La première domestication du blé daterait de 500.000 ans

Écrit par Héloïse Roc
04.12.2011

  • Deux femmes tibétaines dans un champ de blé. (Goh Chain Hin/AFP)(攝影: / AFP ImageForum)

La culture du blé est la première plante cultivée au monde et l’aliment de base d’un tiers de la population mondiale. Cependant, les variétés de blé cultivé sont le fruit d’une sélection menée par l’homme et présentent un génome complexe qui associe deux ou trois génomes homologues. Ainsi une étude menée par les chercheurs de l’INRA, du CEA et par des chercheurs américains a été publiée dans la revue américaine de l’Académie nationale des sciences du 15 novembre 2011. Cette recherche révèle que les différentes copies du gène de domestication du blé ont été nommées Q, qui est l’élément majeur de la domestication du blé. Ainsi cette identification permet de différencier les caractères spécifiques du blé et c’est une manière de se coordonner.

Le gène Q, élément clé de la domestication du blé

Effectivement, au cours du temps, l’homme a sélectionné des plantes de blé répondant mieux à ses besoins (facilitation de culture, amélioration de l’utilisation…). Ainsi, on a vu apparaître, lors des premières étapes de la domestication, des populations du blé qui avaient perdu de leurs capacités, par rapport aux plantes sauvages, comme celle de disséminer leurs graines à maturité. Par exemple, ces blés présentent un épi compact dont la tige centrale ne se désarticule pas, pour favoriser la récolte. Ces caractères sont contrôlés par le gène Q, un gène majeur de la domestication.

L’évolution du gène Q au service de la domestication du blé

Les chercheurs ont exploré l’organisation, le fonctionnement et l’évolution des différentes copies du gène Q porté par les chromosomes 5 des trois génomes A, D et B du blé tendre afin de comprendre leurs participations aux caractères de la domestication. Les scientifiques ont remarqué que les trois copies du gène agissent ensemble, chacune contribuant aux caractères liés à la domestication de façon directe ou au travers des processus de régulation liés à l’environnement (on parle d’épigénétique).

Ils ont montré que l’évolution du gène Q varie selon les copies: elle se traduit soit par une hyper-fonctionnalisation ou par un semblant génétique de la deuxième copie qui ne code plus pour une protéine active mais reste fonctionnelle et continue à contribuer aux caractères de domestication ou encore par une sous-fonctionnalisation de la troisième copie. L’ensemble des résultats constitue une avancée déterminante dans la compréhension des bases moléculaires et génomiques de la domestication du blé. Il révèle un des rares exemples de mécanisme d’interaction et de partage de fonction entre les copies d’un gène chez une plante polyploïde, en lien avec la morphologie et la domestication du blé.

 

Plus encore, alors que la domestication et la culture du blé ont été des éléments fondateurs des premières civilisations humaines dans le Croissant Fertile, ce travail apporte une pierre à l’édifice de la compréhension du développement de l’agriculture et de la sédentarisation des premières populations.

La nature fait bien les choses

Le blé est originaire du Moyen-Orient et, au cours des siècles, il a subi des transformations qui l’ont fait passer de l’état de plantes sauvages à celui d’espèces cultivées. Actuellement, deux espèces de blé sont principalement cultivées: le blé dur utilisé pour les pâtes et le blé tendre employé pour le pain. Ces modifications ont été générées par des interventions, suite à des croisements entre espèces ancestrales. Les premiers changements ont eu lieu il y a environ 500.000 ans et ont conduit à l’apparition du blé dur. Le second événement a eu lieu au cours de la domestication, il y a environ 9.000 ans, entre un blé tétraploïde cultivé et un blé diploïde, ce qui a donné le blé tendre qui est hexaploïde, le génome AABBDD possédant 21 paires de chromosomes.

Le blé des villes aussi riche en protéines que son cousin des champs

Aux Etats-Unis, il y a quelques années une équipe, de chercheurs de l’université de Californie de Davis du département américain de l’Agriculture associée à l’Université israélienne de Haïfa a remarqué que le blé s’était appauvri au cours de sa domestication dans le temps. C’est pourquoi les grains de blé qui sont cultivés aujourd’hui contiennent moins de protéines, de zinc et de fer que ceux des espèces sauvages. Ainsi ils ont réussi, grâce à un moyen naturel, sans transformation génétique à augmenter les quantités de protéines, de zinc et de fer contenus dans les grains d’une certaine variété de blé. Dans les faits, les chercheurs ont plutôt réussi à redonner des qualités élevées au blé domestiqué, le blé des villes, par rapport à son cousin des champs, le blé sauvage.

Les résultats de leurs travaux sur le gène de blé ont été publiés dans la revue Science. Ils démontrent par cette étude comment ils ont réussi à cloner un gène de blé sauvage pour augmenter le contenu nutritif en protéine, en zinc et en fer, d’un grain de blé domestique. Réussir à augmenter le contenu nutritif des grains de blé est un formidable espoir pour des centaines de millions d’enfants de par le monde qui souffrent de carences alimentaires, d’autant qu’il ne s’agit pas de manipulation génétique. Pour l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), plus de 2 milliards de personnes manqueraient de zinc et de fer, et plus de 160 millions d’enfants de moins de cinq ans souffriraient d’une carence en protéine dans le monde. «Le blé est l’une des cultures majeures dans le monde, qui fournit le cinquième de l’ensemble des calories consommées par les êtres humains, par conséquent, même un petit accroissement de la valeur nutritive du blé pourrait aider à réduire les carences en protéine et en micronutriments indispensables à la vie», a précisé le professeur Jorge Dubcovsky, chef de ce groupe de recherche.