Rencontre avec l' ethnobotaniste François Couplan

Écrit par Raïssa Blankoff, La Grande Époque
26.02.2011

  • François Couplan en enfourne une belle à pleine bouche(攝影: / 大紀元)

Vivent les décombres !

Une après-midi sur le terre-plein de la Porte Maillot et sur les sentiers du bois de Boulogne à Paris en compagnie de l’un des plus éminents spécialistes des plantes sauvages, l’ethnobotaniste François Couplan.

Vous espérez une forêt gonflée de chlorophylle, lui se complaît dans les décombres où s’évertuent quelques pousses que vous n’auriez jamais remarquées. Il dédaigne un moment l’extrême luxuriance de la nature pour se pencher sur la vie à tout prix, une tige de vergerette du Canada coincée entre deux pavés, une minuscule fleur jaune de luzerne qui dépasse d’une pierre.

Ce défi d’une vivacité émouvante, il le perçoit comme un aigle la plus petite proie, de sa grande hauteur. Pourvu que ça pousse, librement, sauvagement, incomparablement divers.

Quand François Couplan, chaussé de ses grandes bottes, pénètre en forêt, on dirait qu’il rentre chez lui: chaque présence – feuilles, bois, brindilles, bourgeons, coques, mousse, graine – porte non seulement un nom, mais une odeur, une saveur, une histoire, et donc une émotion. Chaque buisson, chaque touffe, a sa raison d’être là, évidente ou mystérieuse, qu’importe.

Et le suit, le cas échéant, un petit groupe coloré et curieux qui marche, lui, dans du vert, dans du vent, dans l’odeur des feuilles en automne, dans un paysage flou d’où émerge de temps à autre une connaissance, pissenlit, ortie, pâquerette…

Un terre-plein au milieu de la Porte Maillot

Sur un petit terre-plein en plein milieu de la circulation de la Porte Maillot, à peine entend-on les propos de François Couplan, couverts par un bruit assourdissant : «Observez, caressez, sentez, goûtez, il sera toujours temps pour que je vous les nomme, toutes ces plantes !» L’ethnobotaniste revendique une approche d’abord sensuelle : «Touchez les pétales de cette mauve, et vous devinerez son usage, oui, c’est ça, elle sert à adoucir. En Egypte, ajoute-il, le plat national utilise la feuille d’une plante apparentée à la mauve sous la forme de fondue végétale où l’on trempe son pain… Attention, vous êtes en train de mettre le pied sur une sauge à fleurs de verveine, ça ne se trouve pas partout !» Il a suffi de se retourner pour trouver l’orge des rats «qui pousse où il n’y a pas d’herbicide». Qui eût cru que ce vilain petit parterre au-dessus du périphérique regorge de tant de trésors ?

Mais, il y a des toxiques, il faut se méfier. «Comment les différenciez-vous ?», ose une jeune sophrologue qui vient pour la première fois. «On ne mange pas ce qu’on ne connaît pas !» C’est sûr que ce n’est pas en deux heures de balade qu’on peut s’improviser cueilleurs et consommateurs de plantes sauvages. La douzaine de néophytes (pour la plupart), carnet et crayon à papier dans une main, appareil photo dans l’autre, immortalisent avec une certaine frénésie ces plantes auxquelles, la veille, ils n’auraient pas accordé le moindre regard. L’attention s’aiguise, en vrac, dans le désordre. Trèfle, pâquerette, plantain se transforment en pépites soudain très recherchées.

Entre le trottoir et le caniveau, le long du grillage du jardin d’acclimatation poussent les ingrédients d’une salade géante de chénopodes blancs, épinards sauvages consommés depuis la nuit des temps. Olivier est graphiste : «C’est bon à connaître en cas de pénurie, je suis né à la campagne, mais je ne connais pas les plantes sauvages, je reviendrais bien pour un week-end ou une semaine.»

On n’est certainement pas là pour constituer un catalogue ou recenser toutes les plantes du bois. Rien à voir. Nous sommes tout simplement invités, et ce n’est pas une mince affaire, à transformer notre regard, et par là notre relation au monde végétal, voire au monde tout court. Prendre une loupe pour regarder longuement et patiemment l’envers d’une feuille où se dessine tout un monde de duvets, de rainures, de petits trous, de couleurs. C’est l’armoise, dédiée à Artémis-Diane, la plante des femmes, celle qui, en infusion ou décoction, facilite la venue et le bon déroulement des règles. «J’aime enseigner selon les règles du jeu marabout-bout de ficelle-selle de cheval…», poursuit François Couplan. «Une chose en amène une autre, ce n’est pas une énumération, il y a une logique du vivant».

Les plantes sauvages sont une nourriture fraîche, inépuisable, gratuite, gorgée de vitamines, minéraux, acides aminés et oligo-éléments. François Couplan s’est associé à de grands chefs cuisiniers, notamment Marc Veyrat, et nous livre quelques recettes au gré de nos rencontres avec les plantes du bois : beignets de pousses d’armoise, apéritif au lierre terrestre, salade de porcelle, millefeuille de pommes au caramel d’orties, canapés d’alliaire, en déclinaison saisonnière.

François Couplan aime à couper court aux idées reçues : vous pensez que le lierre doit être arraché car il envahit tout ? «Ce n’est pas un parasite mais une plante grimpante», rectifie-t-il. Sans doute pense-t-il comme Emerson qu’une mauvaise herbe est une plante dont le quidam n’a pas encore trouvé les vertus. Ou plutôt, pour François Couplan, il n’y a pas de mauvaise herbe, parce que le monde, c’est tout le monde, et le monde végétal ne fait pas exception.

Une flore qui est la plus pauvre du monde

Silhouette reconnaissable entre toutes, yeux très bleus, chapeau de feutre piqué de plumes sans doute trouvées ici et là, il a réponse à tout. Et peut parler des heures sans s’arrêter et nous de l’écouter, bouche bée. «Et voici la moutarde qui est dans tous nos frigos ! » A Paris, on trouve, au bas mot, 800 espèces de plantes, la moitié de ce qui pousse dans toute la Grande-Bretagne. La biodiversité, c’est en ville que vous la trouverez. Il n’y a plus une seule forêt naturelle dans toute l’Europe. Ici, on trouve neuf espèces de chênes, en Amérique cinquante.

«La flore européenne est la plus pauvre du monde. En France, il ne subsiste que 4 200 espèces. En Turquie, 10 000, au Panama 20 000, en forêt tropicale 200 à 300 par hectare. Vous pensez à la pollution ? Non, ça remonte beaucoup plus loin, au temps des glaciations.»

Marc, 30 ans, informaticien en reconversion, enregistre tout : «Je vis à Paris depuis 30 ans, je cherche à être plus près de la nature. J’aime beaucoup son approche, c’est loin du bio et de tout ce courant, il va beaucoup plus loin.».

Bientôt, de gros massifs d’ortie nous barrent presque le chemin : «Comment la cueillir sans se piquer », s’exclame le groupe presque en chœur. En guise de réponse, François Couplan en enfourne une belle à pleine bouche : «Faut savoir la caresser dans le sens du poil ! Et cette bardane, au cœur de velcro, celle qui produit les teignes qui collent aux cheveux, saviez-vous que sa jeune tige se mange comme un artichaut tendre et croquant ? Le tilleul, vous pensez à l’infusion ? Mais cet arbre a beaucoup plus de ressources: goûtez, sa feuille translucide se mange à même la branche. Pendant la guerre, on s’en servait pour rallonger la farine rationnée, ça faisait des protéines en plus. Passez votre doigt sur la feuille de l’orme, c’est un papier de verre très fin.»

Janine, diététicienne, qui fait partie depuis deux ans d’un jardin partagé dans le 19e arrondissement, reconnaît fièrement le millepertuis, la feuille aux mille trous comme son nom l’indique, connue pour son huile rouge et ses propriétés antidépressives. Patrick, en voulant attraper un spécimen pour son herbier, arrache la racine. Y a plus qu’à replanter! François Couplan attend de ses élèves un soin tout particulier envers ce monde si précieux.

On s’arrête enfin pour une pause devinette: François Couplan nous tend une petite chose qui ressemble à une ficelle brune, son odeur est caractéristique, chacun cherche. Michel, botaniste à Strasbourg, lève tout de suite la main: eh oui c’est l’odeur du dentiste, le clou de girofle, là sous nos pieds.

Un maître qui enseigne la nature

François Couplan est sans doute un maître, par son immense connaissance et par son expérience, mais surtout parce qu’ il enseigne bien autre chose que les plantes sauvages. Son propos, ses actes et toute sa personnalité sont tournés vers cette célébration qu’est la nature à notre portée. Ce monde vibrant, il le porte en lui. Qu’importe qu’il faille se mettre à genoux ou même à plat ventre pour le contempler, que le recevoir requière la plus infinie patience et la plus stricte rigueur, que sa pleine perception exige un don de la personne toute entière, le voyage en vaut plus que la peine. Si vous êtes prêt, vous serez comblé.

Pour en savoir plus : www.lagrandesante.com

François Couplan, ethnobotaniste, docteur ès sciences, enseigne les utilisations des plantes et anime depuis plus de 35 ans en Suisse, en France et aux Etats-Unis des stages de découverte de plantes, des stages de gastronomie sauvage, de survie douce et de techniques de vie primitive. Il a vécu de très nombreuses expériences au cœur de la nature, sur les cinq continents, en particulier avec les tribus indiennes d’Amérique du Nord.

Il est directeur de la collection Les plantes et leurs vertus aux Éditions Sang de la Terre.

Il est l’auteur de plus de 60 ouvrages, dont deux encyclopédies et de plusieurs ouvrages destinés aux débutants. Dernièrement, il a publié Le petit Larousse des plantes médicinales, Le Régal végétal et Cuisine sauvage.

Il collabore avec de grands chefs cuisiniers, notamment Marc Veyrat.

En 2008, il a créé le Collège pratique d’Ethnobotanique qui dispense une formation complète sur trois ans, destinée à tous ceux qui se sentent profondément concernés par les plantes pour mieux les connaître et, à leur tour, les enseigner.

Pour en savoir plus : www.couplan.com