La corruption transforme les prisons afghanes en bases talibanes

Écrit par Joshua Philipp, La Grande Époque
20.09.2011

Les dirigeants talibans coordonnent des attaques depuis leur cellule de prison

L'aile 3 était en flammes et les émeutes se poursuivaient dans l'aile d'à côté. Les talibans sont devenus trop puissants et les murs de la prison Pol-e Charki en Afghanistan font plus que les protéger, ils les mettent à l'abri du conflit qui fait rage au-dehors.

  • Des prisonniers accusés d'être des insurgés talibans et un présumé terroriste à la bombe (à droite) en prison à Kaboul en Afghanistan le 10 octobre 2010. (John Moore/Getty Images)(Staff: John Moore / 2006 Getty Images)

Les émeutes qui ont secoué la prison de Pol-e Charki dans la banlieue de Kaboul en 2008 auront servi à rappeler l’ampleur de la corruption, aggravée par ceux qui ont fermé les yeux et rempli leurs poches. Des commandants talibans capturés ainsi que des prisonniers radicaux avaient formé un centre d'opération dans l'aile 3 de la prison. Armés, ils s’étaient dotés de leur propre conseil de la Choura pour procéder aux jugements, aux votes et éliminer ceux qui refusaient de coopérer.

«Les gardes n'étaient même pas autorisés à pénétrer dans cette aile, sous peine d'être tués ou kidnappés. C'était complètement sauvage», explique en entretien téléphonique Drew Berquist, un ancien agent de renseignement américain, auteur de The Maverick Experiment.

L'attention s’est tournée sur la prison à la suite des émeutes et les efforts de reconstruction se sont concentrés sur le renforcement de la sécurité. Cela signifiait l’élimination des grandes cellules et leur remplacement par de plus petites pouvant recevoir de deux à huit détenus.

«C'était une prison gérée par le gouvernement afghan mais, en fait, toutes les infrastructures à l'intérieur de cette prison étaient utilisées comme base d'entraînement et de formation», a expliqué Drew Quinn, directeur du Bureau international des stupéfiants et des affaires exécutives de l’ambassade américaine à Kaboul, sur une chaîne de l'OTAN en novembre 2009.

Résoudre de tels problèmes n'est pas si simple et la bataille entre les murs de la prison fait toujours rage aujourd'hui.

Une rare conférence de presse à Kaboul, organisée par le Directorat national de la sécurité afghan en février dernier, a souligné l'ampleur du problème et noté qu'en dépit des efforts pour éradiquer ces opérations à Pol-e Charki, elles sont toujours bien présentes.

Le commandant taliban Talib Jan, prisonnier à Pol-e Charki, est l'un des cas les plus extrêmes. Il organise depuis sa cellule des attentats-suicide dans Kaboul, dont l'attentat à la bombe du 28 janvier dernier qui a fait 14 morts dans un supermarché.

«La plupart des attaques suicides et des attentats terroristes à Kaboul ont été planifiés par cet homme depuis la prison», peut-on lire dans le New York Times, rapportant les propos tenus lors de cette conférence par Lutfullah Mashal, porte-parole du Directorat national de la sécurité.

Le problème est profondément enraciné, selon Berquist. «Le système carcéral est corrompu», ajoute-t-il. «Les talibans sont plus en sécurité en prison car, là, ils ne peuvent plus être pris.»

Les prisonniers utilisent souvent des téléphones portables pour communiquer et transmettre des ordres aux insurgés opérant à l'extérieur. D'autre part, les talibans et les dirigeants d'Al-Qaïda du pays étant parfois détenus ensemble, la prison leur donne une occasion unique de créer et coordonner des réseaux. Cela parce qu'ils ont peur de rassembler trop de dirigeants dans un même endroit à l'extérieur des prisons, par crainte d'attaques de drones ou d'opérations spéciales.

«Cette culture est devenue difficile à briser parce que ces gars ont gagné tellement de pouvoir au sein de la prison», explique Berquist, avant d'ajouter que lorsqu'ils essaient de démanteler les réseaux en déplaçant les prisonniers dans différentes cellules, «ceux-ci rencontrent d'autres personnes et cela ne fait qu’envenimer le problème».

Un système corrompu

Pol-e Charki est hanté par son passé particulièrement infâme, même pour un pays tel que l'Afghanistan, dont le passé soviétique violent, la terreur et l'agitation politique ont été ravivés pour affronter une nouvelle guerre. Des routes impraticables, qui traversent des zones dans lesquelles les populations soutiennent les insurgés, mènent ainsi à ses portes, pendant que les charniers de prisonniers politiques à présent vides sont là comme un rappel douloureux des fondateurs soviétiques de la prison à la fin des années 1970.

Le problème va bien au-delà de Pol-e Charki, car les autres prisons afghanes rencontrent des

problèmes similaires.

Le 25 avril dernier, la «Grande évasion» des talibans de la prison Saraposa à Kandahar a porté un

coup à l'image de la sécurité des prisons afghanes lorsque plus de 500 détenus se sont évadés en empruntant un tunnel de plus de 300 mètres de long, grâce à la complicité de surveillants corrompus.

L'évasion s'est produite après la rénovation de Saraposa, tout comme Pol-e Charki qui avait connu

une attaque de la prison en 2008, entraînant la fuite de 900 détenus en plein jour. Toute la région était connue pour sa corruption, et «les assassinats des enquêteurs, la corruption des procureurs, l'intimidation des juges et les menaces de témoins rendent impossibles les preuves et le droit», a déclaré le brigadier général américain Mark Martins dans une téléconférence le 10 février au département de la Défense, selon la transcription du Pentagone.

L'un des principaux problèmes est l'utilisation illégale des téléphones portables par les prisonniers, car ils agissent comme des catalyseurs pour commander des troupes à l'extérieur, et les efforts pour confisquer les téléphones des prisonniers sont demeurés sans succès. «La majorité des prisonniers utilise leur propre téléphone de contrebande ou paie des gardes corrompus afin d'utiliser les téléphones de ces derniers pour appeler non seulement leurs codétenus, mais aussi d'autres personnes hors de la prison, en Afghanistan, et par-delà la frontière, vers le Pakistan», a déclaré Berquist.

Pendant ce temps, des gens qui ne sont pas des insurgés et qui se retrouvent en prison peuvent entrer dans un cycle de radicalisation alimenté par les talibans et les membres d'Al-Qaïda. Les prisonniers

arrêtés pour des crimes plus graves vont aussi rarement purger la totalité de leur peine, ce qui devient un problème car «à leur sortie, il se trouve qu'ils ont commencé à adhérer au credo de la rue pour avoir été en prison» explique Berquist, «vous vous retrouvez avec des gens qui deviennent plus extrêmes en prison et qui, à la sortie, représentent un problème beaucoup plus grave qu’à leur entrée».

Il ajoute que «compte tenu de l'ampleur de la corruption du système, les prisonniers sont souvent relâchés, car beaucoup de parlementaires et de fonctionnaires acceptent des pots-de-vin».

L'ampleur de la corruption des prisons afghanes est difficile à contenir.

Selon Berquist, «si vous êtes entré avec les mains propres, il y a un risque raisonnable de penser que vous allez mal tourné parce que vous allez être frustré par la monotonie et la difficulté d'être dans ces situations et par le fait que la vie y est simplement très dure, finalement l'argent deviendra attrayant et c'est une pente glissante une fois que vous êtes engagé».