Du populisme au libéralisme économique ou les habits neufs d’Ahmadinejad

Écrit par Thierry Coville
13.01.2011
  • Le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad(Staff: ATTA KENARE / 2010 AFP)

Alors que le régime iranien est de nouveau engagé dans des négociations sur la question du nucléaire, il va devoir aussi parallèlement gérer un dossier économique particulièrement brûlant. Le gouvernement iranien a commencé à mettre en application un plan qui vise à faire disparaître sur cinq ans les subventions sur l’essence, le diesel, le gaz, électricité, l’eau, le blé, la farine, le riz, le lait, etc. Si un tel programme permettra au gouvernement iranien de réduire ses dépenses budgétaires et de mettre en place des prix plus «réalistes», il risque également de conduire à un choc inflationniste violent, l’ensemble des subventions pouvant être estimé à près de 17 % du PIB.

Une telle situation interviendrait de plus dans un environnement économique relativement dégradé. Du fait de l’effondrement du prix du pétrole durant l’été 2008 et d’une politique de rigueur mise en place cette même année, le ralentissement de l’économie iranienne a été plus précoce et plus violent (à l’exception des Émirats arabes unis touchés par la crise de Dubaï) que dans le reste du golfe Persique, la croissance étant proche de 2 % depuis 2008 après avoir atteint 6 % en 2005-2007.

De plus, les sanctions, notamment financières, perturbent le commerce extérieur iranien. L’économie iranienne n’est toutefois pas aux abois. Le commerce extérieur de l’Iran s’est réorienté sur le Moyen-Orient et l’Asie; l’Irak, l’Afghanistan, l’Inde et l’Indonésie sont maintenant devenus les quatre principaux clients des exportations non pétrolières de l’Iran. Également, du fait de la hausse du prix du pétrole de 2002 à 2008, l’Iran disposerait de près de 100 milliards de dollars de réserves en devises tout en restant faiblement endetté (la dette extérieure étant proche de 10 % du PIB). En outre, la hausse du prix du pétrole depuis août 2010 pourrait relancer l’activité.

Il n’en demeure pas moins vrai que les tensions sociales restent fortes. L’inflation a officiellement ralenti passant de 21 % en 2008 à 10 % en mars 2010, mais la population reste persuadée que la hausse des prix est bien plus forte en réalité; ce sentiment pouvant s’expliquer par les fortes hausses de prix touchant des biens de consommation courante comme les cigarettes (+17 % en mars 2010 sur un an).

Par ailleurs, selon le ministre du Travail lui-même, le taux de chômage est passé de 11 % en 2009 à 14,6 % en 2010. La suppression des subventions dans un tel contexte pourrait donc se révéler un pari bien audacieux. Le gouvernement a d’ailleurs prévu que 50 % des économies réalisées seraient reversées directement aux ménages les plus défavorisés. Toutefois, outre leur dimension inflationniste (puisque ces ménages bénéficieront d’une soudaine hausse de leurs revenus), il n’est pas sûr que ces mesures soient suffisantes à éviter une baisse du pouvoir d’achat en cas d’emballement inflationniste. Enfin, on peut également s’inquiéter d’une éventuelle dérive clientéliste dans la gestion de ces versements compensatoires.

Ces tensions sociales alimentent un débat politique intense entre les différentes factions à tel point que l’on a l’impression que le débat politique violent, né de l’élection contestée d’Ahmadinejad en 2009, porte maintenant de plus en plus sur la situation économique. C’est une méthode qui permet aux conservateurs «modérés» de s’opposer aux conservateurs plus radicaux proches d’Ahmadinejad tout en ne donnant pas l’impression de s’opposer politiquement à ce dernier.

Un député conservateur du Parlement a ainsi proposé qu’Ahmadinejad soit écarté de la direction de la banque centrale d’Iran. Ce projet de suppression des subventions pourrait même conduire à une intensification de la lutte politique interne. Le mouvement vert d’opposition, dirigé par Hossein Moussavi, a ainsi développé tout un argumentaire économique, en prévision notamment des tensions sociales que pourrait entraîner la réduction des subventions. Ce mouvement estime notamment qu’une dégradation de la situation sociale suite à l’application de ce programme pourrait permettre de nouer une véritable alliance avec la classe ouvrière, dont le soutien avait fait cruellement défaut dans les mois qui ont suivi les évènements de juin 2009.

Le président iranien, de son côté, continue de se poser en champion de la lutte anti-corruption et dénonce les mafias qui s’opposent à la réduction des subventions tout en menaçant ceux qui voudraient retirer un avantage politique des conséquences éventuelles de ce plan.

On peut donc se demander pourquoi le gouvernement iranien a pris un tel risque. Cela fait des années que l’on évoque en Iran la nécessité de réduire les subventions qui concernent de nombreux biens et services, mais aucun gouvernement n’avait osé s’attaquer à cette question compte tenu des risques politiques induits. Ce n’est donc pas le moindre des paradoxes de voir Mahmoud Ahmadinejad, qui s’est souvent distingué par ses prises de position anticapitalistes, décider d’appliquer une mesure aussi libérale qui a d’ailleurs reçu la bénédiction du FMI.

Source : Affaires-stratégiques.info