Séoul peut-elle agiter efficacement carotte et bâton devant Pyongyang?

Écrit par Nicholas Zifcak, La Grande Époque
16.03.2011
  • Des Sud-Coréens brûlent un drapeau nord-coréen(Stringer: AFP / 2011 AFP)

Les Sud-Coréens demandent actuellement à leur gouvernement de durcir sa position suite aux provocations répétées du Nord. Séoul doit faire face à cette pression populaire tout en tentant de rouvrir les discussions entre les deux Corée.

Le 28 février dernier commençaient les dix jours de manœuvres annuelles conjointes impliquant la Corée du Sud et les États-Unis. Le ministre des Affaires étrangères nord-coréen a réagi avec virulence, affirmant que les exercices militaires mèneraient inévitablement vers «une réaction physique d’autodéfense de la part de l’armée de la Corée du Nord», selon le journal North Korea Times.

Les États-Unis ont été peu impressionnés par cette réaction épidermique à l’exercice militaire de routine et ont encouragé la réouverture du dialogue Nord-Sud. Lors d’une audience au Sénat, Kurt Campbell, secrétaire d’État adjoint pour l’Asie de l’Est et le Pacifique, a déclaré que les États-Unis voulaient voir «des preuves d’un engagement de la Corée du Nord envers l'amélioration des relations entre les deux pays».

Les relations entre Pyongyang et Séoul se sont tendues l’année dernière suite au bombardement d'une île sud-coréenne et au sabordage d’un navire de guerre sud-coréen, qui a entrainé la mort de 46 marins.

Dans son discours du 1er mars commémorant le 92e anniversaire du Mouvement du 1er mars contre la tutelle japonaise, le président sud-coréen, Lee Myung-bak, a réaffirmé la volonté de son pays de travailler avec le Nord en dépit des récentes agressions. «Nous sommes prêt à engager le dialogue avec le Nord dès maintenant et avec un esprit ouvert», a-t-il déclaré.

Durant les 60 dernières années, Séoul a fait preuve de retenue face aux provocations et aux agressions de Pyongyang. Plus récemment, la Corée du Nord a tenté d'enlever des Sud-Coréens, de détourner des avions, d'assassiner le président sud-coréen – y compris une attaque en Birmanie en 1983 contre le président Chun Doo-hwan.

À travers ces incidents, la stratégie de la Corée du Sud a été de «traiter les provocations de la Corée du Nord à la manière de crises d’enfants», explique Bruce Bennett, analyste en défense avec la RAND Corporation. Répondre aux provocations ne ferait qu'envenimer les choses. La Corée du Sud a jusqu’à maintenant «fait preuve d’une grande capacité de retenue», ajoute Bennett.

Mais en novembre dernier, l’attaque de l’ile Yeonpyong par la Corée du Nord est allée trop loin. C’était la première fois depuis 1953 que la Corée du Nord attaquait le territoire sud-coréen et des cibles civiles. La Corée du Nord a tiré une dizaine d'obus d'artillerie sur l’île, tuant quatre personnes.

L’attaque a soulevé l’indignation populaire en Corée du Sud. Selon un sondage de novembre dernier, 80 % des personnes se disaient favorables à des représailles militaires en cas d’une nouvelle attaque et une minorité non négligeable n’était pas opposée à une guerre, a rapporté l’Institute for Security and Development Policy (ISDP) de Stockholm.

Ce changement dans l’opinion publique a incité le pays à revoir sa politique de retenue. Une nouvelle politique de dissuasion pro-active émerge, affirme Bennett, impliquant des menaces de représailles au lieu de la patience des dernières années. En décembre, le ministre de la Défense sud-coréen, Kim Kwan-jin, s’est engagé à bombarder la Corée du Nord si de nouvelles attaques survenaient.

Lors d’une conférence de presse en décembre dernier avec son homologue américain, l’amiral Mike Mullen, le général sud-coréen Han Min-koo a reformulé cette position : «Si la Corée du Nord nous provoque à nouveau, nous répondrons par légitime défense, et la Corée du Nord paiera le prix fort pour sa provocation.»

L’armée sud-coréenne a envoyé des ballons gonflés à l’hélium transportant des dépliants de propagande au-delà de la partie sud de la zone démilitarisée dernièrement. Les prospectus avisaient des dangers de la dictature en incluant des nouvelles des récents évènements en Tunisie, en Égypte et en Libye. Ce type d’envoi par des transfuges nord-coréens est fréquent, mais l'est moins pour l’armée sud-coréenne. C'était une première depuis 1998, ce qui marque le durcissement des positions vis-à-vis du Nord suite aux deux attaques de 2010.

Le risque est évidemment celui d’une escalade, mais une nouvelle attaque ne serait pas dans l’intérêt du Nord, écrit Sangsoo Lee dans une analyse stratégique sur la Corée écrite pour l’IDSP. La question la plus urgente pour Pyongyang est d’améliorer l'économie et le niveau de vie.

Avec la fin de l’hiver, les manques de nourriture au Nord arrivent au point de déclenchement de la famine, comme souvent au début du printemps. C’est aussi au printemps l’année dernière que la Corée du Nord a torpillé un navire sud-coréen et, au printemps encore l’année précédente, qu’elle avait réalisé un essai nucléaire. «C’est donc une période de l’année durant laquelle la Corée du Nord imagine généralement une provocation comme moyen de diversion pour faire oublier ses difficultés internes», commente Bennett.

L’aide alimentaire envoyée par la Corée du Sud et les États-Unis est un élément clé d’apaisement social en Corée du Nord, il est donc très improbable que Pyongyang risque la colère de l’opinion publique sud-coréenne en s'aventurant avec une nouvelle attaque. Cette colère a été à l’origine de l’interruption de l’aide de 2010. Pour éviter que la situation se reproduise, Sangsoo Lee pense que le Nord choisira l’action ayant le moins d’effet sur l’opinion publique sud-coréenne – donc très probablement un nouvel essai nucléaire souterrain, avec comme effet secondaire de forcer Washington et Séoul à revenir à la table des négociations et ainsi obtenir de l'aide alimentaire.