Taxation des transactions financières: «Oui» français ou «Nein» allemand

Écrit par Charles Callawaert, La Grande Époque
20.06.2011

  • La bourse de Francfort en Allemagne. (攝影: / 大紀元)

Ce jeudi 9 juin, les députés allemands et français ont examiné au même moment une proposition de résolution européenne commune, prévoyant la création d’une taxe de 0,05% sur les transactions financières à l’échelle européenne afin de financer la lutte contre la pauvreté et le changement climatique. Cependant, alors que le texte était soutenu par leurs gouvernements respectifs, et que l’Assemblée Nationale l’a voté, le Bundestag a renvoyé le sujet en commission, autrement dit aux oubliettes.

La taxe Tobin critiquée par les milieux conservateurs

L’idée d’une taxation des transactions financières internationales a été émise dès 1972 par James Tobin, un économiste keynésien américain et prix Nobel d’économie, afin de lutter contre la spéculation financière à court terme qu’il jugeait contre-productive. Collectée et administrée par chaque gouvernement sur la base d’une assiette et d’un taux uniques, les fonds recueillis seraient reversés à un organisme supranational comme le FMI ou la Banque mondiale et redistribués prioritairement aux pays les moins avancés.

La Suède l’a expérimentée la première dans les années 1990, mais l’a abandonnée après avoir constaté une forte baisse de ses échanges. Cet abandon a conforté le camp des critiques, lesquels estiment qu’elle aurait plus d’effets négatifs que positifs. Selon eux, cette taxe est incompatible avec le principe du secret bancaire et donc difficile à mettre en œuvre, elle accentuerait la volatilité des marchés des changes par suite d’une diminution des liquidités, et elle n’empêcherait pas les crises comme celle de 2008, dont l’origine est plus liée à des ratios insuffisants de capitalisation des banques qu’à une spéculation excessive.

Une idée reprise par les partisans de la régulation financière

Suite à un article d’Ignacio Ramonet paru en 1997 dans Le Monde Diplomatique, et qui appelait à un financement de la réduction des inégalités sociales et de l’aide au développement par une taxation financière internationale, l’association altermondialiste ATTAC (Association pour une Taxe Tobin d’Aide aux Citoyens) est alors créée, ce qui provoque une réaction de désolidarisation de la part de James Tobin, lequel estime que l’on «détourne son nom». Cela n’empêche pas l’idée de faire son chemin et d’être reprise par les partis d’opposition européens, partisans d’une meilleure régulation des marchés financiers et d’une taxation des fonds transitant dans les paradis fiscaux. Rappelant que près de 1.500 milliards d’euros sont échangés quotidiennement d’un pays à l’autre, ces mouvements estiment qu’une taxation de 0,05% des transactions financières rapporterait de l’ordre de 200 milliards d’euros par an.

La proposition a donc beaucoup de partisans, en particulier dans les milieux épris d’une meilleure justice sociale: ceux-ci estiment en effet que la liberté totale de circulation des capitaux est un risque majeur de déstabilisation des démocraties et s’insurgent contre l’existence des paradis fiscaux, qui permettent aux banques et aux grandes entreprises internationales d’échapper en partie à l’impôt. Elle fait également des émules dans les milieux écologistes, où l’on s’interroge quant au financement des conséquences du changement climatique, et où l’on s’impatiente de l’absence de consensus international ainsi que de l’inaction des principaux responsables sur ce sujet.

Un non allemand inattendu et malvenu

L’initiative franco-allemande de jeudi dernier avait été proposée par l’opposition des deux pays (PS en France et SPD en Allemagne) puis acceptée par les partis majoritaires (UMP en France et coalition CDU-CSU en Allemagne) et les ministres des Finances Wolfgang Schäuble et Christine Lagarde. M. Schaüble avait même inscrit le produit éventuel de cette taxe dans ses prévisions budgétaires, en tablant sur une recette de deux milliards par an à partir de 2012.

Fort de ce consensus franco-allemand, le président Nicolas Sarkozy espérait bien faire front commun sur le sujet avec Angela Merkel lors du prochain G20 que présidera la France, mais patatras: la frange la plus conservatrice de la coalition CDU-CSU, non convaincue de la nécessité de cette taxe, a refusé le texte en invoquant «l’insuffisance d’études préalables». Comme le résume le député de la CSU Hans Michelbach» «C’est une proposition pour la galerie que nous ne soutiendrons pas. Jeter ainsi un chiffre de 0,05%, sans étude poussée au préalable, est une preuve d’incompétence», en ajoutant qu’il fallait «un consensus de tous les pays de l’Union européenne ou au moins de la zone euro».

Si la France ne désarme pas malgré le désaveu allemand, les avis sur la stratégie à adopter divergent. D’un côté, pressé d’aboutir, le PS propose de déposer une proposition de loi en France en invitant les autres partis européens à faire simultanément de même dans leurs pays respectifs afin de faire pression sur les gouvernements. Pour sa part, en proposant une étude des risques sur la compétitivité des marchés financiers européens, le gouvernement reprend les remarques allemandes à son compte et plaide pour un consensus européen au préalable.