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La chasse aux sorcières au Nigeria

Écrit par Kremena Krumova, La Grande Époque
02.09.2010
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Des enfants accusés de pratiquer la sorcellerie sont victimes d'abus

  • Des enfants accusés de sorcellerie(Stringer: - / 2010 AFP)

Accusés d'être à l'origine de divers malheurs, des enfants au Nigeria – certains n'ayant que quelques mois – sont accusés de «sorcellerie» et sont rejetés par leurs familles. Encore pire, certains sont plongés dans l'acide, enterrés vivants, empoisonnés ou enchaînés et torturés dans des églises afin de les forcer à «admettre» qu'ils pratiquent la sorcellerie.

La croyance dans la sorcellerie est très ancrée au Nigeria et ailleurs en Afrique. Cette croyance, évoluant dans un environnement ébranlé par la pauvreté, le sida et l'urbanisation, a créé une situation dangereuse pour un nombre grandissant d'enfants devenus les boucs émissaires d'un monde qui a perdu la boule.

Selon le rapport récent de l'UNICEF, Les enfants accusés de sorcellerie, les accusations de sorcellerie sont en hausse générale au Nigeria, et particulièrement celles portées contre les enfants et les adolescents.

L'UNICEF indique dans son rapport que les accusations surviennent souvent dans des situations de crise à volets multiples et que ce sont habituellement les enfants déjà vulnérables qui sont ciblés.

«Ce qui se passe c'est que les membres d'une famille, d'une communauté ou d'une église accusent un enfant d'être une sorcière très souvent après l'arrivée d'une sorte de calamité, comme la mort d'un membre de la famille, la perte d'un emploi ou l'infertilité. Les jeunes enfants qui sont désobéissants ou hyperactifs, ceux qui aiment dormir à l'extérieur lorsqu'il fait chaud, ou même les bébés qui pleurent beaucoup ont aussi été accusés de sorcellerie», répond par courriel Paula Fedeski, responsable des communications pour l'UNICEF au Nigeria.

Le rapport décrit des accusations épouvantables comme le cas d'un enfant qui a «confessé» avoir tué 800 personnes alors qu'il volait dans les airs sur un morceau d'écorce d'arbre en compagnie d'autres sorcières.

Un documentaire de la chaîne britannique Channel 4, intitulé Saving Africa's Witch Children, montre des scènes choquantes d'enfants au Nigeria accusés d'être des sorcières. Une jeune fille raconte comment un pasteur a dit à sa mère qu'elle était une sorcière. La mère l'a cru et a brûlé l'enfant avec du feu.

Une autre fille a été déclarée une sorcière et elle a ensuite été battue et forcée d'identifier d'autres sorcières dans le village, qui ont été torturées par la suite. Dans tous ces cas, il n'y avait aucune preuve contre les enfants, et ces derniers niaient bien sûr pratiquer la sorcellerie.

Les prédicateurs chrétiens sont souvent à l'origine des accusations. Ils génèrent la haine entre les enfants et leurs familles, et ensuite extorquent de larges sommes d'argent aux familles pour apporter la «délivrance».

Emilie Secker, doctorat en droit, est une chercheuse auprès de Stepping Stones Nigeria, un organisme de charité qui vise à protéger les enfants défavorisés de la région du delta du Niger, au Nigeria.

«Au Nigeria, les enfants sont particulièrement ciblés par les accusations de sorcellerie. Ils peuvent ensuite être victimes de cérémonies de “délivrance” conçues pour exorciser l'esprit de la sorcière. Les enfants sont ensuite abandonnés ou négligés par leurs familles et finissent par vivre dans la rue», écrit-elle par courriel depuis le Nigeria.

«Lorsque les enfants sont accusés de sorcellerie, on prétend qu'ils entrent dans le monde des esprits dans leur sommeil et qu'ils y font mal aux gens», ajoute Mme Secker.

Contrairement aux soi-disant «témoignages» des enfants accusés de sorcellerie, qui sont souvent obtenus par la force et la torture, il n'y a aucune preuve documentée que ces enfants ont commis quelque crime.

«Il n'y a pas de preuve physique que les enfants qui sont accusés de sorcellerie ont posé les gestes pour lesquels ils sont blâmés», indique Mme Secker.

Les méthodes pour «traiter» les «sorcières» vont de l'abandon, de l'isolement et du discrédit public à des scénarios de meurtre épouvantables tels que le massacre en forêt, le bain d'acide, l'empoisonnement par une baie toxique, l'enterrement vivant ou être enchaîné et torturé dans une église afin de soutirer des «confessions», explique Stepping Stones sur son site web.

«Il n'y a pas de définition claire de ce qu’est la sorcellerie puisque la compréhension du phénomène diffère selon les groupes sociaux», mentionne Mme Secker.

Le rôle du gouvernement

La pratique de la sorcellerie est considérée comme un crime selon les lois de plusieurs pays africains, mais pas au Nigeria.

Au Nigeria, les abus contre les enfants sont un crime selon la Loi sur les droits des enfants du pays et selon la Convention relative aux droits de l'enfant de l'ONU, à laquelle le Nigeria est signataire.

Plus tôt cette année, on rapporte que le gouvernement nigérian a formellement condamné la pratique d'accuser les enfants de sorcellerie, reconnaissant que des enfants innocents étaient stigmatisés.

Le secrétaire permanent nigérian au ministère des Affaires féminines et du Développement social, Alhaji Idris Kuta, a qualifié la pratique d'«inacceptable et devrait être catégoriquement condamnée».

Le gouvernement a également promis de circonscrire les activités de différentes églises dans le pays.

La prise de position du gouvernement est survenue après que le Nigeria a été critiqué sévèrement pour ses chasses aux sorcières lors d'une rencontre des Nations Unis sur la Convention relative aux droits de l'enfant.

Le gouvernement s'est désormais engagé à lutter contre les protagonistes et à protéger les adolescents vulnérables qui souffrent de violence physique et psychologique.

Cependant, comme le démontre le documentaire de Channel 4, la police peine souvent à appréhender les coupables – habituellement les parents ou les prédicateurs – puisque les villageois refusent de coopérer.

«Personne ne veut le retour d'un enfant dénoncé comme étant une sorcière», indique la narration du documentaire.

Malgré tout, les défenseurs des enfants nigérians perçoivent une lueur d'espoir.

Lynda Battarbee, une responsable de Stepping Stones, a félicité le gouvernement nigérian pour sa prise de position.

«C'est une victoire importante pour les droits des enfants au Nigeria. Nous sommes ravis que le gouvernement fédéral nigérian a publiquement exprimé son opposition aux accusations de sorcellerie visant les enfants et qu'il se soit engagé à éradiquer cette pratique barbare», a écrit Mme Battarbee, dans une déclaration publiée sur le site de l'International Humanist and Ethical Union.

Elle est enchantée par la décision du ministre des Affaires féminines d'écrire au président nigérian à propos de cette question. «Ceci envoie un message clair aux protagonistes de ces actes terribles qu'ils vont être trouvés et punis», a-t-elle écrit.

Version originale : Nigeria's Child Witch Hunt

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