Religion, politique et conflits en Afrique

Écrit par Kremena Krumova, La Grande Époque
16.02.2011
  • La carcasse calcinée d'une voiture au Nigeria le 24 décembre 2010 après une attaque attribuée au groupe islamiste Boko Haram(Stringer: AFP / 2010 AFP)

Les conflits entre chrétiens et musulmans sur le continent africain semblent courants. Le Nigeria, le Soudan et la Côte d'Ivoire en sont des exemples. Bien que ces conflits soient parfois réduits à des expressions religieuses, des spécialistes de l'Afrique révèlent un portrait plus complexe qui a peu à faire avec la foi, mais plutôt avec la manière avec laquelle la religion est entremêlée à des facteurs politiques, économiques et tribaux.

Mustafa Ali, secrétaire général de l'African Council of Religious Leaders basé au Kenya, affirme que même si la religion est une partie importante de la vie de la plupart des Africains, la présence de différentes religions n'est pas nécessairement source de conflit.

Les religions principales en Afrique sont le christianisme, l'islam et les croyances animistes.

Selon une enquête du Pew Research Center sur l'affiliation religieuse publiée en avril 2010, même le pays africain le moins religieux – le Botswana avec 60 % – est nettement plus religieux que la Suède, où seulement 7 à 8 % des gens disent avoir des croyances religieuses. Selon Pew, le pays le plus religieux d'Afrique est le Sénégal, où 98 % de la population affirme adhérer à une religion.

Malgré les fortes croyances religieuses, Mustafa Ali décrit une culture de tolérance. «Ils considèrent les gens de foi différente comme des frères et sœurs. De nombreuses familles sont mixtes, quelque chose difficile à trouver au Moyen-Orient ou dans les pays occidentaux.»

Mariya Nedelcheva, membre bulgare du Parlement européen et membre de la délégation de l'Union européenne pour l'Afrique, affirme que les conflits entre chrétiens et musulmans s'expliquent par la tradition plutôt que par la foi.

Elle mentionne que la terre est un concept sacré pour les Africains. De ses visites dans dix pays du continent, elle a appris qu'il est difficile pour les Africains d'accepter que d'autres tribus s'établissent sur leur territoire ou que ce dernier soit vendu à des étrangers. Selon elle, ces conflits datent de l'époque coloniale et peuvent facilement produire des violences.

Mariya Nedelcheva se réfère au Soudan en exemple, qui est sur le point de se séparer entre deux États.

«Le prochain problème urgent sera de définir la frontière entre le Nord et le Sud qui passera par la région d'Abyei, peuplée principalement de tribus nomades. Il sera difficile de leur expliquer que demain ils ne seront plus en mesure de conduire leur bétail de cette colline-ci à celle-là, puisqu'il y a une frontière.»

Religion et politique

Bashy Quraishy, président de l'Advisory Council of the European Network against Racism (ENAR), mentionne que malgré la présence de conflits religieux, la vérité est que «la plupart des affrontements prennent racine dans des problèmes locaux, la distribution du pouvoir politique et la mauvaise allocation des revenus».

«Il y a aussi des chefs religieux locaux, dont certains attisent les feux de la haine, mais d'autres tentent d'éteindre le brasier. Les médias jouent aussi un rôle en transformant les petits incidents en problèmes nationaux», estime M. Quraishy.

Il dit que des gens au pouvoir comme des imams, des prêtres et des politiciens utilisent les tensions religieuses pour «compter des points faciles».

Pour Mustafa Ali, même s'il admet que certains chefs religieux sont à blâmer – et que ceux-ci peuvent profiter le plus d'un conflit – les instigateurs derrière les soi-disant affrontements interconfessionnels sont souvent des acteurs politiques.

«Certains dirigeants religieux utilisent les religions de manière néfaste pour satisfaire leurs propres ambitions politiques, ainsi les conflits s'intensifient.»

Julie Owono, une Camerounaise habitant à Paris et blogueuse active sur Global Voices, estime que la racine du problème est autre. Elle blâme l'incapacité des États faibles à répondre aux besoins des gens, qui s'en remettent aux communautés religieuses pour combler le vide laissé par l'État.

«Lorsqu'il y a un conflit entre chrétiens et musulmans à Jos [Nigeria], les Occidentaux ne voient que des gens qui s'entretuent. Pour les Africains, c’est une preuve de l'échec de l'État à prendre ses responsabilités.»

D'un point de vue externe, les conflits religieux peuvent être mélangés avec les conflits d'ordre économique. En Côte d'Ivoire par exemple, Julie Owono affirme que les communautés musulmanes djioula, senoufo et malinké du Nord ont migré vers le Sud où elles ont connu du succès en affaires.

«Ainsi, les chrétiens du Sud peuvent utiliser le prétexte religieux pour se départir de rivaux économiques. Au début des années 2000, lorsque le concept d'“ivoirité” battait son plein, plusieurs commerçants musulmans habitant au Sud, à Abidjan par exemple, ont été dépossédés parce qu'ils n'étaient plus considérés “Ivoiriens”.»

Murtala Sani, un journaliste de la Federal Radio Corporation du Nigeria, est un musulman de l'ethnie Hausa-Fulani. En raison de son origine ethnique et de sa religion, il a presque laissé sa peau alors qu'il couvrait des funérailles communes à Dogo Nahawa en mars dernier. M. Sani a raconté aux médias comment il a été attaqué par la foule et lancé dans une tombe, sous l'instigation du conseiller en affaires religieuses du gouverneur de l'État, le pasteur Choji, qui assistait aux funérailles. Il a survécu seulement en raison de l'intervention de la police.

Murtala Sani, également coordonnateur du Muslim/Christian Youths Dialogue Initiative Forum du nord du Nigeria, affirme que dans son pays – et particulièrement à Jos – les gens sont «fanatiques» à propos de leurs croyances religieuses. Selon lui, la population écoute davantage les chefs religieux que les politiciens, alors ces derniers trouvent moyen de profiter de cette situation.

«Lorsque les politiciens veulent transmettre un message, ils le font par l'entremise des chefs religieux. La religion joue un rôle majeur dans notre vie sociale et politique», explique-t-il. «Si vous voulez être populaire, vous devez faire partie d'une organisation religieuse.»

Bien qu'il y ait de réels cas de conflits purement religieux, comme dans certaines régions du Nigeria où des musulmans répandent la charia et l'imposent aux non-musulmans, M. Sani est d'avis que les vrais coupables derrière les affrontements sont les personnalités politiques. La situation décrite au Nigeria, il l'a constate dans plusieurs autres pays africains : Congo, Kenya, Zambie, Ghana, Côte d'Ivoire et Niger.

Malgré les conflits et leurs complexités, Mme Owono est optimiste au sujet de l'année 2011, année où plusieurs pays africains vont célébrer leur 50e anniversaire d'indépendance.

«J'espère vraiment que 2011 amènera de nouvelles personnalités politiques, qui sont jeunes et apportent de nouvelles idées et solutions aux problèmes qui durent depuis 50 ans. J'espère que nous traversons maintenant un renouveau politique, qui aidera à se débarrasser des vieilles habitudes.»

 

Version originale : Religion As Politics in War-torn Africa