Un classique périmé sous peu

Écrit par Mathieu Côté-Desjardins, La Grande Époque
15.09.2010

  • Romain Duris et Vanessa Paradis (攝影: / 大紀元)

L’Arnacoeur

Tout pour plaire, presque tout pour déplaire, L’Arnacoeur a su astucieusement s’emparer des éléments affriolants du modèle inépuisable des succès instantanés, sans pour autant avoir usé de dextérité pour en créer un résultat original. Même si le tout est livré par l’olympien Romain Duris et qu’on a dépoussiéré Vanessa Paradis en guise de sa soyeuse rivale, l’insignifiant dépasse de la moquette «tape-à-l’œil» sous laquelle on s’est donné tant de mal à le dissimuler.

L’histoire principale prend place à Monaco, exploitée une fois de plus, pourvoyant un arrière-plan caramélisé de superficialité, et par ses quelques atours pittoresques, occasion de revaloriser quelques instants de «romantisme en boîte» qui aurait eu très peu de chance de survie sinon. Organe principal d’une compagnie d’inoffensifs chasseurs de prime visant à élargir la conscience des femmes quant à leur vie amoureuse  et cela à grands coups de séduction  Alex (Duris) se voit forcé et inconfortable pour accomplir sa prochaine mission. Il doit miner le mariage imminent de la confuse et quasi parfaite Juliette Van Der Becq (Vanessa Paradis) en quelques jours à l’aide de sa sœur et de son beau-frère, faisant partie de l’équipe. Comme toujours, il doit se restreindre à n’exprimer aucune émotion authentique.

 

L’idée du «noble briseur de ménage professionnel» pouvait, pendant la première scène du film, laisser présager une envergure intéressante au niveau scénaristique de Mission Impossible (à la De Palma). Des attentes pouvaient également se former en adhérant à l’éthique dont l’organisation s’est dotée, ce qui faisait immerger la curiosité. Tristement, cela s’évanouit aussitôt que s’amorce la mission principale d'Alex.

Les deux personnages secondaires, dont l’un est interprété par la polyvalente Julie Ferrier (contorsionniste amusante dans le Micmacs à tire-larigot), veillent à réanimer l’intérêt du spectateur par leur absurdité, leur simplicité et leur attitude de se rire du danger, contraste efficace opposée à la tâche désespérante d'Alex qui porte le succès de l’entreprise sur ses épaules. Leur performance est si naturelle et chaleureuse qu’on aurait eu plus de plaisir à les apercevoir plus longtemps, voire pendant tout le film.

  • Romain Duris et Vanessa Paradis (攝影: / 大紀元)

Vanessa Paradis, ayant son propre chef maquilleur, a plus de variations au niveau de ses teints que dans son jeu. Elle réussit tout de même à porter ce rôle bien simple, mais qui exigeait une certaine justesse. Romain Duris, quant à lui, s'est plongé prestement dans le rôle souriant d'Alex, tout en sentant bien qu’il pourra s’en départir aussitôt le tournage terminé. Fait cocasse, Duris possède par hasard la faculté de s’adresser comme narrateur au public dans les extrémités du film, comme le personnage qu’il avait incarné dans L’Auberge espagnole et Les Poupées russes.

Ce film s’est approprié le caractère d'insouciance que possède généralement la bande dessinée, mais sans avoir réussi à fasciner, comme aurait pu le faire Jean-Pierre Jeunet par exemple (Le fabuleux destin d’Amélie Poulain, Micmacs à tire-larigot) ou encore Emmanuel Mouret (Un baiser s’il vous plaît, Fais-moi plaisir). Mésaventures sans lendemain, fourchette plantée dans la cuisse d’un personnage ou de grands coups encaissés sans réaction biologique normale du corps, malaises coulants, menaces bénignes, et tout cela projeté dans le vide.

L’Arnacoeur a été très lucratif en France. Il a été acheté et applaudi par plusieurs pays d’Europe. Son sort risque d’être relativement le même au Québec. Lors de la grande première montréalaise, Romain Duris était présent. Je serais volontiers sorti avant la fin, mais il y avait le risque d’entrer en collision avec lui et d’être au dépourvu alors qu’il aurait pu me demander : «Pourquoi sortez-vous de la salle? Le film vous déplaît-il?». Spontanément, je lui aurais transmis de façon maladroite mes compliments pour son interprétation dans le film Molière.

La «dévotion» d’un réalisateur de rendre dans un état de satiété le plus grand nombre de spectateurs possibles a comme répercussion directe de laisser échapper une grande quantité de l’âme d’une création. À cette perte peut être ajouté un acharnement à vouloir étirer la fin d’un film, et que dire de la fin elle-même...

Une autre désolation à gros budget et qui a mis le gros de son potentiel en second plan.