Resto aux lignes brisées

Écrit par Mathieu Côté-Desjardins, La Grande Époque
05.08.2010

 

Soul Kitchen, du réalisateur allemand Fatih Akin (New York, je t'aime, De l'autre côté), propose comme centre de convergence un restaurant en pleine émergence exploité par diverses personnes aux aspirations et désirs fort différents.

Il suffit de jeter un coup d'œil au lettrage du titre, au style graphique présentant le nom des acteurs dans le générique pour reconnaître des airs des années 1970 à un contexte urbain bien moderne. Soul Kitchen ne serait pas Soul Kitchen sans trame sonore Soul aux teintes Funky.

Zinos (Adam Bousdoukos), un jeune restaurateur de Hambourg, mène de peine et de misère son entreprise. Comme si cela n'était pas assez, sa vie amoureuse se trouble, son frère sortant du pénitencier lui demande son aide, et des maux de dos pénibles viennent miner ses efforts de garder le cap.

Le Soul Kitchen est la plaque tournante où se positionnent plusieurs personnages bien développés. Il a ce pouvoir de les aider à gérer leur vie ou à les propulser dans les méandres de leurs extrêmes et contradictions. Zinos, menotté par ses responsabilités, cherche désespérément à rejoindre sa copine en Chine. Son frère Illias, en libération conditionnelle, veut se servir de l'acquisition de son frère pour profiter d'une autre odeur que celle de la prison. Ce restaurant a aussi le don d'exacerber leurs vices. Rares sont ceux qui s'en servent comme pivot pour se hisser de leur anonymat ou pour s'accomplir mais ils existent. La tendance à la déchéance rendant prospère le Soul Kitchen ne peut que provoquer un raz-de-marée de complications. Même les plus récalcitrants seront mouillés, ce qui amène des péripéties plutôt sympathiques.

Soul Kitchen met sur le tapis un des conflits typiques du travailleur autonome (en l'occurrence, être propriétaire de restaurant) : les tribulations contraignantes engendrées par les impératifs du milieu.

Zinos conserve intacte sa candide confiance pour sa mission de faire perdurer le Soul Kitchen, qu'il avait acheté pour une bouchée de pain avant de le rénover lui-même. Sa générosité et son côté parfois niais seront les aspects qui le feront durer. Cela est très bien illustré alors qu'il se blesse sérieusement le dos à plusieurs reprises dans le film, entre autres, en déplaçant un lave-vaisselle pesant une tonne. Ses liens solides et la sollicitude qu'il possède avec son frère incarné par Moritz Bleibtreu (Cours, Lola, Cours, L'Expérience), sa serveuse (Anna Bederke) et Socrate (Demir Gökgöl), un ami âgé, bricoleur et intolérant au bruit, lui attireront autant la foudre que les bénédictions.

Le chef probe et puritain (Birol Ünel) apporte toute la rigueur et la droiture manquant à Zinos et à son équipe. Bravant la nonchalance et l'inexpérience de son patron, sans compter  la cuisine non raffinée que propose le Soul Kitchen, il demeure rigide quant à la qualité et au goût géométrique qu'il souhaite inculquer. Ses exigences finissent toujours par prendre le dessus des décisions de Zinos, quitte à faire voler les couteaux. Il s'agit sans doute du personnage le plus dévoué et franc, pôle dont le Soul Kitchen ne pourrait se passer. L'apport de ce personnage hors normes inspire une critique juste à propos du bon goût et de son contraire bien incrusté en société.

Attachant, mais sans longueur en bouche.