Comme un arrière-goût de craie

Écrit par Mathieu Côté-Desjardins, La Grande Époque
13.03.2011

  • Christian Lapointe déstabilise dans son rôle de Sebastian Bosse(攝影: yanick macdonald photographe / yanick macdonald photographe)

Je déteste les théâtres fermés, les acteurs qui ne regardent que leurs pairs, les pièces qui ne parlent que du théâtre. C’est souvent ce qui fait qu’une portion du public ne se reconnaît pas dans le théâtre. Pourtant, il peut être un instrument puissant pour changer nos visions du monde. Ici, avec Le 20 novembre, on ne tombe justement pas dans la complaisance.

Le 20 novembre 2006, une fusillade éclate dans la ville d’Emsdetten en Allemagne. Sebastian Bosse, 18 ans, a ouvert le feu sur les élèves et les professeurs de son ancienne école avant de retourner son arme contre lui et se donner la mort. Secoué par les évènements, Lars Norén se lance aussitôt dans l’écriture. L’auteur puise à même le journal intime et autres documents laissés par le jeune homme pour livrer un monologue. Le garçon se fait alors entendre dans une ultime prise de parole. Depuis la haine jusqu'à la fragilité, en passant par la lucidité et le désespoir, il raconte l’insoutenable mal-être qui l’habite, dont la ligne de faille révèle un malaise social infiniment plus profond.

Préparatifs au combat

C’est sous l’éclairage blanc néon du lilliputien théâtre La Chapelle que toutes les coutures de Christian Lapointe, comédien interprétant Sebastian Bosse dans la pièce Le 20 novembre, se révélaient brusquement à nous. En fait, on pourrait plutôt dire que Christian Lapointe n’était pas présent de la soirée, même après la longue ovation qui lui était réservée à la fin de la pièce. Le personnage de Sebastian Bosse était celui qui nous a accueillis et qui nous a salués à la toute fin. Il était déjà assis prêt à commencer son monologue lorsque les spectateurs commençaient à peine à prendre place. Sans émotion, il vivait ses derniers instants de spectateur avant de prendre les commandes, avant de «déclarer la guerre à son tour», comme il l’a dit durant le plaidoyer théâtral de 55 minutes.

Une chaise, un sac très pesant aux sonorités métalliques, un bol d’eau que l’on donne aux animaux de compagnie, des ballants allant jusqu’à des traitements rudes infligés à son propre corps, Sebastian Rosse n’avait d’yeux que pour les spectateurs. Y en a-t-il eu un seul qui n’ait pas été interpellé par sa façon incisive et déstabilisatrice de regarder tous et chacun? Il prenait le temps d’entrer dans le regard de chacun jusqu’à ce que sa propre image remplisse complètement le champ de vision. Il se promenait aussi dans les escaliers longeant les sièges et arrivait progressivement très près des spectateurs avec vélocité.

Le portrait que le personnage fait de l’école, des élèves et des enseignants est très similaire à ce que bien des gens ont vécu lors de leur scolarité. Son analyse de la société, indissociable de ce qui se trame dans le milieu scolaire, vient aussi prouver au spectateur que ce qu’il s’apprête à faire n’est pas un acte complètement motivé par la folie. On retrouve bien des moments où il est très calme, conscient et prêt par rapport à ce qu’il s’apprête à faire. À un certain moment, il utilise les murs de la scène comme tableau noir où il se met à écrire, pour ensuite casser sa craie et en avaler une partie.

 

Lars Norén a réussi où le duo de films traitant de la vie de Jacques Mesrine (Mesrine : L'Ennemi public n°1 et Mesrine : L'Instinct de mort) a échoué, par exemple. Le témoignage de Sebastian vient nous forcer à réfléchir puisqu’il crée un lien d’intimité avant la tragédie, tandis que Mesrine, interprété par Vincent Cassel, propose plutôt un divertissement où l’accent est mis sur un contexte violent et quelque peu historique, voire pauvre pour le débat.

Scénario possible d'un décrocheur

Le texte fort ingénieux de l’auteur Lars Norén était articulé de manière à ce que le spectateur qui ne bouge pas et ne parle pas (bref, qui suit son rôle à la lettre) soit un personnage important avec qui interagir. Cet échange vient soutenir la thèse de Sebastian et de l’idée qu’il se fait de la société. Le public joue à la fois le silence, le laxisme et l’immobilisme.

Sebastian Bosse était un étudiant qui avait décroché sans être considéré comme un décrocheur aux yeux du monde. Imaginez combien d’étudiants ont aussi décroché «dans leur tête» et qui sont actuellement assis dans une salle de classe. Ce que Sebastian livre dans la pièce Le 20 novembre, c’est ce qu’il aurait aimé répondre suite à des questions qu’un adulte qui s’intéresse vraiment à lui aurait posées. Cela nous amène à des questions que nous n’osons pas poser : «Pourquoi décrochons-nous de nos jeunes? Est-ce que cela arriverait si on leur donnait une vraie tribune où ils pourraient s’exprimer en toute liberté et où ils auraient des chances d’être entendus? Quelle est la place que nous donnons à cela dans la société?»

Si vous avez une pièce à voir cette année et que vous êtes sensible à ce qui se passe chez les jeunes, vous devez voir Le 20 novembre.

Le 20 novembre, du théâtre de création, Sibyllines, vous est présenté au théâtre La Chapelle du 8 au 26 mars.

lachapelle.org