Tentations populistes en Finlande

Écrit par Corinne Deloy, Fondation Robert Schuman
18.04.2011

  • Le Parlement finlandais. (MIKKO STIG/AFP/Getty Images)(攝影: / 大紀元)

2.315 candidats, dont 39% de femmes, sont en lice pour les élections législatives le 17 avril prochain en Finlande. Selon une enquête d'opinion publiée par le Helsingin Sanomat, les trois-quarts des jeunes âgés de 18 à 28 ans s'apprêtent à se rendre aux urnes. Ils étaient 67,9% à avoir voté lors des dernières élections législatives du 18 mars 2007. Les questions liées à l'État providence, les inégalités et le chômage sont les thèmes qui les mobilisent le plus. Le ministère de la Justice organise également des débats sur le scrutin à l'attention des immigrés ayant obtenu la nationalité finlandaise. Ils ont augmenté de 40% par rapport au précédent scrutin législatif du 18 mars 2007 et représentent 1% des inscrits.

Les «Vrais Finlandais» seront-ils le premier parti populiste à entrer au gouvernement d'un pays du nord de l'Europe?

Ces dernières décennies, la Finlande avait la particularité de compter trois partis de force quasi-équivalente: le Parti du centre (KESK) et le Rassemblement conservateur (KOK), à droite de l'échiquier politique, le Parti social-démocrate (SPD), à gauche. Ce partage à trois semble arrivé à son terme. «Les citoyens ne distinguent plus vraiment les différences existant entre les trois partis très semblables les uns des autres», déclare Tuomo Martikainen, professeur à l'université d'Helsinki. «Il ne va plus de soi que le Rassemblement conservateur remporte finalement les élections. Il y a maintenant quatre partis (KESK, KOK, SPD et Vrais finlandais (PS)) qui ont chacun la possibilité de devenir le plus grand», analyse Sami Borg de l'université de Tampere. La Finlande avait fini par ne plus avoir de véritable opposition. En augmentant leur crédibilité au fil des années et des scrutins, les «Vrais Finlandais» ont comblé ce vide. «Timo Soini a cassé la rhétorique traditionnelle que les gens détestent. Il a su parler des valeurs traditionnelles et s'adresser aux plus pauvres», souligne Tuomo Martikainen. Le leader populiste a su se donner l'image d'un homme du peuple et d’un défenseur des «petites gens» contre le pouvoir établi.

Le Forum des affaires et de la politique (EVA) a réalisé au début de l'année 2011 une enquête d'opinion sur les valeurs et les attitudes des Finlandais. Le sondage, effectué tous les deux ans, révèle que ceux-ci sont devenus plus critiques à l'égard du système de prise de décision et des partis politiques et que leurs attitudes à l'égard des étrangers se sont durcies. 40% considèrent qu'aucun parti politique ne s'intéresse aux véritables problèmes, un pourcentage en hausse par rapport aux précédentes enquêtes. 78% estiment que les partis politiques se sont éloignés des problèmes des citoyens, soit huit points de plus qu'il y a deux ans. «La protestation progresse de façon importante. Ce qui est contradictoire, c'est que les Finlandais s'intéressent davantage à la politique. Selon l'enquête d'opinion, 56% d'entre eux s'intéressent à la politique et la suivent activement, contre 51% il y a deux ans. L'augmentation de cet intérêt est due aux élections législatives et à la croissance de la popularité des Vrais Finlandais», analyse Ilkka Haavisto, directeur de recherche à l'EVA.

L'Union européenne, clivage de la scène politique finlandaise

En 2011, les «Vrais Finlandais» ont déjà remporté une victoire en parvenant à fixer l'agenda électoral. L'accueil et l'intégration des immigrés, ainsi que l'Union européenne sont des thèmes majeurs de la campagne législative. Le parti populiste a été le premier à capitaliser sur le thème de l'immigration mais il n'est pas le seul à en parler. L'ensemble des partis ont, ces dernières années, durci leur attitude sur le sujet. «Les Vrais Finlandais n'ont pas le monopole de la rhétorique anti-immigrés. Celle-ci résonne depuis longtemps au Parlement chez les députés des plus grands partis, mais ceux-ci n'en avaient pas fait un argument électoral», déclare Jussi Förbom, politologue. Ainsi, Tapani Tolli, député KESK, a affirmé que le (généreux) système social finlandais attirait les immigrés et a demandé à son parti de réfléchir à renoncer à l'octroi du droit de résidence sur des bases humanitaires. Kari Rajamaeki, député SPD, a exigé un contrôle plus strict de l'immigration.

«Les Vrais Finlandais sont autoritaires, favorables à la famille, à la loi et à l'ordre et opposés à l'immigration. En cela, ils sont d'extrême droite», analyse Anders Hellström, politologue ajoutant: «Ces partis ne sont plus marginaux. Ils sont établis, ils font partie désormais du courant dominant». Les autres partis ne peuvent plus se permettre de ne pas se positionner sur les enjeux mis en avant par les «Vrais Finlandais» en dénonçant ceux-ci comme infondés ou de négliger le vote protestataire.

Timo Soini déplore le fait que les criminels bénéficient d'une protection juridique élevée, que les étrangers ayant commis des crimes ne sont pas expulsés plus souvent et remet en cause le quota annuel de réfugiés. Le vice-président du parti, Veli-Matti Saarakkala, a déclaré qu'aucun autre pays ne possède un tel quota. Il souhaite diminuer les aides sociales payées aux étrangers ayant obtenu le permis de séjour.

Désindustrialisation, implication des partis politiques (KESK et KOK) dans des scandales financiers, crise de la dette en Europe, telles sont les raisons expliquant la montée des «Vrais Finlandais» dans les enquêtes d'opinion.

Mais le sujet actuel sur lequel le parti populiste mobilise – avec succès – l'opinion publique est le suivant: la crise de la zone euro et de la dette en Europe. Les difficultés économiques actuelles de l'Union européenne sont un thème qui résonne de façon particulière dans un pays où l'euroscepticisme est toujours vif parmi une partie de la population. Juhha Väätäinen, champion d'Europe du 5.000 et du 10.000 mètres en 1971 et membre des «Vrais Finlandais», a ainsi déclaré qu'avec l'argent versé à la Grèce, la Finlande pourrait construire 20.000 nouveaux logements.

Le Premier ministre, Mari Kiviniemi (KESK), a tenté de rassurer les électeurs sensibles aux arguments anti-européens des «Vrais Finlandais» en déclarant que la contribution de son pays au Fonds européen de stabilité financière (FESF) ne sera pas modifiée. Le ministre des Finances, Jyrki Katainen, leader du KOK, a ainsi adopté une ligne dure face à la demande de l'Irlande d'une baisse du taux d'intérêt (5,83%) de la tranche européenne du prêt international qui lui a été accordé. Il a cependant admis que si le Portugal demandait une aide à l'Europe, la Finlande devrait tenir ses engagements en souscrivant à l'augmentation des garanties de prêt du FESF. «Il est assez évident que nous devrons accroître les garanties de prêt. Simplement, nous ne savons pas quand cela se produira», a déclaré Jyrki Katainen.

La présidente finlandaise, Tarja Halonen (SPD), a indiqué que «les bons élèves, comme la Finlande et l'Allemagne, n'étaient pas destinés à être les banquiers de demain (...) Nous sommes prêts à protéger l'euro mais chacun doit veiller sur son économie et se conformer aux règles».

Timo Soini a renoncé à sa volonté d'obtenir une dérogation concernant la participation de son parti au prochain gouvernement. Lors du premier débat télévisé de la campagne électorale le 31 mars, il a déclaré que si les «Vrais Finlandais» entrent au gouvernement, ils s'opposeront au mécanisme européen de stabilité comme à d'éventuelles aides au Portugal et à l'augmentation des garanties. «Nous honorerons les engagements pris par la Finlande. Je veux dire que nous soutiendrons l'Irlande et la Grèce. Mais pas davantage (...) Notre but est de faire prendre conscience aux Finlandais que le système doit être renégocié. Nous ne souhaitons pas socialiser la dette. Cela contribuerait à transférer encore davantage de nos pouvoirs nationaux vers l'Union européenne», a déclaré Timo Soini ajoutant: «La Finlande ne sera pas mise à la porte de l'euro pour cela» [...]

L'avenir de l'Etat providence: les questions clés de la fiscalité et de la redistribution

Tous les leaders politiques sont favorables à une augmentation des impôts (1 à 1,5 milliard d’euros) mais ils diffèrent sur les solutions à apporter contre l'endettement du pays. Jutta Urpilainen (SPD) considère que la politique fiscale menée par les forces de droite a «ruiné l'économie de l'Europe». Elle se montre critique envers le programme des «Vrais Finlandais» qui entendent poursuivre l'endettement du pays. Le SPD souhaite réintroduire le versement d'une allocation aux parents estimant que cela rapporterait in fine 1,5 milliard d’euros.

Le Parti du centre y est totalement opposé, considérant qu'une telle allocation est injuste et ne profiterait qu'aux familles les plus aisées. Pour la Premier ministre Mari Kiviniemi, le programme fiscal du SPD constitue un «fardeau pour les entreprises» et entraînerait la destruction de milliers d'emplois; elle est favorable à une hausse modérée des impôts et s'est engagée à ne pas supprimer les minima des aides sociales ou allocations familiales. «Nous ne devons pas faire d'économies trop strictes. Nous ne devons pas répéter les erreurs que le gouvernement bleu-rouge (SPD-KOK) avait commis après la crise des années 1990», a déclaré Mari Kiviniemi. Le KESK a pour objectif de créer 150.000 à 200.000 nouveaux emplois lors de la prochaine législature.

Une récente enquête d'opinion montre que 79% des Finlandais sont favorables à la progressivité de l'impôt sur les revenus du capital. Selon les personnes interrogées, cette progressivité permettrait de réduire les inégalités de revenus, les revenus du capital étant taxés moins lourdement que ne le sont ceux du travail. 63% souhaitent voir restaurer l'impôt sur la fortune, aboli en 2006.

Le scrutin législatif du 17 avril devrait faire naître un nouveau partage du pouvoir en Finlande. Selon toutes les enquêtes d'opinion, les «Vrais Finlandais» pourraient enregistrer une forte progression, voire devenir le deuxième parti politique du pays, ce qui constituerait un bouleversement. Dans ce cas, Timo Soini se retrouverait dans la position de faiseur de roi. «Si le parti remporte de nombreux sièges, il sera difficile de l'exclure des négociations pré gouvernementales», analyse Pasi Saukkonen, politologue de l'université d'Helsinki.

Selon la dernière enquête d'opinion réalisée par l'institut Research Insight Finland pour la chaîne de télévision MTV3 et publiée le 5 avril, le KOK et le KESK sont au coude à coude, crédités respectivement de 19,9% et 19,8% des intentions de vote. Le SPD recueillerait 18,1% et les «Vrais Finlandais» 16,2%. «Il est un peu tôt pour le dire mais ce sondage montre que les Vrais Finlandais ont peut-être atteint leur sommet. Cependant, le soutien qu'ils peuvent recueillir est par nature incertain puisqu'il dépend du mécontentement de la population et qu'il exprime une protestation», a souligné Heikki Paloheimo, professeur de science politique à l'université de Tampere.

Les «Vrais Finlandais» séduisent de nombreux sympathisants du Parti du centre, très réticents au soutien de leur pays à la Grèce ou à l'Irlande, notamment dans les milieux ruraux où le parti est bien implanté. Ils attirent également des proches du SPD. Une enquête interne réalisée par la Confédération des syndicats finlandais a révélé que 10% de ses membres soutiennent les «Vrais finlandais». La Confédération regroupe un million d'adhérents, soit un cinquième de la population.