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Le cinéma se nourrit-il du film documentaire?

Écrit par Alain PENSO, La Grande Epoque
04.09.2010
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  • Cleveland contre Wall Street (2010), documentaire franco-suisse de Jean-Stéphane Bron avec Barbara Anderson, Keith Taylor.(攝影: / 大紀元)

Le cinéma, comme la littérature, se nourrit de faits réels. Les scénarios originaux ont perdu de leur attrait. Les romans stagnent. Nous évoluons dans une nouvelle ère où il n'y a plus de pitié pour les histoires hésitantes, invraisemblables ou empêchant tous rêves. Désormais, la fiction absolue passe surtout par une totale réalité. Elle est présente partout. Aucun journal aujourd'hui ne peut ignorer l'attrait évident de la réalité. Ainsi le cinéma de fiction se voit rejoindre, par certains côtés, le documentaire.

Plusieurs formes entourent aujourd'hui la conception du film de fiction-documentaire, dont une écriture proche du déroulement de la vie avec cependant l'introduction de l'acteur qui permet de décomplexifier la narration du film dans sa structure. Cleveland contre Wall Street (2010) de Jean-Stéphane Bron conte l'histoire d'une ville, atteinte de plein fouet par les saisies immobilières dues aux emprunts, à des taux prohibitifs, souscrits par des propriétaires peu regardants sur les contrats litigieux que leur faisaient signer les banques.

Dans un registre plus invraisemblable, Un Fauteuil pour deux (1983) et Wall Street (1987) avaient déjà exploré dans des histoires à caractère hollywoodien, l'univers de l'argent et tout particulièrement celui de la bourse, sur un mode humoristique et tragique. Le caractère singulier de Cleveland contre Wall Street provient de la reconstitution d’un jugement par les personnes concernées.

Les films traditionnels, de fiction en particulier, ne trouvent plus vraiment de sujets porteurs qui intéressent les spectateurs ou les cinéphiles. Certains  émergent des profondeurs de l'ennui, émerveillent par le ton intime et sensible du sujet traité avec une élégance extrême comme dans Un Poison violent (2010) de Katell Quillévéré. Le scénario est simple : Anna retourne l'été dans son village natal où elle doit faire sa confirmation. Son père a quitté la maison. Sa mère cherche du réconfort auprès du curé… Une famille décomposée recherche un sens à la vie. Le cinéaste tente une écriture naturaliste dans une histoire recentrée autour des mécanismes de la famille.

Le Café du pont (2009) de Manuel Poirier évolue également autour de la famille en s'inspirant de l’ouvrage de Pierre Perret, dans lequel l'enfant dit être lié corps et âme au Café du Pont. Le film fait vivre avec bonheur cette histoire presque documentaire.

La violence domine le cinéma

Les autres films du système font éclater la violence inouïe du meurtre comme dans The Killer inside Me (2010) de Michael Winterbottom. Dans les années cinquante, des meurtres sadiques se multiplient autour d'une  petite ville du Texas. Le film est captivant par la description menée avec une acuité à la limite du supportable qui mène vers un certain fantastique où plus rien ne peut être maîtrisé.

Alain Corneau tente une nouvelle aventure en composant avec Crime d'amour (2009), une histoire versée dans la psychanalyse freudienne. L'ambigüité du scénario a un caractère plus qu'inquiétant. Le cinéaste renoue avec ces récits à la Jim Thompson comme dans Série noire (1979), avec Patrick Dewaere, son chef d'œuvre.

  • La terre tremble (La Terre trema) de Luchino Visconti (1948) avec Luchino Visconti, Antonio Pietrangeli, Antonion Arcidiacono.(攝影: / 大紀元)

Les États généraux du film documentaire

Heureusement le documentaire permet de respirer et de reprendre ses droits sur la vie. Les États généraux du film documentaire1 dirigés par Pascale Paulat sont devenus la manifestation incontournable pour les vrais amateurs et les professionnels du documentaire.

Pendant une semaine du  22 au 28 août, chercheurs, cinéastes et cinéphiles se sont mesurés dans des débats sur les films, dans des séminaires sur les supports visuels. L'un d'entre eux, l’écriture numérique, fait d'emblée entrer le cinéma dans une autre façon de concevoir le sens et de filmer. Clarisse Herrenschmidt est membre de l'institut d'anthropologie sociale au Collège de France et auteur de l’ouvrage Les trois écritures : langue, nombre, code. Elle entreprend de comparer les différents systèmes d'écriture, en les alignant au système numérique. Dans le même séminaire en relation avec la pensée développée par Clarisse Herrenschmidt, femme passionnante qui expose ses idées avec une pédagogie savoureuse non dénuée d'humour, Alexandre Brachet est concepteur d'œuvres filmiques à caractère évolué, c'est-à-dire nanties d'un habillage et d'une conception de visionnage autre.

Un film magique, rétroactif

Dans la série web Gaza-Sderot (2008) le tournage a lieu des deux côtés, palestinien et israélien. Les deux villes se touchent dans les deux sens du terme : géographiquement et parfois du côté du cœur. L'hypertexte y est expérimenté. Le film peut être vu dans sa continuité mais il offre aussi, tout du long, la possibilité de cliquer sur des icônes pour écouter un supplément ou complément. Par exemple, un policier intervient brièvement dans le documentaire pour expliquer une situation et on peut cliquer pour faire connaissance avec lui. Un responsable politique parle d'une fête. À une autre occasion, le spectateur peut découvrir comment se compose l'hôtel, son niveau de confort, etc.

Les internautes correspondent avec les protagonistes du film, posent des questions souvent embarrassantes, mais c'est le but de cette œuvre. Ouvrir les vastes territoires que les réalisateurs veulent cultiver pour ouvrir des horizons trop longtemps fermés aux curieux qui ne veulent plus tout accepter sans rien dire.

Dans le webdocumentaire Prison Valley (2010), on aborde le poids économique qui interdit de casser cette économie locale que constitue la prison. Une opposition heureusement rejetée grâce à la ténacité des réalisateurs et des soutiens locaux, opposés à la prison à tout prix. Les lois aux Etats-Unis, souvent strictes dans certains domaines pour les classes sociales défavorisées, permettent de développer une industrie de l'enfermement très rentable pour les investisseurs, qui de plus est cotée en bourse.

Cette série, coproduite par Arte, permet de dialoguer avec des matons, des prisonniers libérés, les instances du système carcéral, mais aussi les opposés du système. Tout cela est possible en cliquant sur une icône au cours du webdocumentaire. Le film dure deux heures, quatre heures avec toutes les occurrences, sans oublier toutes les possibilités de contacts. Le sujet du séminaire était « comment penser les récits qui porteraient en eux les gènes de l'internet ? » Le territoire à défricher dans le domaine est immense et la société Upia.Com semble s'y atteler avec passion.

Hommage à Claude Lévi-Strauss

À l'occasion de la disparition à l'âge de cent ans du plus grand anthropologue du XXe siècle, Claude Lévi-Strauss, né à la même époque que le cinéma et la psychanalyse, les États généraux ont présenté quelques uns de ses grands entretiens. L'un de ces films est tourné par un ethnologue brésilien, Marcelo Fortaleza Flores, deux ans avant la disparition du grand philosophe. Claude Lévi-Strauss y évoque sa rencontre en 1938 avec les Indiens Nambikwara, à l'origine de son ouvrage le plus célèbre, Tristes Tropiques (1955).

Au cours de ce séminaire d’anthropologie tourné sur l'Amazonie, un film extraordinaire de beauté et de pertinence voire d'élégance a été présenté. La guerre de pacification en Amazonie (1973), de Pierre Billon, montre l'extrême cruauté des occidentaux. Dès le départ, les colons cherchent à voler la terre. Les Indiens ne sont pas armés intellectuellement et physiquement pour faire face à l'agressivité des colons. Ils vont être décimés progressivement. Leur âme est dissoute dans des promesses non tenues puis on les expulse de leur territoire pour les enfermer dans des camps. Plusieurs peuplades seront décimées par la grippe et les mauvaises conditions de vies. Un film qui laisse sans voix… qui fait pleurer tout du long, face à l'avidité des colons que seul l'argent intéresse.

John Borman s’est inspiré du documentaire d’Yves Billon pour tourner un film magnifique : La forêt d'émeraude (1985).

L'origine du documentaire

Il est important de revenir aux sources du documentaire. Les films d'ethnologie sont une forme de cinéma documentaire largement utilisée pour décrire notre monde. Il y a eu des précurseurs qui après avoir fait des films à caractère documentaire sont devenus beaucoup plus tard de très grands cinéastes et ont fait partie de mouvements cinématographiques importants. Luchino Visconti est de ceux-là. Il a participé étroitement à l'éclosion du néoréalisme italien avec Roberto Rossellini et Fellini et a produit ce chef d'œuvre extraordinaire, La terre tremble (La terra trema, 1948). Cette œuvre décrit la difficulté pour un pauvre de sortir de sa condition sociale, même avec de la volonté et de la détermination, sans l'aide d'un parti politique. Il explique que seule l'union peut venir à bout de l'inéluctable pauvreté de sa condition.

Heureusement la musique a fait partie de ces États généraux et a permis à Delphine de Blic de faire le portrait passionnant du compositeur de musique contemporaine, Bernard Cavanna : généreux, pertinent, se laissant questionner par ses confrères. Nous pénétrons dans les secrets, la cuisine des musiciens, qui font des exercices pour composer leur musique. Ce film est un véritable cours d'une grande profondeur. La SACEM, qui a organisé la soirée, a décerné le prix de la SACEM à ce film, La Peau sur la table (2010).

Le cinéma n'a pas fini de se transformer pour atteindre des formes toujours plus compliquées. La technique ne rencontre pas de problème majeur. En revanche, les sujets semblent se tarir dans les films de fiction. Ils sont  issus, désormais, d’histoires vraies, de l'actualité et même du documentaire.

1 www.lussasdoc.com

Plus de 204 718 434 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.