Anglais | Chinois | Coréen | Français | Allemand | Espagnol | Japonais | Russe | Ukrainien | Hébreu | Roumain | Bulgare | Slovaque | Tchèque | Indonésien | Vietnamien
Faites un don

L’expérience d’une journaliste française en Chine

Écrit par Sanda Varan, La Grande Epoque
20.03.2011
| A-/A+
  • u00ab J’ai travaillé pour la propagande Chinoise », de la journaliste française Anne Soetemondt(攝影: / 大紀元)

«Il est rare de pouvoir prendre son temps quand on est journaliste. J’ai décidé de le prendre pour, ensuite, raconter simplement ce que j’ai vu», dit Anne Soёtemondt, dans son ouvrage J’ai travaillé pour la propagande chinoise. Aller en Chine pour travailler comme journaliste dans un média d’État n’est pas donné à tout le monde. Anne Soёtemondt l’a fait. Son témoignage est sorti dans les librairies en janvier 2011. Paru aux Éditions du Moment, son livre est la «prolongation» de son blogue, qui a été pendant toute la période qu’elle a vécu en Chine son «espace de liberté, mon coin de journalisme à moi». Le blogue et le livre nous offrent une intéressante incursion dans un pays qui reste toujours peu connu en Occident, dans un système politique éloigné de la référence des systèmes démocratiques et dans les coulisses d’un des plus grands médias chinois.

Après des études de journalisme à l’École des hautes études en sciences de l’information et de la communication à Paris, plus connue sous le nom de CELSA, Anne Soёtemondt fait ses débuts comme reporter pour France 3, au bureau régional de Lyon. Très vite, en septembre 2008, elle travaille chez Médi 1 TV, une télévision franco-marocaine, et s’installe à Tanger pendant un an pour présenter des journaux télévisés du midi et du soir. En décembre 2008, elle propose sa candidature à plusieurs médias et, en avril 2009, les premiers à répondre sont ceux du service français de Radio Chine Internationale.

Un contrôle permanent de l’information

La jeune journaliste sait très bien qu’en Chine la démocratie n’existe pas et que le pays est classé au 171e rang sur 178 du classement de Reporters sans frontière sur la liberté de la presse. Toutefois, elle décide d’y aller en acceptant provisoirement de «tirer un trait sur la déontologie» journalistique. Elle est mise en garde au début par son chef direct, le responsable du service français : «Ici on ne fait pas du journalisme. Au mieux, du secrétariat de rédaction.» À la radio chinoise, «tout est rédigé à l’avance pour les journaux comme les émissions, et le direct est proscrit, notamment pour les journaux d’actualité».

L’enregistrement permet un contrôle du contenu, et donc de l’information. Les émissions et journaux sont réécoutés avant diffusion. Anne Soёtemondt observe que «la langue de bois favorise la parole officielle et empêche l’expression de pensées critiques» et que le «vocabulaire policé, répétitif» est aussi destiné à empêcher l’auditeur de mettre en doute le discours véhiculé. La seule solution pour décrypter la véritable actualité chinoise – qu’il s’agisse des séismes et autres catastrophes où le nombre des victimes est minimisé, des émeutes qui éclatent souvent dans les provinces, des succès dans tous les domaines économiques, de la pollution, de l’exposition universelle de Shanghai ou des Jeux olympiques – c’est de lire «a contrario les nouvelles qui font la une».

Une journaliste au statut «d’expert»

Au sein de la rédaction de Radio Chine Internationale, ses attributions sont grosso modo celles de corriger l’orthographe et la grammaire, et de soigner la syntaxe sur les textes des émissions de radio avant enregistrement. Son statut spécial porte officiellement l’intitulé «expert numéro 003112 étranger auprès du service français de RCI».

Le discours officiel de bienvenue lui remémore la «novlangue», la langue inventée du célèbre roman d’Orwell, 1984. C’est inévitable, elle perçoit immédiatement l’atmosphère de la prison – «Je me sens prisonnière d’un système auquel je ne souscris pas» – et elle vit constamment avec le sentiment qu’elle est surveillée, soit par des militaires-robots qui ne disent jamais bonjour ou, le plus terrifiant, par des bénévoles : des gens portant un brassard rouge dont le boulot consiste «à faire des rapports sur qui fait quoi». Elle cherche à deviner les lieux où ils ont caché les microphones et les caméras dans sa chambre d’hôtel. Le plus dur au début est d’accepter le manque de professionnalisme et d’exigence de ses collègues chinois, l’atmosphère qui règne dans la rédaction de la radio, le contrôle des informations, la censure pratiquée par les autorités communistes, la langue de bois utilisée par la propagande dans tous les médias, les mécanismes de la terreur entretenue par le régime, mais aussi la corruption répandue à tous les niveaux.

«Se faire harmoniser»

Radio Chine Internationale est – selon Liu Xiaobo, lauréat du prix Nobel envoyé en prison parce qu’il a parlé de la corruption dans les médias d’État – le média le plus corrompu de Chine. «Se faire harmoniser» signifie, au sein de la rédaction de Radio Chine Internationale, «se faire censurer». Cette pratique a lieu chaque fois qu’un expert essaie de couper ou de réécrire les textes pour les rendre plus digestes pour les auditeurs.

Il existe aussi des tabous, des noms absolument interdits de citation dans les médias chinois. Le massacre des étudiants sur la place Tiananmen en juin 1989 n’a jamais existé officiellement. De même, le Tibet a été libéré en 1950 quand les troupes chinoises sont entrées dans le pays et le dalaï-lama n’est qu’un politicien. La Chine et Taiwan sont considérés comme un pays «seul et uni», malgré la volonté de Taiwan. Falun Gong – une école de qigong persécutée en Chine depuis 1999 – et d’autres minorités ethniques ou religieuses telles que les Ouïgours et les chrétiens, Reporters sans frontières ou le nom de certains dissidents, avocats de droits de l’homme, sont bannis. «Quand une information embarrasse l’État, c’est simple, il verrouille la presse et cela marche.»

Le tout semble difficile à croire quand il existe dans ce pays, selon les statistiques du ministère de l’Information, 2000 journaux, 9000 magazines en mandarin et en dialectes, un taux de couverture radio de 96,31 %, 2000 chaînes de télévision pour les centaines de millions de téléspectateurs et que, de plus, chaque province chinoise, 22 au total, a sa propre chaîne.

La journaliste voit de ses propres yeux que «peu de Chinois s’imaginent que les médias peuvent être un vecteur de contestation sociale». M. Li, le professeur de chinois d’Anne, lui dira : «Personne ne croit les journalistes ici, ils font de la propagande.»

Quand le réseau CCTV lui offre un contrat pour présenter les journaux en français, la journaliste comprend que c’est le moment de choisir et elle va refuser parce que «accepter ce poste à la CCTV, c’est non seulement mettre en forme la propagande, mais aussi lui donner un visage, le mien […] L’éthique a cette fois-ci dépassé ma curiosité».

Un journalisme mis en scène

Comme les autres 150 experts qui travaillent pour les 50 services en langues étrangères, Anne Soёtemondt a aussi une fonction de représentation, cela veut dire qu’elle est poliment «escortée» et photographiée dans des endroits stratégiques pour montrer au monde qu’il y a des journalistes étrangers en Chine. Elle est «invitée» à participer aux évènements «culturels», comme le concours de «chants rouges» ou à faire la publicité pour certains sites touristiques, le célèbre «tourisme rouge», un profitable pèlerinage sur les lieux mythiques de la Révolution chinoise, la cité troglodyte où Mao a vécu après la Longue marche (1935-1948).

Cela fait partie aussi d’une campagne que le gouvernement chinois a lancée depuis quelques années, une énorme opération de soft power. «Pékin mise sur la culture et les médias pour redorer son blason. Objectif : changer l’image souvent négative de la Chine à l’étranger.» C’est certainement grâce à cette politique et parce que la radio «veut mieux profiter de ses compétences» qu’au bout de quelques mois, Anne Soёtemondt est chargée d’une émission de société, Prise directe. Elle va tout faire pour donner aux émissions enregistrées un certain dynamisme et amener certains sujets intéressants, comme la condition de la femme et le mariage, Internet, le voyage au Tibet, etc., à ne pas subir une censure. Elle veut montrer à ses collègues chinois à quoi ressemble le vrai journalisme. Son concept est «faire parler les Chinois des Chinois», et cela marche. On peut voir ainsi de belles petites victoires contre le système.

La plus grande surprise vient au moment où la journaliste commence à comprendre le pragmatisme des Chinois. Ils ne sont pas dupes, ils ne croient pas aux mensonges de l’État mais, pour vivre mieux, ils deviennent membres du Parti et participent à la mascarade, ayant la capacité «d’être à la fois dans le système et en dehors». Ainsi, elle va découvrir peu à peu «une autre Chine : les rires, les chants, la simplicité, l’humour plutôt que la politique, Mao, la corruption et la pollution». Heureusement, la journaliste s’est fait en Chine quelques bons amis parmi ses collègues venus du monde entier; et en riant, en parlant un peu de tout, la vie est devenue plus respirable. «J’ai rarement autant ri de ma vie, et d’aussi bon cœur.»

Elle ne regrette pas sa décision d’être allée vivre en Chine au sein d’un média chinois. Elle a ainsi eu l’occasion de beaucoup réfléchir au travail et à l’éthique journalistique. Racontant sa vie quotidienne, Anne Soёtemondt fait preuve d’humour, de courage et d’une grande capacité à observer le monde dans lequel elle vit. Même s’il s’agit d’un livre-document, d’un vrai témoignage, elle a fait le choix de changer les prénoms, de flouter les visages, de brouiller les pistes, d’inventer des personnages afin de protéger ses collègues et amis restés là-bas, tout en faisant leur éloge.

En parlant de son ouvrage, Anne Soёtemondt déclare : «Il ne s’agit pas d’un manuel de journalisme ni d’un essai antichinois», et c’est vrai. C’est beaucoup plus et peut-être, avant tout, un bildungsroman, un «roman d’apprentissage», un roman qui a pour thème le cheminement évolutif d’un héros, souvent jeune, jusqu’à ce qu’il atteigne l’idéal de l’homme accompli et cultivé.

Plus de 204 718 434 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.