Anglais | Chinois | Coréen | Français | Allemand | Espagnol | Japonais | Russe | Ukrainien | Hébreu | Roumain | Bulgare | Slovaque | Tchèque | Indonésien | Vietnamien
Faites un don

Oslo: crime et idéologie

Écrit par François-Bernard Huyghe, Affaires-stratégiques.info
01.08.2011
| A-/A+
  • Des fleurs sont déposées sur les rives du lac Tyrifjorden, en Norvège,(Stringer: JONATHAN NACKSTRAND / 2011 AFP)

Analyse

Le massacre d’Oslo est indéniablement un crime idéologique. Si l’on peut qualifier Breivik de fou, ce fou-là raisonnait et son action n’était que la mise en œuvre d’une pensée politique. S’il reconnaît son acte et revendique la responsabilité de près de 80 morts, les victimes sont pour lui les simples lettres d’un message : moyen efficace de démontrer quelque chose (en l’occurrence que les travaillistes mutlikulti pro-immigration doivent être châtiés), avertissement, mais aussi outils «publicitaires» pour faire connaître son idéal.

Cette tragédie illustre deux principes généraux valables pour toutes les stratégies terroristes :

1 - Les terroristes disent toujours ce qu’ils vont faire (titre d’un ouvrage que j’ai coécrit avec A. Bauer) : en l’occurrence, Breivik laisse un film vidéo disponible sur YouTube et un texte de près de 1600 pages, accessible sur Internet, où il explique ce qu’il fera, pourquoi il le fera et comment il s’y prépare

2 - Les terroristes tuent des idées, pour répandre des idées et au nom des idées. Quand nous disons qu’ils «tuent des idées», cela signifie que, dans leur logique, on ne frappe pas des gens pour des raisons individuelles (logique du crime) ni pour causer le plus de pertes possible à l’ennemi (logique militaire). On tue des gens pour que leur mort produise un effet psychologique (peur chez les uns, enthousiasme chez les autres) et un effet pédagogique (elles démontrent la justesse ou la faiblesse d’une cause).

Une nouvelle idéologie de la peur

Cette idéologie comment la qualifier? On a beaucoup écrit que Breivik était un «fondamentaliste chrétien». Se qualifiant de protestant plutôt traditionnel, il comptait certes la religion parmi les valeurs identitaires européennes. Pour autant, il ne citait pas la Bible à tout bout de champ et se disait lui-même modérément croyant. D’extrême-droite? Certes, quelqu’un qui déteste les immigrés au point de tuer n’est ni modéré ni de gauche. Mais «extrême-droite» est une catégorie très floue.

Racisme? Si Breivik détestait les Arabes, c’était parce qu’il voyait en eux les instruments d’une domination du monde par l’Islam, pas au nom de la supériorité des Aryens. Antisémitisme? Breivik soutient les sionistes pour leur fermeté et voit certains Juifs comme les meilleurs alliés des bons Européens. Admiration pour Hitler ou des dictateurs? Au contraire, Breivik dénonce le génocide (mais, il est vrai, pour le relativiser par rapport au génocide communiste et surtout aux 2000 millions de morts dont il attribue la responsabilité à l’Islam au cours de l’Histoire).

Valeurs antidémocratiques? Une des raisons pour lesquelles Breivik hait les travaillistes norvégiens (il a finalement massacré des protestants blonds aux yeux bleus, non des musulmans ou des Arabes) est leur politique de tolérance (droits concédés aux immigrés, protection des minorités ethniques ou sexuelles, refus de la répression). Mais cette ouverture à la norvégienne, il la condamne comme suicidaire : elle profite au vrai ennemi, l’islam. Il progresse grâce à l’abaissement des défenses immunitaires des Européens et à cause de leur haine d’eux-mêmes (ce que Breivik appelle le «marxisme culturel», le politiquement correct : le souci de ne marquer aucune discrimination envers aucune différence). Mais Breivik explique que ce triomphe de l’islam, religion autoritaire et «génocidaire», signifierait la fin des libertés et de la démocratie typiques de la culture européenne. Populiste? Certes, Breivik a été membre du parti du Progrès norvégien (encore qu’il l’ait quitté comme traître à l’Europe), de la nébuleuse des populistes européens, craignant l’immigration et la perte d’identité, inquiets de la mondialisation et de l’État providence. Cependant, cette étiquette s’appliquerait à des millions de gens.

Islamophobie? On a compris que l’ennemi principal est pour lui l’islam, ou plutôt le projet fantasmique dit «Eurabia» de conversion de notre continent entier à la religion musulmane, objet de tous ses fantasmes. Breivik se croit donc en légitime défense.

D’autres loups solitaires?

Sur cette bouillie idéologique se sont surajoutés deux éléments. D’une part, une attirance pour tout ce qui est occulte, avec des références à un bizarre ordre de templiers après un passage dans la franc-maçonnerie. D’autre part, une capacité intellectuelle à tout expliquer par une cause unique : tout procède d’un plan diabolique de conquête du monde (que partageraient donc secrètement tous les musulmans). Il aurait deux complices objectifs : le capitalisme mondialiste favorable à la circulation des hommes et des capitaux, et les «belles âmes» humanistes soucieuses de non-agressivité et leur bonne volonté à tout ce qui est minoritaire ou étranger. Le tout fait un motif de tuer, d’ailleurs sans réflexion stratégique (l’acte de Breivik sera probablement très anti-productif et va disqualifier, au moins dans certaines parties de l’Europe, tout discours aux relents anti-islamiques comme potentiellement terroriste).

Toutefois, l’idéologie n’est devenue mortelle que pour deux raisons. Breivik, avec l’obstination d’un maniaque, a réussi un «exploit» technique (en impact psychologique et nombre de morts) auquel n’est parvenu jusqu’à présent aucun «loup solitaire» islamiste ou autre. Ensuite, il a fait tout cela seul (si cela est confirmé) ou du moins sans appartenir à une organisation bien repérée.

Deux conditions qui peuvent se retrouver chez un autre, éventuellement pour une tout autre cause : cela change singulièrement les perspectives des politiques antiterroristes, jusqu’à présent orientées vers l'extrémisme islamiste.

Source :  Affaires-stratégiques

Plus de 204 720 056 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.