Témoignage : la sécurité au Pakistan

Écrit par Masooma Haq, La Grande Époque
26.01.2011
  • Des islamistes pakistanais tentent de tuer une deuxième fois, symboliquement, le gouverneur de la province du Punjab, Salman Taseer, en détruisant son portrait lors d'une manifestation d'appui à son assassin le 17 janvier 2011 à Lahore. Taseer, un opposant au fanatisme religieux, a été abattu par un de ses gardes du corps, l'islamiste Malik Mumtaz Hussain Qadri, le 4 janvier 2011.(Arif Ali/AFP/Getty Images)(Stringer: ARIF ALI / 2011 AFP)

J'ai reçu un courriel de la maternelle de mon garçon dernièrement, avisant les parents que l'école serait fermée le lendemain en raison de l'assassinat du gouverneur du Punjab, Salman Taseer.

Le gouverneur a été tué par un de ses propres gardes du corps en sortant d'un café le 4 janvier dernier. Le garde, membre de la force d'élite du Punjab, a criblé de balles le corps du gouverneur. Des témoins ont rapporté qu'il est mort sur le champ. L'ironie est qu'il était protégé par plus d'une dizaine de gardes. Le protagoniste dit avoir commis le crime parce que le gouverneur démontrait trop ouvertement son opposition à la loi anti-blasphème.

Ce soir-là, je me suis demandé ce que j’allais répondre à mon fils le lendemain lorsqu'il me demandera pourquoi il ne va pas à la maternelle. Ça m'a fait réfléchir à mes propres jours passés sur les bancs d'école il y a une trentaine d'années. À cette époque, une tempête de neige était la seule raison qui justifiait la fermeture de l’école. Les jeunes du quartier passaient alors la journée à jouer dehors, à construire des forts et à rigoler.

Ça m'a fait comprendre que la situation s'est tellement détériorée en si peu de temps, avec toute cette violence, et nous qui cherchons à l'extérieur de nous-mêmes pour trouver la sécurité. Des groupes et des individus sont désespérés, ils jettent le blâme sur les autres et recherchent des boucs émissaires. Nous tentons de rendre notre entourage plus sûr au lieu de nous débarrasser de nos peurs en tant que parents, communauté et nation.

Il y a un peu plus d'un an, la même école fréquentée par mon fils a été fermée pendant près de trois semaines après un attentat suicide dans une université d'Islamabad. L'Université islamique, qui compte 17 000 étudiants, a été le théâtre d'une attaque vers la fin octobre 2009. Le kamikaze, déguisé en femme, s'est fait détoner à l'entrée de la cafétéria des femmes. Suite à cela, tous les établissements d'enseignement dans la province du Punjab, autant publics que privés, ont dû fermer et améliorer leurs dispositifs de sécurité afin d'assurer la sécurité des étudiants et du personnel.

La maternelle de mon fils, fréquentée par environ 150 enfants et comptant près de 15 employés, a effectué plusieurs ajustements relatifs à la sécurité pendant ces trois semaines, entre autres, élever les murs à 2 mètres autour de l'école et ajouter des fils  barbelés. Trois employés supplémentaires ont été assignés pour accompagner les enfants de l'entrée principale aux voitures des parents. L'entrée principale elle-même était ouverte seulement au personnel ainsi qu’aux parents et aux enfants. Des caméras de surveillance additionnelles ont été ajoutées et, bien entendu, les frais pour la «sécurité» ont augmenté.

Les façades de la plupart des établissements d'enseignement ressemblent davantage à des prisons qu'à des lieux pour apprendre et se développer mais, hélas, il y a un prix à payer pour avoir ce sentiment de sécurité. Je me demande cependant quel message cela envoie à nos enfants et comment cela nous affecte en tant que peuple, en tant que pays et en tant qu'êtres humains.

Je me rappelle du bruit lorsque la bombe a explosé à l'Université islamique ce mois d'octobre-là. Je travaillais à l'American School adjacente à l'université. Alors que toutes les écoles du Punjab étaient fermées pendant  trois semaines,  nous étions ouverts puisque l'American School d'Islamabad ne peut envier que l'ambassade américaine d'Islamabad en matière de sécurité.

Le devant de l'école ressemble à une prison à sécurité maximale avec un mirador, des murs de 2,5 mètres de haut et des barbelés tout autour de l’immeuble. Deux gardes armés surveillent l'entrée du stationnement, et il faut passer par les détecteurs de métal pour entrer sur le terrain de l'école. Des policiers en civil patrouillent également de manière irrégulière, et des véhicules «antiterroristes» émis par le gouvernement, avec à leur bord des hommes armés, patrouillent les rues près de l'école durant les heures de pointe. La plupart des parents se sentent très en sécurité d'envoyer leurs enfants à cette école, mais je me dis parfois que, même avec toute cette sécurité, personne n'est à l'abri (comme le gouverneur Taseer).

Au cours de mes cinq années en tant qu’employée de l’American School, je me souviens que l’école a été fermée seulement à quelques reprises. La plus longue période a duré une semaine après l'attaque contre l'hôtel Marriott en 2008. Même si cet hôtel abritait et était fréquenté par des étrangers, la plupart des 54 personnes décédées ce jour-là étaient pakistanaises. La sécurité n'était pas très resserrée au Marriott à cette époque et personne n’aurait imaginé qu'un camion rempli d'une quantité massive d'explosifs pouvait exploser à l'extérieur. L'édifice a pris feu à la suite de l'explosion, qui a laissé un cratère de 7 mètres de profondeur à l’extérieur de l’hôtel.

En tant que parent, je ressens effectivement un sentiment de sécurité plus grand avec toutes ces mesures de «sécurité» mais, depuis la mort du gouverneur, j'ai commencé à me demander d'où vient vraiment la sécurité. Comment pouvons-nous prédire et nous préparer contre les actions de ces extrémistes désaxés? Je suis d'avis qu'un vrai sentiment de sécurité doit provenir de cette confiance en quelque chose de plus grand que soi. Bien que cela sonne très cliché, je crois que pour qu'il y ait la paix, on doit d'abord trouver la paix intérieure.

Version originale : Security in Pakistan