Le cinéma politique possède-t-il encore un pouvoir sur les esprits?

Écrit par Alain Penso, La Grande Époque
09.03.2011

  • Santiago 73 post mortem de Pablo Laurain (2010)(攝影: / 大紀元)

Mélies, le premier vrai cinéaste qui représente l’illusion

Georges Mélies (1861-1938), l’inventeur génial des trucages, des premiers studios, des documentaires reconstitués, avait compris les difficultés qu’engendraient les rapports complexes entre les institutions, les faits, les artistes et les spectateurs.

Méliès a toujours considéré le cinéma comme un art où la maîtrise des formes et l’ordre des images sont essentiels. À ce propos, l’apprentissage de la magie va jouer un rôle de premier plan dans l’adresse avec laquelle Mélies réalise ses films. En 1888, il achète le théâtre Rober Houdin et en devient directeur, mettant en scène des spectacles d’illusion dont il se servira plus tard pour ses films.

De l’illusion à la réalité, genèse du documentaire et naissance du cinéma politique

En 1899, il réalise L’Affaire Dreyfus, une reconstitution de dix minutes qui témoigne tout son intérêt pour le réalisme politique. Georges Mélies avait inventé une façon de susciter la réflexion par le spectacle. D.W. Griffith (1875-1948), admirateur du réalisateur, disait de lui: «J’ai tout appris de lui », et Chaplin d’ajouter: «C’est l’alchimiste de la lumière». Griffith, un génie peu ordinaire, s’inspirant des premiers essais politiques du cinéaste, réalisera Naissance d’une nation (1915) qui bouleversera à jamais la façon de montrer les faits historiques et fera naître le cinéma politique.

L’artiste-cinéaste raconte le déroulement de la guerre de Sécession selon le point de vue sudiste. Griffith n’est que le reproducteur en images dramaturgiques de l’idéologie qui circulait à l’époque du tournage. Il n’était pas conscient de transporter du racisme, reproduisant des idées qui circulaient à cette époque. Ne prenant sans doute pas assez de recul avec les événements, D.W. Griffith a construit un film politique qui s’apparente à de la propagande.

L’influence du cinéma politique sur les faits

À la suite de ce film qui connaît un grand succès, le Ku Klux Klan renaît. D.W. Griffith est profondément blessé par les insultes et attaques dont il fait l’objet. Le cinéaste, excédé, mettra en chantier un vrai chef d’œuvre, Intolérance (1916) pour se disculper et répondre à ces accusations de racisme qui lui sont assénées pour dénigrer son travail de cinéaste. Le film traite de quatre époques différentes de l’histoire : la répression des grèves, le massacre de la Saint-Barthélémy, la passion du Christ et Babylone. Des acteurs prestigieux – Lilian Gish, Douglas Fairbanks – participeront à l’interprétation de ce film. Cette super production d’une durée de 163 minutes fut un échec commercial, elle fit cependant travailler 60.000 figurants, techniciens et acteurs.

Le cinéma œil, un mouvement esthétique et politique d’avant-garde

Dziga Vertov (1896-1954), avec le cinéma œil, ouvre le champ du documentaire, ainsi que de la réflexion filmique et politique. Il s’oppose au film dramatique et littéraire. En 1918, il rejoint la révolution et devient le premier rédacteur monteur du premier journal d’actualité soviétique filmé. Jusqu’en juin 1919, il réalise 40 films d’actualité.

En 1922, il sort plusieurs numéros de Ciné-Vérité (Kino-Pravda), magazines filmés composés de différents reportages, dont il tire une philosophie du cinéma. L’Homme à la caméra (1929), tourné à Odessa et dans d’autres villes soviétiques, traite de la vie quotidienne des habitants. Le cinéaste filme ses propres réactions face aux sujets qu’il capte. Il est célèbre pour la mise en abyme, le cinéma dans le cinéma. On peut considérer L’homme à la caméra comme un manifeste esthétique de recherche du cinéma d’avant-garde soviétique, échappant aux censures dont ont été victimes à peu près tous les cinéastes soviétiques, peu libres sur le choix de leur sujet. Les autorités contrôleront tous les moyens d’expression, mais ne réussiront pas cependant à surveiller tous les tournages.

Le pouvoir politique du cinéma est perçu par les dictateurs

Dès les débuts du cinéma, les gouvernants comprennent l’importance du film et son influence sur le plan politique. Dans l’Allemagne nazie, Joseph Goebbels demande à Fritz Lang, réalisateur de Metropolis (1927), chef d’œuvre mondial, de diriger le cinéma allemand. Goebbels utilisait la culture pour parfaire ses crimes. Baldur von Schirach, chef des Jeunesses hitlériennes, n’avait pas hésité à dire: «Lorsqu’on j’entends le mot culture, je sors mon révolver». Fritz Lang quittera l’Allemagne en avouant à Goebbels, ministre du Reich à l’Éducation du peuple et à la Propagande, qu’il était juif. Baldur von Schirach lui avait répondu: «C’est nous ici qui décidons qui est juif et qui ne l’est pas».

Le cinéma, faute d’armes plus efficaces, malmène les assassins et dictateurs

Se souvenant avec dégoût de sa relation avec un responsable nazi, Fritz Lang décide de ne pas en rester là. En pleine guerre, en 1941, il adapte le livre Rogue Male de Geoffrey Household. Il travaille avec le scénariste Dudley Nichols, choisit Arthur Miller pour la photographie et Alfred Newman pour la musique. Fritz Lang signe un magnifique film anti-nazi, Chasse à l’homme (Man Hunt), avec Walter Pidgeon, Joan Bennett, George Sanders et John Carradine. Le suspens et l’élégance des personnages s’allient à une intrigue inattendue où réflexions et intelligence côtoient le film d’aventure. L’approche reste hollywoodienne.

La même année, Vincent Sherman tourne Échec à la Gestapo (All Through the night, 1941) dans un souci de faire prendre conscience aux Américains que les Européens sont en guerre, ce qui échappe, à cette date-là, au peuple américain, non encore incommodé sur son territoire par des hostilités et des soldats morts.

La prise de conscience politique des Américains

La prise de conscience va être lente mais sûre et les films vont largement y contribuer. Humphrey Bogart participera à l’effort de guerre entrepris par le cinéma après Pearl Harbor et l’attaque japonaise du 7 décembre 1941. Les Américains déclareront la guerre au Japon et le cinéma se mettra au travail, utilisant la propagande cinématographique pour combattre l’idéologie totalitaire de l’axe. Casablanca de Michaël Curtiz (1941) avec Humphrey Bogart et Ingrid Bergman, défend l’idéologie libérale américaine. L’action se déroule pendant la Seconde Guerre mondiale à Casablanca, contrôlée par le gouvernement de Vichy. Casablanca remportera 3 Oscars en 1944 et sera considéré comme l’un des plus grands films américains de tous les temps.

Chaplin et le film politique

Dans les films de cette période, Le Dictateur (1940) a compté parmi les premiers films se moquant ouvertement des Allemands et de leur dictateur. Charles Chaplin a eu la pression de l’United Artist pour ralentir la production du film. C’était à leurs yeux une faute politique de favoriser la sortie du film, les Américains n’étant pas encore en guerre contre les Allemands.

S21, la machine de mort khmère rouge (2002) de Rithy Panh traite de la politique d’élimination systématique orchestrée par les Khmers rouges, au Cambodge, entre 1975 et 1979, et plus particulièrement au S21, bureau de la sécurité du régime. Les auteurs ont cherché à rapprocher les bourreaux fonctionnaires de l’unité d’extermination S-21 et des victimes pour confronter leurs témoignages. Un exercice où le tragique côtoie l’absurde. Les bourreaux devaient tuer sinon ils étaient eux-mêmes mis à mort pour désobéissance. Avec ce documentaire puissant et personnel, Rithy Panh nous livre un pur chef d’œuvre.

Un assassin dictateur doit-il être dispensé d’être jugé par une cour internationale?

Santiago 73, Post Mortem (2010), écrit et réalisé par Pablo Larrain, raconte une difficile réalité fondue dans une fiction qui rappelle la tragédie que le Chili a connue. Salvatore Allende est élu démocratiquement président du Chili en 1970. Ce n’est pas du goût des Américains qui soutiennent alors un opposant, Pinochet, qui fera du pays une boucherie. Dans la fiction, Mario est greffier à la morgue où il retranscrit des rapports d’autopsie. Il rêve de déclarer sa flamme à sa belle voisine. Le nombre d’admissions à la morgue augmente de façon exponentielle, par camions militaires entiers. Ce film politique montre le désordre psychologique que peut entraîner le changement de régime politique.

 

  • Missing de Costa Gavras (1982)(攝影: / 大紀元)

Dans Missing (1982), Costa Gavras décrit les réactions d’un homme d’affaires américain qui débarque à Santiago du Chili en 1973 pour se mettre à la recherche de son fils disparu. Jack Lemmon prend le rôle à bras le corps. Le père de Charles, disparu, fait une enquête avec sa belle fille Beth (Sissy Spacek) et accuse l’ambassade américaine de complicité avec les putchistes...

Renaissance du cinéma politique dans les années 70

Hélas, le cinéma français n’a donné que peu de films sur la guerre d’Algérie. Yves Courrière et Philippe Monnier réalisent La Guerre d’Algérie (1970), le premier documentaire consacré au sujet. Avoir vingt ans dans les Aurés est réalisé par René Vautier en 1972. Yves Boisset, artiste engagé qui dans les années 70-80 dénonce les institutions qui manquent de transparence, réalise R.A.S. sur la guerre d’Algérie.

Le cinéma politique est passionnant car il n’exclut ni l’aventure, ni la réflexion, ni le mystère. En revanche, il participe à l’équilibre psychologique des êtres qui ne sont pas versés dans des histoires abracadabrantes où la transparence est absente.

apenso@hotmail.fr