la mer Jaune – qui ont débuté le 16 août dernier – les éléments nationalistes en Chine ont fortement réagi.

Le journal Huanqiu, imprimé par l'organe officiel du Parti communiste, le Quotidien du peuple, a ouvert la voie de la rhétorique belliqueuse. Un article publié le 13 août portait le titre Abandonnons complètement les illusions à propos des États-Unis! Le plus gros obstacle à la montée de la Chine est les États-Unis».

Le contenu de l'article, qui n'était pas signé, était fidèle au titre. Il était écrit que l'envoi de navires américains dans la mer Jaune était une provocation directe visant la Chine, peu importe les déclarations indiquant le contraire. «En faisant cela, les États-Unis ont déclaré publiquement que la Chine est un ennemi important», concluait l'article dans le premier paragraphe.

Cette sensibilité pourrait découler de l'élargissement de la définition de ce que comprennent les «intérêts fondamentaux» du Parti communiste, intérêts qui jusqu'à récemment se référaient essentiellement à la question du Xinjiang et du Tibet. Le PCC veut désormais inclure la mer Jaune et la mer de Chine méridionale dans le manifeste de ses intérêts fondamentaux, selon une analyse du spécialiste Willy Lam, de la Jamestown Foundation.

Alors que le Parti a élargi les intérêts fondamentaux de la Chine dans les eaux internationales – allant jusqu'à inclure toute la péninsule coréenne, selon les médias sud-coréens – les incursions des États-Unis sont perçues avec une animosité extrême. «Puisque le Pentagone insiste à faire de la Chine son rival militaire, la Chine n'a pas d'autre choix que de devenir un adversaire qualifié : nous devons laisser savoir aux États-Unis qu'ils doivent payer un fort prix pour leurs erreurs stratégiques», assène l'éditorial du Huanqiu.

Il n'est pas clair à quel point les opinions du Huanqiu représentent ceux des dirigeants du PCC. Selon des analystes des médias chinois, il ne s'agit pas d'un organe officiel du Comité central du Parti.

Les propos belliqueux sont peut-être aussi une manière pour le PCC de conserver sa crédibilité auprès de la population, selon M. Mazza. Dans un contexte de pressions et de troubles domestiques, «le PCC doit s'appuyer davantage sur l'élément nationaliste afin de garantir sa légitimité, et je crois que de là proviennent certains des commentaires plus cinglants», explique-t-il.

L'émergence de l'APL

Des personnalités importantes de l'appareil militaire chinois ont exprimé des opinions similaires à celles publiées dans le Huanqiu, certaines allant même plus loin.

Pendant deux jours après la publication du rapport du Pentagone, le PLA Daily, l'organe officiel de l'Armée populaire de libération, titrait : Opposition résolue au rapport américain sur les forces armées chinoises, selon le porte-parole de la Défense.

Le dernier paragraphe de l'article, repris dans les médias officiels importants, «exige» que les États-Unis se penchent «objectivement et équitablement sur le développement militaire de la Chine», qu'ils cessent avec leurs «propos et actions qui nuisent à la relation sino-américaine et à la confiance militaire» et, finalement, que la publication du «soi-disant» rapport soit simplement annulée.

Le colonel Dai Xu de la force aérienne, probablement le faucon le plus radical en Chine, a écrit un éditorial pour l'agence officielle Xinhua (Chine nouvelle) le 5 août, intitulé : Utiliser la puissance du pays pour envoyer un message et contre-attaquer est la seule manière de se faire respecter par les États-Unis».

Selon le colonel Xu, «Les États-Unis ont continuellement livré des guerres et cherché des adversaires. Tel est l'état normal de son développement sociétal. Sans guerre, l'économie américaine perd son impulsion.»

«Les États-Unis n'ont absolument aucun droit de poser des gestes éhontés, encore et encore, qui nuisent à la sécurité de la Chine. Ces forces qui osent menacer la Chine devraient recevoir un avertissement et être repoussées avec la puissance de la nation […] Notre gant de velours diplomatique devrait camoufler la force d'une main de fer. Cette voie semble peut-être inviter une opposition mais, en fait, c'est la manière la plus simple d'éviter un conflit. Les États-Unis respectent ce genre d'adversaire», a-t-il écrit.

Un argument similaire est avancé par le major-général Luo Yuan. Dans un discours hautement médiatisé le 12 août, il a affirmé que l'envoi d'un porte-avions américain dans la mer Jaune était un acte de provocation délibéré et une démonstration de l'hégémonisme, de la diplomatie des canonnières et de l'unilatéralisme des États-Unis.

«Les États-Unis cherchent à étendre leurs frontières de sécurité à la porte des autres pays. La soi-disant “sécurité maritime” est en fait la canonnière sacrée et inviolable des États-Unis, juste pour garantir sa propre sécurité, mais qu'en est-il des autres?», demande Luo.

La théorie de conspiration selon laquelle les États-Unis ont l'intention de contenir et de nuire à la Chine fait depuis longtemps l'objet de nombreuses interventions dans les médias chinois. Mais les récentes tirades de militaires chinois indiquent peut-être que l'armée chinoise se sent plus en confiance, suggère Howard Jia, chercheur avec le cercle de réflexion américain Chinascope.

«Depuis les 20 dernières années, les membres des forces armées n'ont pas occupé de positions élevées au sein des organes du PCC. Aucun officier militaire ne fait partie du Politburo, et seulement une poignée d’officiers se trouve dans le Comité permanent. L'APL utilise peut-être cette occasion pour demander plus de fonds et pour accroître son pouvoir. Il y a peut-être même des luttes intestines en cours, même si en surface il s'agit d'une question extérieure. Mais dans la tête des hauts dirigeants, ils connaissent très bien les conséquences d'une guerre avec les États-Unis», mentionne-t-il.

Version originale : One-Sided War of Words Erupts Over U.S.-China Military Posture

Plus de 204 720 362 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.