Le cinéma perd-t-il sa raison dans cette crise des valeurs que traverse nos sociétés?

Écrit par Alain Penso, La Grande Epoque
21.09.2011

  • Le Mur invisible d'Elsa Kazan (1947).(攝影: / 大紀元)

CHRONIQUE D’UN OBSERVATEUR DU 7e

Perdu dans des options étranges voire suspectes, le cinéma tente de retrouver la raison qui a longtemps fait son succès, puisant dans ses réserves métaphysiques avec parcimonie avec The Tree of life de Terrence Malick (2011) proche de l'esprit au film de Stanley Kubrick, 2001: L'Odyssée de l'espace (1968). Melancholia (2011) de Lars von Trier pose le problème crucial de la vie à l'aube de la destruction de la terre. L'œuvre fait frémir par l'approche irrémédiable de la mort en face d’êtres aimés que l'on ne peut cependant secourir.

La science-fiction et l'étrange

Lorsque le cinéma n'entrevoit pas de solution aux crises qui surviennent, il se réfugie dans la science-fiction ou dans le film d'horreur ou bien encore si l'esthétique du film le permet, dans le fantastique. Ainsi le septième art retrouve-t-il un sens à ses histoires. L'invraisemblable ne demeure pas un problème majeur. Tout est histoire et par conséquent, rien ne peut déranger un art dont l'atout principal est l'illusion totale, même si cela colle à une réalité.

La Planète des singes: les origines (2011) est une sorte de retour de la version de 1968, La Planète des singes de Franklin J. Chaffner avec Charlton Heston. La perversion de la recherche peut mener à la menace l'espèce humaine qui méprise toutes les autres lorsque les recherches ne sont pas précédées d'une éthique généreuse et à la fois scientifique. Les limites, les carences sur la réflexion et la morale demeurent les mêmes que celles évoquées dans Le Jour où la terre s'arrêta de Robert Wise (1951). Un demi-siècle plus tard les idées semblent ne pas avoir changé. L'homme n'a pas tiré les leçons de toutes les calamités que les deux guerres mondiales et la guerre froide ont provoquées et continuent encore à produire. Superman avait tenté de faire le bien avec un jugement bienveillant grâce aux leçons philosophiques de son père. Superman est une invention de Jerry Siegel qui, à l'âge de 19 ans, en 1933, invente ce personnage. Il est crayonné par son ami Joe Shuster. Tout deux n'avaient qu'un but, venir au secours de leurs coreligionnaires juifs persécutés en Allemagne par un nommé Hitler qui s'attaquait aux individus jugés indésirables et aux États qu’il assimilait à des peuples d'esclaves comme les Polonais... En 1978, Richard Donner s'empare de cette histoire extraordinaire et tourne Superman avec Christopher Reeve (1978) et Marlon Brando dans le rôle de Jorel, un scientifique dont la pensée philosophique détonne face au conseil où il siège. L'orgueil de ses membres va provoquer la destruction de la planète Krypton.

Équilibrer les pouvoirs en face d'antagonismes

Le cinéma américain a une capacité extraordinaire à renouveler ses thèmes. Cowboys et envahisseurs (2011) de Jon Favreau en est la preuve. Entre la science-fiction et le western, entre La Guerre des étoiles de George Lucas (1977) avec Harisson Ford et Les Grands espaces de William Wyler (1959) avec Gregory Peck, Jean Simmons et Charlton Heston. Ces films englobent tous les thèmes tels que l'intolérance et la solitude de l'homme face à l'immensité de son ignorance et son incompréhension face à la crise. Les idées et l'économie sont les questions clé que les films évoquent à coups de symboles. Comment équilibrer les pouvoirs, en face des antagonismes de toutes origines?

Le cinéma là aussi traduit ouvertement ses craintes avec Captain America: The First Avenger de Joe Johnston (2011). Le scénariste va chercher dans le passé victorieux de l'Amérique des sources revigorantes pour l'avenir: à l'époque nazi, un jeune déporté peut sauver sa mère s'il révèle à un SS, scientifique et spécialiste des sciences occultes, le secret de la force qu'il possède pour déplacer des objets. Le jeune garçon y parvient après que le nazi a assassiné sa mère devant lui. Pris de fureur, il détruit grâce à ses pouvoirs le lieu où il demeure.

Science-fiction et conscience de l'individu sont les mots qui conviennent à cette œuvre qui en dit long sur l'intériorité mitigée de l'Américain.

Les histoires prennent leur essence dans le fonctionnement de la société

Les porteurs d'histoires que sont les acteurs retraduisent des champs d'idées par delà les années et les œuvres. Gregory Peck, qui joue dans Les Grands espaces de William Wyler, est soucieux d'étendre sa liberté dans de grands espaces pour se sentir libre de ses mouvements sans menacer la liberté de ses semblables. Dans Le Mur invisible d'Elia Kazan (1947), il se révèle être un journaliste voulant faire comprendre toutes les confessions à ses concitoyens afin de permettre à tous de jouir des espaces différents que permet la vie. Dans ce film, Gregory Peck console son fils qui s'est fait traiter de «youpin» dans son école par ses camarades.

Woody Allen a choisi dans Minuit à Paris (2011) de voyager dans le temps et de rencontrer des artistes qui ont fait la vie artistique parisienne, élevant ainsi l'imaginaire. Le héros de l'histoire rencontre Luis Buñuel, Ernest Hemingway, Pablo Picasso, Henri Matisse, Salvator Dali. Le cœur et la tête se ressourcent de merveilles pour donner des couleurs à la vie et des idées à l'esprit.

Alain Cavalier analyse avec finesse dans Pater (2011) l'esprit intime d'un acteur, Vincent Lindon, avec lequel il aurait pu faire un film. Il prend ce prétexte pour se livrer. La mise en scène n'est pas forcément là où l'on pense. C'est ce qui fait l'intérêt de ce film à la finesse cachée derrière un ouvrage qui révèle des secrets.

Pina (2011) de Wim Wenders est un hommage appuyé à Pina Bausch, une chorégraphe hors pair qui dessine la vie dans l'espace, offrant une teinte de bonheur. Dans ses pas, la morale n'est pas absente: la douleur et l'amour coexistent dans des pas légers, sublimés par la technique 3D qui fonctionne enfin dans les profondeurs de champ. Ce film est adroitement mené par Wim Wenders, l'auteur d'Alice dans les villes (1973), qui construit un parcours géographique, une sorte de biographie dans laquelle les pages deviennent l'espace. La tête tourne au contact de différents ballets et des feuilles du livre de la vie.

  • Captain America - First Avenger de Joe Johnston (2011).(攝影: / 大紀元)

Masculin, féminin

Dans le domaine de l'adolescence, les films sont nombreux mais n'arrivent pas toujours à cerner ce qui touche tous les êtres humains. Un homme veut devenir une femme et une femme être un homme pour des raisons familiales ou sociétales.

Dans Tomboy de Céline Sciamma (2011), Laure veut être un garçon. Elle veut vivre comme eux, elle pense que les garçons ont plus d'avantages que les filles, condamnées à porter des robes et à jouer à la poupée... Mais ce sont des raisons psychologiques, des névroses dont tout un chacun peut être victime. Dans La Piel que Habito de Pedro Almodóvar (2011), un chirurgien travaille sur la régénération de la peau. Sa femme est morte dans un accident d'auto calcinée. Il utilise un cobaye humain. L’homme qui a violé sa fille s'est tragiquement suicidé. Fou de tristesse, le chirurgien cherche une vengeance à la hauteur de l'amour pour sa fille. Il opère cet homme pour en faire une femme et pratique une vaginoplastie. Désormais, l'opéré a un sexe de femme et un visage de jeune femme. Son patient devient une très belle femme dont l'identité psychologique reste homme. Almodóvar fait reculer les tabous dans des proportions jamais atteintes.

Laurence Périgaud, une jeune réalisatrice, produit son propre film par pur hasard. Chris, un ami indirect de sa famille, est professeur de gestion. Il décide de devenir ce qu'il a toute sa vie durant rêvé d'être: une femme. Il se transforme. Cela dure un an. Laurence Périgaud suit ce cheminement pour faire son premier long métrage (54 minutes). Avec une pudeur infinie, elle met en lumière les problèmes psychologiques intimes et analyse l'hostilité, l'incompréhension extérieure rencontrée par ce personnage étonnant habité par une volonté sans faille de franchir le pas vers un autre univers où le drame est partout présent. Dès le début de sa vie de femme, sa fille ne veut plus lui parler. Son propre père ne comprend rien.

Les spectateurs sont véritablement conquis par tant de sincérité du personnage et de sobriété de la réalisatrice.

Dans La Guerre est déclarée de Valérie Donzelli (2010), la conscience individuelle prend un sens inhabituel lorsque celle-ci veut permettre à autrui de profiter d'une expérience, d'une réflexion lorsque la mort menace la famille et qu'un couple est à la recherche de vérité positives et de bienveillance afin d'éviter l'enfer. Le film est interprété par les protagonistes de cette histoire: Valérie Donzelli (Juliette), Jérémie Elkaïm (Roméo) et leur fils Gabriel. Il faut se sortir coûte que coûte de cette histoire qui peut virer au tragique si les parents ne prennent pas positivement les choses en mains. Le film conte leur tragédie dans une autobiographie étourdissante pleine d'humour. Le couple ne cède pas afin de ne pas rejoindre le désespoir.

Les États Généraux de Lussas, le cinéma documentaire dans tous ses états

Aux «États généraux du film documentaire» de Lussas, comme chaque année fin août, plusieurs centaines de participants se sont mis à réfléchir sur la mission du documentaire dans notre vie quotidienne et son influence sur notre vie. La philosophie n'était pas absente de cette manifestation dont les images ne pouvaient se passer d'analyse. Le matériel filmique était décrypté dans les séminaires et au cours de débats longs et houleux où chaque membre de ces États Généraux se sentait impliqué esthétiquement, formellement et politiquement dans cette recherche de la justice et de la solidarité des individus.

Cette année, Kees Bakker, avec sa compétence habituelle, a mis l'accent sur l'histoire du «doc» tchécoslovaque et a découvert quelques films inconnus comme celui de Pavel Hása, Lidice (1965): le 10 juin 1942, après l'assassinat de Reinard Heydrich, les Allemands rasent totalement le village tchèque de Lidice, fusillant tous les hommes et une partie des femmes. Les survivants sont déportés tandis que certains enfants sont placés dans des familles allemandes dans le cadre du programme Lebensborn. Le film est un document exceptionnel où la conscience humaine subit une amère défaite devant ces hommes qui ont perdu toutes trace d'humanité.

Au cours de son séminaire «Le cabinet amateur», Pierre Oscar Lévy en compagnie du philosophe Christian Salmon, montre qu'aujourd'hui la notion d'auteur se dissout dans la nécessité de rapporter des événements dont un seul individu ne pourrait subir la charge au risque d'être assassiné par des autorités politiques soucieuses de camoufler leurs méfaits d'assassin. Dans Fragments d'une révolution (2011), en Iran, les internautes envoient des images et dénoncent la fraude massive aux élections du 12 juin 2009. L'œuvre est montée grâce au matériel émanant de toutes parts. Elle reste anonyme, pour des raisons de sécurité également. L'auteur ne peut se livrer à la cruauté du pouvoir illégalement en place.