Israël découvre des gisements de gaz et ouvre une mine de questions

Écrit par Gidon Belmaker, La Grande Époque
18.01.2011
  • Une exploitation pétrolière en Israël, au nord de Tel Aviv(Staff: JACK GUEZ / 2009 AFP)

Israël était jusqu’à aujourd’hui reconnu pour son manque de ressources naturelles. Ceci est peut-être en train de changer suite à la découverte de réserves de gaz naturel et de pétrole au large de ses côtes. Cependant, avant leur exploitation, le gouvernement, les industriels et les organisations civiques doivent s'entendre sur l'approche à adopter.

L’identification de sites de forages exploitables en Méditerranée est récente. C'est seulement en 2009 qu’une première grande réserve de gaz naturel a été découverte au large du nord d’Israël et son exploitation doit commencer en 2013. En août dernier, le United States Geological Survey (USGS) a estimé que les côtes orientales de la Méditerranée abritent 3500 milliards de mètres cubes de gaz naturel exploitable, pour une valeur estimée de 450 milliards de dollars au cours actuel. Une chance inespérée pour Israël, qui a déjà économisé 5 milliards de dollars en promouvant à l’échelle nationale l’utilisation du gaz naturel, d’après le centre de recherche de la Knesset (Parlement israélien).

C’est évidemment un gâteau dont chacun réclame aujourd’hui sa part. Le gouvernement souhaite augmenter sa participation sur les opérations de forage et d’exploitation. Les entreprises de forage s'objectent, tandis que les organisations civiques et environnementales avertissent que le pays ne devrait pas vendre ses ressources à des magnats à trop bon marché.

Un comité spécial a été nommé par le gouvernement pour examiner la taxation du gaz et du pétrole. Dans son rapport final présenté le 3 janvier 2011, le comité recommande de maintenir le système de taxation en place – qui date de 1952 – en augmentant progressivement les perceptions sur les futurs profits des forages.

Le gouvernement a rejeté la recommandation, jugée trop favorable au secteur privé. Dans les prochaines semaines, le premier ministre, Benjamin Netanyahou, doit dialoguer avec les différents ministères et avec les entreprises impliquées avant de prendre sa décision sur le sujet. Pendant le Conseil des ministres du dimanche 9 janvier, M. Netanyahou a déjà indiqué être en faveur de la création d’un fonds national pour l’utilisation des profits dégagés par l’exploitation des réserves de gaz, avec «la sécurité et l’éducation en premier plan».

Les entreprises impliquées dans les projets de forage s’opposent vigoureusement à tout changement de la législation, avançant qu'après les risques financiers épongés afin de trouver des réserves et les exploiter, il est injuste que le gouvernement altère leurs perspectives de profits. De plus, elles affirment qu'un changement des règles d’imposition découragerait les futurs investissements pour développer le secteur gazier.

«Découvrir de larges dépôts de gaz en Israël est un bond en avant stratégique et économique pour l’État d’Israël», estime l’Institut israélien pour l’énergie et l’environnement. «Cela diminue la dépendance d’Israël vis-à-vis des ressources étrangères et améliore la balance des dépenses de l’État ainsi que la compétitivité des produits israéliens dans le monde. Tout cela a été obtenu avec une implication minimale de l’État, tout le risque reposant sur les épaules des entrepreneurs et investisseurs. L’État doit faire le nécessaire pour assurer une continuité dans l’exploitation de ce gaz.»

Certaines organisations civiques sont mécontentes de la position de la commission spéciale et de l’Institut pour l’énergie et l’environnement, qui pollue d’après eux la politique nationale par la question d’intérêts financiers privés. Ometz (Courage), une association anti-corruption, affirme que pendant les travaux du comité gouvernemental nommé par le premier ministre, les entreprises et leurs lobbyistes ont fait pression sur les hommes politiques pour qu’ils prennent une position favorable aux entreprises gazières et pétrolières. Des associations de défense de l’environnement, comme Adan, Teva VaDin (Humain, nature et loi), demandent pour leur part que des prélèvements sur les profits soient faits au minimum à hauteur des dommages environnementaux potentiellement causés par les forages, et accusent elles aussi le comité d’être à la solde des entrepreneurs.

Caution utile pour le gouvernement israélien, Michael Spence, Prix Nobel d’économie 2001, trouve acceptable qu’Israël revoit à la hausse sa taxation : «Il est tout à fait habituel, a-t-il indiqué à Bloomberg lors d’une interview depuis Jérusalem, de renégocier ces choses et l’industrie le sait. Il est aussi compréhensible que l’industrie résiste […] En général, les gouvernements doivent mettre en place un système de retour sur investissement ajusté au risque pour ceux qui ont fait l’exploration et le développement des sites, puis les citoyens doivent avoir le reste.»

Exigences libanaises

La résistance mentionnée par Spence ne se limite pourtant pas aux industriels. Fin décembre, le ministre des Affaires étrangères libanais, Ali Shami, a saisi les Nations Unies en présentant des cartes maritimes sur la base desquelles il affirme que l’État hébreu se prépare à exploiter des richesses maritimes libanaises. Cette saisine faisait suite à l’annonce, le même mois, de la découverte du gisement Leviathan par le gazier américain Noble Energy, qui le décrit comme «la plus grande découverte exploratoire de son histoire». Avec 450 milliards de mètres cube de gaz, le Leviathan est la troisième plus large ressource de l’entreprise, qui anticipe avec optimisme de commencer les forages début d’année 2011. Déjà, en 2009, c’est Noble Energy qui avait dans la même zone identifié Tamar, un gisement de 200 milliards de mètres cubes, la plus grosse découverte de l’année.

D’après le quotidien Haaretz, le porte-parole des Nations Unies, Martin Nesirsky, a exclu une implication de l’ONU sur le sujet, indiquant que «la résolution 1701 du Conseil de sécurité ne comprend pas de tracé des frontières maritimes. Nous parlons de deux choses différentes : les eaux côtières et une frontière maritime disputée».

Leviathan est située à 130 kilomètres au large de la ville d’Haifa. Le président du Parlement libanais, Nabih Berri, avait, en 2010, averti du besoin pour le Liban de se mettre à la recherche de ses propres gisements : «Israël est en course pour établir un fait accompli et s’est rapidement présenté comme un émirat du pétrole, en ignorant le fait que, d’après les cartes, les gisements s’étendent dans les eaux libanaises.»

L’émergence d’Israël comme une importante puissance gazière et pétrolière aura, à n’en pas douter, des répercussions majeures sur l’économie du pays et sur ses relations avec ses voisins. Au-delà des frictions avec le Liban, devenant moins dépendant des approvisionnements venant d’Égypte ou de Turquie, Israël pourrait s’offrir le luxe d’une opposition plus frontale, sécurisée par des ressources financières additionnelles dont Benjamin Netanyahou, en disant vouloir les utiliser pour la sécurité du pays, a déjà clairement indiqué qu’elles financeraient des armements.

Version originale : Israel Finds Natural Gas, Controversy Ensues