Les Égyptiens espèrent une autre Tunisie

Écrit par Marco 't Hoen, La Grande Époque
30.01.2011
  • Des Égyptiens sont montés sur des véhicules militaires le 29 janvier 2011 au Caire(Staff: Peter Macdiarmid / 2011 Getty Images)

La contestation bat son plein, alors que des milliers d'Égyptiens défient le gouvernement. Des soldats de la puissante armée égyptienne n'avaient pas le cœur à la confrontation en fin de semaine, sympathisant avec la foule qui montait sans crainte sur les véhicules militaires. Lorsque des membres de l'institution qui agit comme l’ultime outil de sauvegarde du régime se rallie aux demandes des contestataires, la fin d'une ère est peut-être proche. La fuite du président tunisien, Ben Ali, apparaît comme une source d'inspiration certaine pour les détracteurs de l'homme fort égyptien, Hosni Moubarak, au pouvoir depuis 30 ans.

Bien entendu, l'ère post-révolution en Tunisie est encore jeune et les acquis ne sont pas cimentés, mais les Égyptiens souhaitent profiter d'un certain effet domino. Un mois de manifestations a été nécessaire aux Tunisiens pour chasser Ben Ali.

Les similitudes entre les deux pays, semblent estimer les Égyptiens, laissent supposer une fin similaire.

Dans les deux pays, les médias sociaux ont joué un rôle crucial pour mobiliser les gens et communiquer avec l'extérieur. Le Caire a toutefois vite constaté l'efficacité de ces méthodes de communication et a pris en exemple d'autres régimes – Birmanie, Chine, Iran – en coupant Internet. Dans ce cas, cependant, la coupure aurait été totale et sans précédent dans le monde. Les réseaux de téléphone cellulaire auraient aussi été «complètement fermés» à la demande des autorités, selon un cadre de Vodafone Egypt s'entretenant avec le Wall Street Journal.

Autant en Égypte qu'en Tunisie, les manifestations expriment un ras-le-bol contre le chômage, la corruption et un régime répressif.

«La ressemblance principale [entre les deux pays] est qu'ils ont été dirigés par des régimes corrompus et sans pitié durant les 20 ou 30 dernières années, et les jeunes, en particulier, ne veulent plus de statu quo», commente dans une réponse par courriel Radwan Masmoudi, président du Center for the Study of Islam and Democracy.

La Tunisie et l'Égypte ont tous deux obtenu leur indépendance d'un pays européen au 20e siècle, en 1956 et 1922 respectivement, et n'ont connu que deux et quatre dirigeants depuis. Dans les deux cas, Ben Ali et Moubarak ont gouverné d'une main de fer durant des décennies, éliminant ou muselant toute forme d'opposition.

Certains observateurs estiment que les perspectives en Égypte sont meilleures qu'en Tunisie, puisqu'une différence importante entre les deux pays est qu'en Égypte il y a «des partis politiques très actifs et une société civile qui peuvent facilement devenir une démocratie fonctionnelle sans avoir à passer par le difficile et douloureux processus révolutionnaire», écrit Masmoudi.

Selon lui, le régime ne pourra survivre que s'il abolit «l'actuel Parlement illégal et illégitime et s'il [organise] des élections libres et justes sous supervision internationale, et ce, d'ici six mois».

  • Un manifestant embrasse un soldat dans le centre-ville du Caire le 29 janvier 2011.(Staff: MOHAMMED ABED / 2011 AFP)

Mais cette présence de mouvements organisés n'est pas nécessairement perçue d'un très bon œil par les Américains et Israël, qui ont misé pendant des années sur la dictature de Moubarak pour agir comme rempart face aux puissants Frères musulmans et autres groupes islamistes. En Égypte, comme ailleurs au Maghreb et au Moyen-Orient, Washington a souvent jugé que des hommes forts qui collaborent sont préférables à des républiques islamiques (Iran) ou à des dictateurs détracteurs (Bashar al-Assad en Syrie, Saddam Hussein en Irak).

Néanmoins, un document secret du Département d'État américain révélé par WikiLeaks suggère que Washington n'est pas complètement derrière Moubarak, ayant soutenu clandestinement un militant prodémocratie qui leur assurait en 2008 que l'opposition avait un plan pour mener un changement de régime avant les élections présidentielles de 2011. Une information qu'un diplomate a jugé peu crédible.

Un autre spécialiste dit pas si vite, «l'Égypte n'est pas la Tunisie. Même si les manifestations sont passionnées, il n'est pas clair que le nombre de participants est énorme. Si l'élite et l'armée se serrent les coudes elles pourraient tenir le coup, peut-être en déposant Moubarak pour préserver le régime», commente au Jerusalem Post Barry Rubin, directeur du Global Research in International Affairs Center.

Contrairement à Masmoudi, Rubin estime que les chances de voir un régime démocratique voir le jour sont meilleures en Tunisie qu'en Égypte. «La Tunisie a de bonnes chances car il y a une classe moyenne bien établie et une mouvance islamiste faible. Mais en Égypte, regardez seulement les chiffres du dernier sondage Pew : 30 % aiment le Hezbollah, 49 % sont favorables au Hamas et 20 % sourient à Al-Qaïda.»

Appel à la réforme

Dans le monde, on appelle au calme et à la réforme, quoique dans certains cas bien timidement. L'Union européenne et les États-Unis exhortent tous deux le gouvernement égyptien à écouter la rue et mettre en branle des réformes substantielles.

«Nous voulons voir des réformes, en Égypte et ailleurs, afin de créer des conditions politiques, sociales et économiques qui soient cohérentes avec les aspirations de la population», a déclaré le Département d'État américain dans un communiqué.

«Le citoyen arabe est en colère, il est frustré. Voilà ce qui se passe. Alors il est temps d'apporter des réformes», a commenté le secrétaire général de la Ligue arabe, l'Égyptien Amr Moussa, au quotidien Al-Masry Al-Youm.

Au moment de mettre sous presse, le régime égyptien était toujours en place.

Version originale : Egyptians Hope for Another Tunisia