Comment l'ambassadeur américain a importé le «néocolonialisme» en Chine

Écrit par Heng He, La Grande Époque
13.09.2011

  • Le nouvel ambassadeur américain en Chine, Gary Locke(Staff: MARK RALSTON / 2011 AFP)

Transporter ses propres valises est apparemment un acte révolutionnaire à Pékin

Lorsque l'ambassadeur américain en Chine, Gary Locke, est arrivé à Pékin, lui et tous les membres de sa famille ont transporté leurs propres valises dans l'aéroport. Le régime chinois a immédiatement «percé le stratagème» derrière ce geste sans histoire : il s'agissait d'une tentative tordue visant à saper la légitimité du Parti.

Ainsi, le 16 août, le Guangming Daily – un organe du Parti communiste chinois (PCC) – a publié un article sur son site Internet intitulé Méfiez-vous du néocolonialisme américain véhiculé par Gary Locke.

L'article débute en comparant le «vieux colonialisme» au «néocolonialisme». Il décrit comment le capitalisme industriel et oligopole occidental a essayé de contrôler la politique et l'économie chinoises afin de s'accaparer les ressources premières de la Chine.

L'article poursuit en expliquant comment les États-Unis ont remplacé le vieux colonialisme par le néocolonialisme durant l'ère de l'information, tout en conservant leur vieille mentalité coloniale. Ceux qui connaissent bien le PCC ne sont pas surpris par cette perspective propre à la guerre froide, mais son expression aussi directe peut surprendre.

L'article se réfère à un autre ambassadeur américain en Chine, John Leighton Stuart, qui était en poste avant la conquête du pays par les communistes en 1949. Selon ces derniers, l'expulsion de Stuart aurait marqué l'échec du «vieux colonialisme».

En raison de l'article de Mao Zedong Adieu, Leighton Stuart!, qui est connu au moins de nom par pratiquement tous les Chinois, beaucoup ont considéré que le départ de Stuart était une victoire pour le PCC. Néanmoins, pour les intellectuels chinois cela signifiait la fin d'une période de rapprochement avec les États-Unis. Le départ de Stuart était le symbole de la politique à long terme du PCC visant à faire des États-Unis l'ennemi no 1. Cette politique n'a jamais changé.

L'article du Guangming Daily rappelle aux lecteurs que le nouvel ambassadeur est venu en Chine uniquement pour défendre les intérêts de Washington, et non pas les intérêts de l'humanité entière. Puisque Gary Locke est d'origine chinoise et que son visage peut être attrayant pour les Chinois du monde entier de même que pour les gens en Chine, l'article affirme que sa nomination au poste d'ambassadeur démontre que les États-Unis sont mal intentionnés. Puisque Locke est Chinois, les États-Unis cherchent à «gérer la Chine avec un Chinois» et à inciter des troubles politiques en Chine.

Les Occidentaux sont excusés s'ils ne comprennent pas cela. Il est pratiquement impossible pour une personne normale et saine d'esprit d'associer le visage chinois de l'ambassadeur aux troubles politiques en Chine. Toutefois, faire un tel saut n'est pas rare dans la propagande du PCC.

Le prochain paragraphe vient appuyer cette allégation : «Comme prévu à son arrivée, Gary Locke a donné une leçon aux responsables chinois. Chaque membre de sa famille a transporté ses propres valises. Sans assistants, sans gardes du corps, sans fleurs, sans applaudissements, sans même une cérémonie de bienvenue, ils sont venus ici comme des civils ordinaires. De toute évidence, ce comportement peut faire bonne impression auprès de la population chinoise.»

L'article a clarifié : l'objectif de Locke n'était pas de donner une leçon aux responsables chinois. Locke essayait plutôt de gagner la sympathie des Chinois et ainsi augmenter «l'obséquieuse servilité» de la population chinoise envers les étrangers. Locke va ainsi renforcer les forces proaméricaines en Chine afin qu'elles puissent transformer l'idéologie de la Chine. Cette idéologie n'est pas spécifiée, mais il s'agit sans aucun doute de l'idéologie du PCC.

Il est difficile d'imaginer quel genre de personne peut lancer de telles accusations, mais il n'est pas difficile de s'imaginer qui s'est senti menacé. Plusieurs jours après l'arrivée de Gary Locke, les internautes chinois faisaient circuler à un rythme effréné les photos de la famille Locke à l'aéroport. Presque tous s'accordaient pour dire que n'importe quel chef de comté chinois serait arrivé à l'aéroport avec plus de pompe que cet ambassadeur du pays le plus riche et le plus puissant du monde.

L'article du Guangming Daily a été écrit par Xiang Xiaodong, qui se décrit comme un «libre penseur». Il n'est pas bien connu en Chine et peu de gens ont pris son article au sérieux. La plupart des commentaires publiés sous son article se moquaient de l'auteur ou dénonçaient ses opinions. Mais il se cache quelque chose derrière l'article ridicule de Xiang.

Le Guangming Daily n'est pas un quotidien ordinaire. Depuis 1982, la publication a été directement contrôlée et administrée par le Comité central du PCC (CCPCC). En 1994, il a été confirmé que le quotidien appartient au CCPCC et qu'il est géré par le Département de la Propagande du CCPCC. Seul un autre quotidien a le même statut : le Quotidien du peuple.

La différence est que les intellectuels sont le public cible du Guangming Daily. Actuellement, le contrôle des médias en Chine est très sévère. Il y a très peu de chance qu'un article indésirable soit publié par erreur par un grand quotidien.

Après sa publication, l'article a été retiré du gmw.cn, le portail du Guangming Daily. Il ne s'agit pas là de censure, car l'article paraît toujours sur les sites du Global Times et de Qiushi, deux autres organes principaux du PCC. Plutôt, les réactions des internautes sur le site du Guangming Daily étaient trop fortes.

Le PCC est corrompu. Faisant face à d'énormes problèmes touchant sa propre légitimité, les troubles sociaux, les conflits internes, l'économie, les désastres environnementaux et plusieurs autres, l'arrivée du nouvel ambassadeur américain représente un défi. Les dirigeants du PCC n'ont ni l'intention ni la capacité de redresser le système corrompu et ses fonctionnaires corrompus. Ils préfèreraient que les responsables américains qui visitent la Chine se comportent comme les fonctionnaires chinois corrompus.

Mais cela tombe à l'extérieur de leur pouvoir et juridiction. Il y a un seul moyen pour traiter le problème causé par Gary Locke qui transporte ses propres valises : en faire un complot impérialiste.

Est-ce que le Parti a réussi? Il n'y a qu'à lire les commentaires. La plupart disent : «Si c'est ça le néocolonialisme, je veux être colonisé.»

Version originale : How Ambassador Gary Locke Brought ‘New Colonialism’ to China