Arrestation de quatre avocats en Chine

Écrit par Rona Rui, La Grande Epoque
24.07.2011

  • Manifestation contre l'arrestation d'un avocat défenseur des droits de l'homme. (MIKE CLARKE/AFP/Getty Images)(Staff: MIKE CLARKE / 2009 AFP)

Les quatre avocats Luo Sifang, Liang Wucheng, Yang Zhonghan et Yan Zaixin de la ville de Nanning dans la province du Guanxin composaient l'équipe de défense dans l'affaire de Huang Huanhai, battu à mort dans la ville de Beihai de la même province l'an dernier. Quatre hommes sont accusés d'homicide dans l’affaire.

Au cours des auditions, les quatre avocats de la défense ont présenté à la Cour les preuves que les policiers ont torturé les accusés pour leur extorquer des aveux.

Ce sont du coup les quatre avocats qui se retrouvent arrêtés pour «incitation au faux témoignage» selon l'Article 306 du Code Pénal chinois: une loi souvent détournée par les responsables lorsque ces derniers veulent réduire au silence les avocats de la défense.

Trois témoins de la scène du crime, dont les dépositions contredisent les déclarations de l'accusation, ont eux aussi été arrêtés par le Bureau Municipal de la Sécurité public de Beihai pour faux témoignage.

Le 14 juin, la police a arrêté et emmené deux avocats Yang Zaixin et Yang Zhonghan. Les deux derniers ont été arrêtés plus tard. Si les familles des avocats Yang Zaixin et Yang Zhonghan ont reçu les avis de détention criminelle des leurs, les familles de leur deux confères n'ont toujours rien reçu, annonce le blog de l'avocat Yang Jinzhu de la province du Hunan qui suit l'affaire.

Yang Jinzhu écrivait sur un blog que plusieurs mois avant son arrestation, Yang Zaixin lui avait envoyé des documents par courrier express, lui demandant d'assurer sa défense, et clamait déjà n'avoir incité personne à faire un faux témoignage. Après ce qu’il dit avoir été des recherches minutieuses, Yang Jinzhu affirme que les faits reprochés à Yang Zaixin ne sont en aucune façon «une incitation à faux témoignage».

Yang Xuelin du cabinet d'avocats Sinotrust de Pékin va dans le même sens. Il déclare au Business Herald que «si l'on examine les documents publiés par Yang Jinzhu, on voit que le motif de l'arrestation des quatre avocats n'était pas lié aux preuves recueillies pour l'enquête, mais plutôt au fait que les quatre avocats avaient découvert et avaient montré que les aveux obtenus par la police l'avaient été sous la torture».

Les avocats pénalistes dans le viseur

L'accusation portée contre les quatre avocats est dans la droite ligne d’une autre affaire qui a ému toute la communauté des avocats chinois: celle de l'avocat pénaliste Li Zhuang, qui a passé 18 mois en prison pour les mêmes raisons et a été libéré le 13 juin dernier.

L'arrestation des quatre avocats provoque de même une grande inquiétude de l'Association Nationale des Avocats Chinois. D'après le blog de Yang Jinzhu, plusieurs membres importants de l'association travaillent sur le sujet et une équipe d'avocats a été constituée afin d'apporter des conseils juridiques aux avocats accusés.

En Chine, il est devenu courant de persécuter les avocats en droit criminel. Un avocat de Nanning a déclaré au Business Herald que certains de ses confrères ont discuté en privé de l'éventualité dans le futur de refuser de défendre les affaires criminelles, trop risquées pour eux.

Chen Youxi, directeur du cabinet d’avocats Capital Equity, basé dans le Zhejiang, a lui aussi parlé au Business Herald d'une grève latente dans les cercles juridiques, la majorité des avocats financièrement à l'aise refusant déjà d’accepter les procédures au pénal.

La loi manipulée par la police et les tribunaux

D'après l’association Human Right in China, l'Article 306 est la disposition majeure du droit pénal chinois qui entrave le travail des avocats dans le pays. Il permet aux procureurs de faire arrêter les avocats en les accusant de «subornation» ou de «faux témoignage». Les avocats peuvent être à leur tour inculpés lorsqu'ils sont accusés de détruire ou de fabriquer des preuves, d'obliger ou d'inciter des témoins à changer leur déposition. Ils risquent alors jusqu’à sept ans de prison.

Les policiers et les procureurs se servent souvent de cet Article 306 pour dissuader les avocats de la défense de mettre en doute la validité des aveux [qui sont la plupart du temps obtenus sous la contrainte ou la torture]. En conséquence de quoi le nombre moyen d'affaires pénales défendues par les avocats de Pékin a chuté à moins d'une affaire par an et par avocat.

«L'affaire Li Zhuang montre clairement les risques importants encourus par les avocats pénalistes en Chine, lorsqu'ils défendent une affaire et cela  rappelle qu'ils doivent se protéger», expliquait Yang Zaixin le 13 juin dans une interview à la télévision New Tang Dynasty, après la libération de Li Zhuang.

Déjà à ce moment, Yang Zaixin, l'un des quatre avocats arrêtés, avait peur de finir comme Li Zhuang. Un de ses messages au mois de mai indique qu’il pensait que le Bureau Municipal de la Sécurité publique de Beihai cherchait un moyen de l'accuser d'incitation au faux témoignage: «Si pendant quelque temps, je ne poste pas de message sur Internet, c'est que j'ai été arrêté. Prête attention à cela s'il te plaît», indiquait-il dans un message à un ami cité dans un article de Voice of America.

Yang Zaixin, comme l’avocat Gao Zisheng qui l’a déjà payé en étant déporté et torturé, travaille depuis des années à la défense des droits civiques et a assumé la défense de pratiquants du mouvement bouddhiste interdit Falun Gong ainsi que de victimes de démolitions forcées et de confiscations  de terres. Selon l’ONG chinoise Chinese Human Rights Defenders, Yang a déjà été interrogé et battu à de nombreuses reprises par la police. Son renouvellement de licence à l'examen annuel des licences des avocats a également été mis en suspens.