L’Abkhazie dans la tourmente

Écrit par Affaires-stratégiques.info
13.06.2011
  • Des gens assistent le 2 juin 2011 aux funérailles du dirigeant abkhaze, Sergueï Bagapch(Stringer: AFP / 2011 AFP)

La petite République d’Abkhazie vit des jours instables. La mort inattendue de son dirigeant Sergueï Bagapch le 29 mai dernier, des suites d’une opération chirurgicale au poumon, a plongé les Abkhazes dans la stupeur. Depuis 2004, il était perçu par son peuple comme le garant de la stabilité. Deuxième mauvaise nouvelle pour la petite république sécessionniste : quelques jours après le décès de Sergueï Bagapch, la reconnaissance diplomatique par Vanuatu, annoncée par une source abkhaze, est fermement démentie par l’archipel. Un sérieux revers, alors que les élections pour élire le prochain président se profilent, avec, au cœur des débats, la place du grand frère russe dans «l’indépendance» abkhaze.

Habitant un petit territoire situé sur les rives de la mer Noire au pied du Caucase, le peuple abkhaze a toujours revendiqué sa singularité par rapport aux Géorgiens voisins. Profitant de la politique soviétique de division ethnique, l’Abkhazie obtient une relative autonomie jusqu’à la fin de l’URSS. L’indépendance de la Géorgie en 1992 va néanmoins effrayer les Abkhazes qui craignent pour la pérennité de leur statut. Soutenus par Moscou contre Tbilissi, y compris pendant les affrontements armés des années 1992-1993, les Abkhazes jouissent d’une autonomie de facto. À l’issue de la guerre d’août 2008 contre la Géorgie, la Russie finit par reconnaître officiellement l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, provoquant la fureur du camp géorgien.

Contrairement à l’Ossétie du Sud, l’Abkhazie vit dans une relative stabilité depuis quelques années. Mais la mort soudaine de son président pourrait tout remettre en cause. En effet, bien qu’on lui reconnaissait des qualités, il était souvent critiqué pour son attitude jugée trop pro-russe, certains l’accusant même de «brader» l’indépendance au profit du Kremlin. Il est vrai que le puissant voisin est présent dans tous les secteurs stratégiques de l’économie : transport, énergie, immobilier, défense, et a tendance à se considérer chez lui à Soukhoumi, la capitale. Or, cet enjeu pourrait bien être au cœur de la prochaine élection, qui opposera les candidats à la succession de Sergueï Bagapch. On soupçonne bien sûr la Russie de vouloir placer un homme favorable à ses intérêts à la tête de l’Abkhazie. Mais certains observateurs estiment que le prochain président, quel qu’il soit, sera bien obligé de prendre en compte l’avis du Kremlin, étant donné son économie nationale sous constante perfusion russe.

L’autre problème majeur que rencontre l’Abkhazie concerne son existence même sur la scène internationale. Aidés un temps par Moscou, les services diplomatiques abkhazes cherchent depuis 2008 à obtenir la reconnaissance de leur indépendance de la part du maximum de pays du monde. Mais la tâche n’est pas aisée. Quatre nations ont déjà accepté : Russie, Nicaragua, Venezuela, et l’archipel Nauru dans le Pacifique. Et une cinquième était récemment annoncée par Soukhoumi : Vanuatu, toujours dans le Pacifique.

Mais la joie a été de courte durée, puisque le gouvernement de Vanuatu a fermement démentie cette reconnaissance, qualifiant même l’annonce de «diffamation» et d’ «irrespect». Côté abkhaze, on assure avoir reçu un document signé du premier ministre de Vanuatu, Sato Kilman, concluant trois mois de négociations. Soukhoumi a néanmoins accepté ce refus, avec une pointe d’amertume, en soulignant le rôle négatif des diplomates américains. Pourquoi aller chercher si loin des soutiens diplomatiques? Les îles du Pacifique ont en fait une longue tradition de monnayage de leur reconnaissance diplomatique. La Chine et Taïwan se sont ainsi longtemps chamaillés dans le Pacifique Sud, obtenant parfois des reconnaissances qui duraient à peine quelques mois, au gré des changements de gouvernement. Vanuatu a, par exemple, reconnu Taïwan pendant un mois seulement en 2004, avant de faire marche arrière et de rouvrir son ambassade à Pékin.

Si l’Abkhazie n’est reconnue que par un nombre très limité de nations du monde, les prochains mois pourraient malgré tout être l’occasion de leur prouver la capacité d’organiser des élections libres et démocratiques. L’opportunité également de faire changer d’opinion l’Occident, qui penche davantage en faveur de la Géorgie, dont la réelle démocratisation se fait pourtant attendre. Il s’agirait alors d’un rééquilibrage important, affaiblissant au passage une partie de l’argumentaire géorgien, et qui pourrait peser dans de futures négociations.

Sources : The New York Times, Eurasianet, Eurasianet