Le Sud-Soudan se dirige vers une sécession orageuse

Écrit par Kremana Krumova, La Grande Époque
21.04.2011

  • Un panneau publicitaire célèbre les résultats du référendum au Sud-Soudan(Stringer: AFP / 2011 AFP)

La joie des Sud-Soudanais quant à l’éventuelle sécession du Nord est assombrie par les escarmouches répétitives le long de la future frontière et par les massacres qui se poursuivent au Darfour. On craint également que la guerre civile de 22 ans, interrompue par une paix fragile depuis 2005, ne reprenne de plus belle.

En janvier dernier, près de 99% des Sud-Soudanais ont choisi la séparation du Nord par la voie d’un référendum. Ce dernier faisait partie des conditions de l’Accord de paix global adopté il y a six ans. Le 9 juillet 2011, les Nations unies et les États-Unis vont reconnaître officiellement le Sud-Soudan, composé environ du tiers du territoire soudanais actuel. Cependant, de vieilles plaies s’ouvrent à nouveau et la naissance du Sud-Soudan risque de ne pas se dérouler sans accroc.

Danger au Darfour

Le Darfour constitue la principale inquiétude. Selon Nico Plooijer, directeur du programme Afrique chez IKV Pax Christi, une organisation de maintien de la paix hollandaise, la situation au Darfour est très difficile et se détériore.

Tandis que le Sud était le point de mire du monde entier, Khartoum aurait intensifié son offensive au Darfour, où en 2004 le gouvernement a perpétré l’équivalent d’un génocide, tuant au moins 300.000 personnes et forçant le déplacement de 2,7 millions, selon des chiffres de l’ONU.

Le coordonnateur humanitaire de l’ONU au Soudan, Georg Charpentier, a déclaré dernièrement que plus de 70.000 personnes ont été déplacées au Darfour depuis le début de la nouvelle ronde de combats en décembre 2010. Un Darfour qui va demeurer sous la juridiction du Nord après la séparation.

Catholic Relief Services, la plus grande et une des dernières organisations humanitaires au Darfour, a annoncé à la fin mars que le gouvernement la forçait à mettre fin à son programme alimentaire au Darfour occidental, privant 400.000 personnes d’une aide en nourriture essentielle.

«Il n’y a presque pas d’essence, les prix du pétrole augmentent. L’Armée de libération du Soudan et de plus petits groupes rebelles luttent contre le gouvernement ou entre eux», explique M. Plooijer depuis Juba, la capitale du Sud-Soudan.

Tensions à la frontière

La tension est élevée le long de la frontière entre le Sud et le Nord, particulièrement dans les trois régions d'Abyei, du Nil bleu et du Kordofan du Sud, où certains groupes préféreraient se rallier au Sud plutôt que de demeurer au Nord.

Des consultations populaires devront trancher si la région demeure avec le Nord ou non, affirme M. Plooijer. «Mais personne ne sait quand ces consultations auront lieu ni si elles auront tout simplement lieu. On s'attend donc à ce que les habitants du Nil bleu et du Kordofan du Sud n'acceptent pas de rester avec le Nord», ajoute-t-il.

«Si ces conflits ne sont pas résolus de manière pacifique, ces gens reprendront les armes».

La ville d'Abyei, riche en pétrole, est le théâtre de violences grandissantes qui pourraient dégénérer en guerre. Khartoum et Juba s'accusent mutuellement d'être responsable des accrochages.

La menace d'une nouvelle guerre à Abyei est bien réelle, à moins que la communauté internationale n'intervienne, estime le professeur Eric Reeves du Smith College, au Massachusetts.

«À moins que la communauté internationale n'applique une grande pression sur le régime de Khartoum, particulièrement sur son comportement militaire à Abyei, les risques d'une nouvelle guerre augmenteront considérablement».

Mariya Nedelcheva, membre du Parlement européen et de la délégation de l'Union européenne pour l'Afrique, est d'avis qu'une intervention internationale ne peut aider le Soudan et que les acteurs locaux devraient prendre leurs propres décisions, sans ingérence de la communauté internationale.

«Les habitants du Sud-Soudan ont eu le temps d'apprécier la joie et l'euphorie de la démocratie et de la liberté. Maintenant, le Sud et le Nord ont besoin de temps pour réfléchir à leurs priorités», affirme Mme Nedelcheva.

Plusieurs au Nord craignent toutefois les prochains développements. Avec la guerre au Darfour et la tension sur la frontière nord-sud, le pays pourrait se fragmenter et le président Omar Al-Bashir pourrait augmenter la répression afin d’empêcher cela.

«Les partis d'opposition et la population en général s'inquiètent de devoir désormais faire face à l'impopulaire et répressif PCN [Parti du congrès national] sans le tampon du Sud et du MPLS [Mouvement populaire de libération du Soudan]», a écrit John Ashworth, du Sudan Ecumenical Forum, dans un courriel depuis le Kenya.

«Les habitants originaires du Sud qui demeurent au Nord craignent pour leur avenir, mais c'est aussi le cas pour d'autres groupes qui ne se reconnaissent pas dans l'identité arabo-islamiste dont le PCN fait la promotion», ajoute-t-il.

John Ashworth mentionne qu’en comparaison avec le Nord, le vent est à l’optimisme au Sud. Les gens se préparent à la liberté bien qu'il y ait évidemment des défis en ce qui a trait à la construction de la nation, à la gouvernance, au développement et aux flambées de violence isolées.

«L'avenir pour le Sud est bon, tandis que pour le Nord cela semble sombre».

Waakhe Simon Wudu, correspondant dans l'État d'Équatoria-Central pour le média Gurtong Trust de Juba, mentionne que ce ne sont pas toutes les régions du Soudan qui souffrent de l'insécurité.

«Des régions comme le Nil supérieur, le Bahr el Ghazal et l'Équatoria sont paisibles. Les problèmes de sécurité surviennent seulement dans les régions bordant le Nord.»

Néanmoins, il y a eu des combats et des attentats dans le Sud également. De nombreux combats ont impliqué l'armée du Sud et les rebelles locaux.

Il y a trois semaines, le parti au pouvoir au Sud, le MPLS, a déclaré avoir intercepté des documents prouvant que le plan pour aider les milices du Sud était sous la supervision directe du président Al-Bashir.

En plus des tensions militaires, les deux parties ont un travail considérable à faire afin de finaliser les termes de la séparation avant la date d'échéance du 9 juillet. Quelques-unes des questions principales sont le tracé de la frontière, la division de l'énorme dette nationale, le partage des revenus pétroliers, la définition de la nationalité et de la citoyenneté, etc.

«Il est d'une importance primordiale que les pays conservent le bon ton et le dialogue, comme ils l'ont fait pendant le référendum», estime Mme Nedelcheva. Toutefois, cette bonne entente semble être un vœu pieux.

Après la sécession, les deux pays vont être indépendants et devront se conformer aux lois internationales. L'avenir du Soudan et du Sud-Soudan est entre les mains de leurs habitants et dirigeants. Il n'en tient qu'à la volonté sincère d'une coexistence pacifique et à la pression de la communauté internationale pour voir une paix durable s'établir dans la région.