Le fédéral préoccupé par une étude sur la toxicité de l'Athabasca

Écrit par Omid Ghoreishi, La Grande Époque
30.09.2010

Des poissons déformés sont trouvés en aval des sables bitumineux

  • Un poisson déformé(攝影: John Ulan / ©John Ulan/Epic Photogaphy Inc.)

Lorsque les entreprises impliquées dans l'extraction des sables bitumineux affirment qu'aucune de leurs émissions toxiques trouve leur chemin jusqu'à la rivière Athabasca toute proche, David Schindler – un professeur d'écologie de réputation internationale à l'Université de l'Alberta – ne peut qu'être sceptique. Particulièrement, lorsqu'on rapporte la présence de poissons déformés dans la région et que les critiques fusent à l'égard du Programme de surveillance aquatique régional (PSAR), le groupe public-privé chargé de surveiller la qualité de l'eau dans la région des sables bitumineux.

Le PSAR affirme que l'industrie des sables bitumineux n'est pas responsable de l'augmentation de la toxicité dans la rivière.

David Schindler estime qu'il n'est pas plausible que les centaines de kilos d'émissions toxiques relâchées dans l'atmosphère, rapportées par l'industrie elle-même, ne se retrouvent pas finalement dans la rivière.

«C'est absurde d'affirmer que rien n'aboutit dans la rivière, tout en disant que beaucoup se retrouvent dans l'atmosphère», explique-t-il.

Il a donc mené une étude sur le sujet, dont le résultat est un article coécrit avec des chercheurs de l'Université de l'Alberta, de l'Université Queen's et de l'ONG Oceana. L'article conclut que le développement des sables bitumineux contribue substantiellement à la pollution de la rivière Athabasca par l'entremise de l'air et de l'eau.

L'article, publié dans Proceedings of the National Academy of Sciences, indique que les concentrations d'éléments toxiques sont plus élevées près des zones de développement qu'en amont du développement pendant l'été.

Il est également mentionné que les découvertes de l'enquête confirment «les sérieuses lacunes du PSAR» en raison de son incapacité à déceler ces éléments toxiques dans la rivière.

«Un programme de surveillance robuste pour mesurer l'exposition et la santé des poissons, de la faune et des humains devrait être mis en place dans la région affectée par le développement des sables bitumineux», conclut l'article.

Le rapport évalué par des pairs a suscité l'attention des gouvernements provincial et fédéral.

Dernièrement, David Schindler a reçu la visite du ministre canadien de l'Environnement, Jim Prentice. Ce dernier lui a annoncé qu'un groupe d'experts serait mis sur pied pour réviser le programme de surveillance du PSAR.

«Nous allons obtenir les conseils des meilleurs scientifiques au Canada à propos de ce qui se passe, et nous allons agir», a déclaré M. Prentice au Globe and Mail.

David Schindler s'est dit satisfait du résultat de son entretien avec le ministre, soulevant que le programme de surveillance devrait être administré au niveau fédéral, car «il s'agit de la seule organisation qui a la compétence pour le faire».

Lui-même et d'autres scientifiques, des résidents locaux et des chefs des Premières Nations ont signé une lettre envoyée au premier ministre, Stephen Harper, demandant des fonds pour établir un programme de surveillance à long terme sur la santé des poissons dans la rivière Athabasca, le delta de l'Athabasca et le lac Athabasca.

La lettre a été envoyée le même jour que des pêcheurs locaux ont exposé, à Edmonton, des poissons avec des déformations et des tumeurs qui ont été pêchés en aval des sables bitumineux.

«Les pêcheurs ont remarqué que l'incidence et la fréquence de la présence de poissons malades dans leurs prises ont augmenté substantiellement avec le temps», indique la lettre.

Roxanne Marcel, chef de la Première Nation crie Mikisew, une des cosignataires de la lettre, affirme que des membres de sa communauté sont préoccupés par les poissons depuis quelque temps.

«Ils doivent faire quelque chose», implore-t-elle. «Je crois qu'il revient au gouvernement fédéral de s'assurer que quelque chose soit fait. Nous avons présenté ce problème au niveau provincial auparavant et rien n'a été fait.»

Elle avance que la pollution résultant de l'exploitation des sables cause également des taux plus élevés de cancer dans la région, un problème – parmi plusieurs autres – pour lequel un suivi est effectué auprès de différents ministères. Les poissons malades ne sont qu'un aspect de l'affaire, dit-elle.

Le premier ministre de l'Alberta, Ed Stelmach, a indiqué, peu après la publication de l'étude de Schindler, que les scientifiques du gouvernement devraient rencontrer les auteurs du rapport afin de déterminer pourquoi ils en arrivent à des conclusions différentes.

«Nous surveillons [la qualité] de l'eau dans la rivière Athabasca depuis le début de l'extraction des sables bitumineux. Nous avons une bonne étude de référence et nous pouvons travailler à partir de ça», affirme M. Stelmach.

«Dans ce cas particulier, nous allons comparer les données et en arriver à une conclusion. Et si ça veut dire que nous devons faire quelque chose de plus, nous allons le faire.»

Les remarques d'Ed Stelmach ont différé de celles du ministre albertain de l'Environnement, Rob Renner, qui s'était prononcé auparavant sur le sujet. Il avait insisté sur le fait que ses scientifiques lui avaient dit que les toxines dans la rivière étaient le résultat d'un phénomène naturel et qu'elles ne posaient aucun risque.

Un porte-parole du ministère de l'Environnement albertain a réitéré les commentaires du premier ministre selon lesquels il est souhaitable que les deux groupes de scientifiques se rencontrent afin de comparer leurs études.

«Nous avons mis l'offre sur la table et ils n'ont pas encore fixé la date de la rencontre», indique le porte-parole Chris Bourdeau.

Il fait remarquer que le PSAR n'est pas le seul programme de surveillance en place. «Il y a différents types de surveillance à plusieurs niveaux en place.»

Il cite le programme Long-Term River Network, qui effectue l'échantillonnage régulier des rivières importantes de la province depuis des décennies, et il mentionne que le contrôle est également effectué au niveau fédéral.

«Nous avons confiance dans nos activités de suivi et dans ce qu'elles nous rapportent. Nous effectuons la collecte depuis les 30 dernières années.

Quant à l'incursion de Jim Prentice, qui a annoncé une révision du PSAR, M. Bourdeau a dit : «Nous accueillons certainement [toutes initiatives] qui peuvent renforcer notre programme de surveillance.»

Le ministre provincial de l'environnement, Rob Renner, avait affirmé, plus tôt, que la province était capable d'améliorer le programme de contrôle par elle-même au besoin et qu'une intervention du gouvernement fédéral n'était pas nécessaire, ont rapporté des médias.

David Schindler mentionne qu'il n'est pas intéressé de rencontrer seulement des responsables environnementaux de l'Alberta, puisqu'il les a déjà rencontrés à deux reprises au sujet du même ensemble de données. Il propose plutôt que la province mette sur pied un groupe d'experts afin de superviser le programme de surveillance et qu'elle «révèle son ensemble de données magiques qui démontre que tout est normal».

«C'est essentiellement la même chose que j'ai recommandé au ministre fédéral de l'Environnement», dit-il, ajoutant qu'il a aussi suggéré de doter le groupe de supervision de quelques scientifiques possédant une expertise en émissions atmosphériques et en bassins hydrologiques.

Version originale : Athabasca River Toxin Study Draws Concern From Feds