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L'OTAN face à une crise identitaire et budgétaire

Écrit par Christian Watjen, La Grande Époque
04.08.2011
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  • Les ministres de la Défense des États-membres de l'OTAN se sont rencontrés le 8 juin 2011 à Bruxelles(Pool: Pool / 2011 Getty Images)

Dans cette ère de restrictions budgétaires, la plupart des pays européens réduisent de beaucoup leurs dépenses militaires. L'Europe se voit donc obligée de réévaluer son rôle au sein de l'OTAN, ce qui soulève des questions quant à l'avenir de l'alliance elle-même.

À l'exception de deux petits pays, le Danemark et la Slovénie, tous les États européens membres de l'OTAN ont réduit leurs dépenses militaires en 2010 (certains, comme la Bulgarie, de près de 40 %), selon le Center for European Reform.

Les restrictions budgétaires imposées durant la crise économique ont accéléré une tendance qui avait pris forme vers la fin de la guerre froide en 1989. À cette époque, les États européens membres de l'OTAN dépensaient en moyenne 3,7 % de leur PIB en défense. En 2011, ces dépenses ont chuté à 1,7 %. Seuls, la Grèce et le Royaume-Uni dépensent actuellement plus de 2 %.

Le 1er juillet, l'Allemagne a mis fin au service militaire obligatoire après 55 ans, en somme pour des raisons budgétaires. La Bundeswehr allemande sera maintenant transformée en une armée de volontaires plus petite et moins dispendieuse, se conformant au modèle de la plupart des autres États européens.

Durant la guerre froide, les plus grandes menaces auxquelles faisaient face les pays de l'Europe occidentale provenaient de pays européens de l'autre côté du rideau de fer. Après la chute du mur de Berlin, l'Union européenne (UE) (et avant elle la Communauté européenne) et l'OTAN ont entrepris une expansion vers l'est. Depuis, 15 pays sont devenus membres de l'UE et 12 sont devenus membres de l'OTAN, la plupart étant des pays de l'Europe de l’Est. Bien qu'elle ne soit pas encore en vigueur et que son processus de conception connaisse des ratés, l'UE cherche également à se doter d'une politique de défense commune.

L'OTAN est composée de 28 États-membres, dont les États-Unis, le Canada et 26 pays européens.

Les États-Unis ont dépensé 4,7 % de leur PIB, soit 530 milliards de dollars, en défense en 2010. Washington a augmenté son budget militaire depuis la fin des années 1990, avec un coup marqué après les attentats du 11-septembre. Le département de la Défense a sollicité une augmentation budgétaire de 22 milliards de dollars pour 2012 par rapport à ses dépenses de 2010.

Cette tendance a provoqué une franche réaction de Robert Gates, qui a quitté son poste de secrétaire à la Défense après cinq années de service sous deux présidents de différentes allégeances politiques. Dans sa dernière allocution à Bruxelles, il a averti que l'avenir de l'OTAN était «sombre» si le fardeau n'était pas partagé plus équitablement entre les États-membres.

Gates a parlé d'une «alliance à deux niveaux […] entre ceux qui sont prêts à payer le prix et porter le fardeau des responsabilités relatives à l'alliance, contre ceux qui ne font que profiter des avantages d'une adhésion à l'OTAN».

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La crise identitaire de l'OTAN

Durant les deux dernières décennies, les priorités de l'OTAN ont connu plusieurs changements. John Feffer, un chercheur à l'Institute for Policy Studies, qualifie le développement de l'OTAN comme étant dans une «crise identitaire cyclique», ayant perdu sa principale raison d'être avec l'effondrement de l'Union soviétique et la fin de la guerre froide.

L'OTAN s'est découvert une nouvelle vocation de prévention des conflits avec la campagne de bombardement contre l'armée serbe durant la guerre du Kosovo en 1999, la première campagne militaire à grand déploiement de l'alliance. Les attentats du 11-septembre ont provoqué pour la première fois l'invocation de son article de défense collective (une attaque contre un membre est une attaque contre l'alliance) et l'OTAN s'est ainsi transformée en «force principale dans la guerre contre le terrorisme».

Actuellement, ses efforts principaux sont axés sur les opérations de combat en Afghanistan contre les talibans, depuis sa prise du commandement de la Force internationale d'assistance et de sécurité (FIAS) en 2003, et l'imposition d'une zone d'exclusion aérienne en Libye depuis le mois de mars 2011.

John Feffer comprend la frustration des Américains, étant donné que Washington porte clairement l'essentiel du fardeau au sein de l'alliance.

  • Des soldats américains se réchauffent autour d'un feu(Staff: BEHROUZ MEHRI / 2010 AFP)

Par exemple, pour la mission de la FIAS en Afghanistan, les États-Unis fournissent 90 000 des 132 000 troupes et sont responsables des opérations dans les régions les plus volatiles.

Il est monnaie courante pour les États-Unis de demander à ses alliés dans les rencontres multilatérales de prendre plus de responsabilités. Dans le cas de la Libye, Washington était pressée de transférer le commandement des opérations à l'OTAN, après avoir pris les devants au début de la campagne. Actuellement, il y a discorde au sein de l'alliance alors que la moitié de ses membres ne contribuent pas à l'intervention. La décision de Berlin de s'abstenir lors du vote en mars au Conseil de sécurité sur l'imposition d'une zone d'exclusion aérienne a déplu à Washington.

Néanmoins, M. Feffer souligne que même si l'Europe dépense moins en défense que les États-Unis en ce qui concerne le pourcentage du PIB d'un point de vue relatif, elle dépense quand même «une énorme somme d'argent» d'un point de vue absolu. En 2010, l’Europe a dépensé 275 milliards de dollars, ce qui la place au deuxième rang parmi ceux qui ont dépensé le plus au monde pour la défense. Ce montant est quatre fois supérieur à celui de la Chine, qui avait un budget officiel de 78 milliards de dollars en 2010.

Le secrétaire général de l'OTAN, Anders Fogh Rasmussen, reconnaît dans un récent article publié dans le magazine Foreign Affairs que l'Europe doit assumer de plus grandes responsabilités étant donné que les États-Unis sont en difficulté financière. Il a averti que «si les coupes dans le budget de la défense continuent en Europe, la capacité de l'Europe d'être une force stabilisatrice même dans son entourage va rapidement s'étioler».

Joshua Spero, professeur agrégé de sciences politiques à la Fitchburg State University au Massachusetts, affirme que l'OTAN a «augmenté ses membres et ses missions militaires sans augmenter ses ressources et ses finances pour soutenir ces efforts».

Point de rupture?

M. Spero partage l'opinion de Robert Gates quant à la fragilité de l'alliance en ce moment. «À moins que [le déclin des dépenses] soit renversé et que les missions soient limitées, j'ai bien peur que l'alliance se fracture et ne devienne inefficace.»

Henning Riecke, un chercheur avec le German Council on Foreign Relations (DGAP), montre en exemple la mission en Libye comme indicateur des limitations de l'Europe. En juin, par exemple, six avions de chasse danois ont manqué de bombes et ont dû se rabattre sur les Pays-Bas pour poursuivre leur mission.

M. Riecke souligne qu'au-delà des dépenses militaires, la culture politique différente est une des raisons principales expliquant les tensions au sein de l'alliance. «Les Américains, bien plus puissants que leurs alliés européens, ont leur propre idée de leur rôle en tant que superpuissance et ils prennent beaucoup plus au sérieux leur capacité de projection de la force dans le monde.» Les Européens sont «beaucoup plus concentrés sur leur propre continent», explique-t-il.

John Feffer estime que les désaccords au sujet des contributions militaires au sein de l'OTAN vont provoquer «nécessairement une remise des pendules à l'heure» concernant les priorités budgétaires. Il indique que le débat n'est pas simplement entre l'Europe et les États-Unis, mais aussi entre les faucons et les colombes au sein de l'OTAN, entre ceux qui considèrent important de conserver des dépenses militaires élevées et ceux qui croient que «durant une crise budgétaire, il est nécessaire d'effectuer des coupures dans des programmes non essentiels».

M. Rasmussen a aussi soulevé cette question dans son article, affirmant qu'avec le climat économique actuel en Europe, il est peu probable qu'un gouvernement de l'UE va augmenter ses dépenses militaires. «Ainsi, la solution d'avenir n'est pas de dépenser plus, mais de dépenser mieux», a-t-il écrit. En exemple, il dit que l'OTAN pourrait considérer des approches multinationales, avoir une orientation plus stratégique et travailler avec les puissances émergentes.

Bien que M. Rasmussen, en tant que secrétaire général, ait affirmé l'importance toujours actuelle de l'OTAN, M. Feffer estime que derrière les tensions se cache la résurgence d'une «crise identitaire», particulièrement avec le déclin de la «guerre au terrorisme» et le retrait planifié d'Afghanistan.

Les analystes affirment qu'il y a une «profonde peur chez les États-Unis que l'Europe ne trouvera plus de valeur dans l'OTAN parce que sa mission n'est plus clairement définie».

Ceci pourrait placer les États-Unis dans une position où ils devront accepter ce que l'Europe est prête à offrir. «Ce genre de dispute entre ce que les États-Unis veulent dans le monde réel et ce que l'Europe fournit dans le monde réel va devenir de plus en plus aigu et ne disparaîtra pas», affirme M. Feffer. «Les États-Unis doivent, ultimement... accepter le choix de l'Europe.»

Version originale : NATO Faces Crisis Over Budgets and Identity

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