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Les voyages commandités invitent-ils l'ingérence étrangère?

Écrit par Omid Ghoreishi, La Grande Époque
06.07.2011
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Un député s'est fait payer six voyages en Chine en deux ans

  • L'ex-maire de Vancouver, Sam Sullivan(Stringer: JEAN-PIERRE CLATOT / 2006 AFP)

L'année dernière, 67 députés fédéraux ont accepté 90 voyages commandités par des groupes de pression, des associations professionnelles ou des gouvernements étrangers, le tout d'une valeur d'environ 500 000 dollars. Ils sont allés, entre autres, en Chine, en Éthiopie, en Israël, en Espagne, à Taiwan et en Turquie.

Cette approche est peut-être une bonne manière pour les députés d'apprendre davantage sur différentes questions internationales, mais elle soulève le problème de l'ingérence étrangère. C'est particulièrement le cas si les députés sont invités par des gouvernements étrangers qui ont leurs propres intérêts et font leurs propres calculs.

Les règles sur les conflits d'intérêts, qui interdisent aux députés d'accepter des cadeaux offerts pour acheter l'influence, permettent aux parlementaires d'accepter des voyages commandités qui ont rapport avec leurs fonctions.

Nelson Wiseman, professeur agrégé de sciences politiques à l'Université de Toronto, estime que les voyages commandités ne sont pas sujets d'inquiétude en autant qu'ils soient rendus publics. Les députés ne sont pas assez naïfs pour se faire influencer ou devenir «prisonniers de leur commanditaire», ajoute-t-il.

«Admettons que vous êtes commandité par le gouvernement saoudien pour aller là-bas […] et qu'il contrôle vos déplacements. Et bien, vous allez vous rendre compte de ce qui se passe.»

Néanmoins, les propos de Richard Fadden, directeur du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), ayant soulevé la controverse l'année dernière dépeignent une situation plus inquiétante. Selon M. Fadden, certains responsables canadiens sont déjà sous l'influence de régimes étrangers.

«[Ils] invitent quelqu'un à visiter la mère patrie. [Ils] paient pour son voyage et soudainement vous découvrez que lorsqu'un évènement d'un intérêt particulier pour le pays X survient, [ils] appellent la personne et lui demandent d'adopter un certain point de vue», avait expliqué M. Fadden à la CBC.

Ce phénomène rend Errol Mendes, professeur de droit à l'Université d'Ottawa, inquiet à propos de ces voyages payés.

«Ma grande inquiétude est ce que ces pays attendent en retour de ces députés, pour toutes leurs dépenses payées et les séjours dans les meilleurs hôtels, etc.», affirme-t-il.

«N'est-ce pas là une forme de lobbying et d'achat d'influence?»

Virevolte après une visite en Chine

Richard Fadden a fait allusion à la Chine en tant qu'un des pays les plus agressifs visant à mettre des politiciens dans sa poche.

L'année dernière, de retour d'un voyage en Chine, le maire d'Ottawa de l'époque – Larry O'Brien – avait retiré son soutien à une proclamation reconnaissant les pratiquants locaux du Falun Gong, un groupe spirituel persécuté par le régime chinois. Selon l'explication qu'il aurait donnée à un conseiller de la Ville, sa décision découlait d'un «engagement» qu'il avait pris alors qu'il était en Chine.

Alors qu'il était en fonction, l'ex-maire de Vancouver, Sam Sullivan, qui avait été invité en Chine à plusieurs reprises, avait engagé des poursuites devant les tribunaux pour faire enlever un site de protestation du Falun Gong installé devant le consulat chinois de Vancouver.

«Lorsque je vais en Chine, ils me traitent comme un empereur», avait déclaré M. Sullivan au Vancouver Sun en 2006.

L'ex-maire de Londres, Ken Livingstone, avait été invité par la Chine durant les Jeux de Pékin, un voyage ayant coûté aux contribuables chinois plus de 30 000 dollars. Il avait par la suite déclaré au London Evening Standard que la Chine «allait dans la bonne direction» en ce qui a trait aux droits de la personne.

Selon les règles sur les conflits d'intérêts, pour tout voyage payé dont la valeur dépasse 500 dollars, les députés sont obligés de rapporter le nom du commanditaire, la destination, l'objectif, le coût et la durée, et ce, dans un délai de 60 jours après le voyage.

Cependant, ils n'ont pas à rapporter s'ils s'adonnent à des activités autres qui dérogent de l'objectif principal du voyage, selon Jocelyne Brisebois, responsable des communications pour le Commissariat aux conflits d'intérêts et à l'éthique.

Cela fait contraste avec les rapports élaborés que les députés doivent fournir lorsqu'ils voyagent avec les deniers publics, alors que chaque détail est pris en note.

«La commissaire à l'éthique reçoit seulement la divulgation et elle n'entreprend aucune vérification, c'est ça le problème», déplore Duff Conacher de Democracy Watch.

Ce dernier estime que les voyages payés ne sont «pas éthiques» et devraient être interdits.

Voyages suspects

Duff Conacher soulève le cas du député libéral Jim Karygiannis (Scarborough-Agincourt), lui qui domine au chapitre des voyages commandités.

«Il y a tellement de voyages et il ne siège même pas sur des comités qui se penchent sur ces questions. C'est très étrange», commente-t-il.

Depuis 2009, M. Karygiannis a accepté 14 voyages commandités vers différentes destinations dont le Nigeria, Haïti, l'Inde et sa destination principale, la Chine. Le député d'expérience a accepté six voyages payés en Chine au cours des deux dernières années, la plupart durant en moyenne plus de dix jours. Selon M. Conacher, Jim Karygiannis devrait plutôt passer ce temps dans sa circonscription ou au Parlement.

Les commanditaires des voyages de M. Karygiannis en Chine sont, entre autres, le Toronto Cross Cultural Community Services Association, le gouvernement de la ville de Ganzhou et la Bond Academy de Toronto dirigée par l'homme d'affaires Ping Tan.

Ping Tan est aussi un cadre du National Congress of Chinese Canadians (NCCC), une organisation pro-régime chinois.

Le NCCC avait soulevé la colère dans la communauté chinoise de Toronto en 2008 pour s'être accroché, pendant plusieurs mois, à près de 1,1 million de dollars en dons aux victimes du séisme au Sichuan. L'organisation, avec l'aide de Jim Karygiannis, avait obtenu le statut temporaire d'organisme de bienfaisance quelques jours après le désastre.

L'argent patientait dans un compte de la branche de Toronto de la Bank of China, une banque appartenant à Pékin. Ping Tan était également membre du conseil d'administration de la banque à l'époque.

Durant son voyage de neuf jours commandité par la Bond Academy en 2009, Karygiannis, accompagné par Ping Tan, a visité le Huamei-Bond International College à Guangzhou. L'institution est gérée conjointement par le Bond International College (géré par la même compagnie que la Bond Academy) et par la Huamei International School à Guangzhou.

Dans une entrevue avec Époque Times, Jim Karygiannis a indiqué que ses voyages commandités n'étaient sous «absolument aucune influence [étrangère]».

Ces voyages l'aident à mieux servir sa circonscription multiethnique, affirme-t-il, qui comporte une importante population immigrante de la première génération.

Snow Ruan a contribué à cet article.

Version originale :  Are Sponsored Trips Opening the Door to Foreign Influence?

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