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Les acquisitions massives de terres en Afrique accentuent la pauvreté – 1re partie

Écrit par Kremena Krumova, La Grande Époque
30.09.2011
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  • Le peuple Turkana habite autour du lac Turkana au Kenya et en Éthiopie.(攝影: / 大紀元)

Assoiffés d'investissements étrangers et de promesses de développement, des gouvernements africains offrent de plus en plus aux étrangers ce sur quoi leurs populations dépendent le plus : la terre. Ces acquisitions massives de terres causent le déplacement de millions de personnes, des troubles sociaux et une plus grande pauvreté.

Ces acquisitions massives ont commencé il y a environ dix ans et se sont multipliées suite à l'atteinte des prix record des denrées en 2008, combinés à l'insécurité alimentaire, la crise financière et une hausse de la demande en biocarburants. Ce phénomène se décrit par l'achat ou la location de larges étendues de terres arables par des investisseurs, des gouvernements ou des compagnies dans le but d'exporter les produits dans leur pays ou simplement pour la spéculation financière.

Cette activité est plus courante en Afrique subsaharienne, de même qu'au Brésil et en Russie. Les pays les plus impliqués sont la Chine, la Corée du Sud, l'Inde, l'Arabie saoudite, le Koweït et le Qatar.

Tandis que les chiffres exacts sont difficiles à déterminer, la Banque mondiale a estimé en 2009 que 110 millions d'acres de terres faisaient l'objet de négociations, desquels 70 % étaient en Afrique. L’International Land Coalition (ILC) avance un chiffre à près de 200 millions d'acres, dont 64 % en Afrique.

Selon la Banque mondiale, 21 % des ventes de terres en 2009 étaient reliées à la production de biocarburants. Selon l'ILC, c'était plutôt 44 % pour la même période, avec l'Afrique du Sud se voyant attribuer le surnom de «Moyen-Orient des biocarburants».

L'Afrique est sans aucun doute le continent le plus vulnérable à cette tendance, puisqu'il compte énormément sur l'agriculture de subsistance pour nourrir sa population. On estime à 80 millions le nombre de petits producteurs qui fournissent 95 % des besoins en nourriture de l'Afrique et qui génèrent 30 % du produit intérieur brut. Toutes les terres qui sont enlevées à ces producteurs ont pour eux de graves conséquences.

«Particulièrement au Kenya, en Éthiopie ou ailleurs dans la Corne de l'Afrique, où l'on constate des famines et des sécheresses dévastatrices, il y a vraiment un dilemme moral quand on voit que les gouvernements vendent ou louent des terres qui peuvent être utilisées pour nourrir leurs propres populations», soulève en entrevue Danielle Nierenberg, directrice du projet Nourishing the Planet du Worldwatch Institute.

De plus, beaucoup des terres qu'on enlève aux fermiers ne produisent pas. Une étude de la Banque mondiale en 2010 a révélé que seulement 20 % des projets approuvés avaient commencé à produire. Le reste demeure inutilisé.

Mme Nierenberg a raconté que les groupes de producteurs qu'elle a rencontrés à travers l'Afrique étaient très inquiets et en colère qu'on permette ces acquisitions massives de terres. Ils avaient confiance que les gouvernements ne vendraient pas leurs terres à d'autres gens.

Le cas éthiopien

L'Éthiopie est devenue la référence pour démontrer les effets dévastateurs des acquisitions massives. De larges étendues de terres près de la rivière Omo, dans le sud du pays, 605 000 acres, sont louées à des compagnies étrangères ou encore le gouvernement autorise le développement de cultures commerciales comme la canne à sucre.

De plus, le gouvernement construit le très controversé barrage Gibe III sur la rivière Omo afin de permettre d'irriguer et pour produire de l'électricité, dont la majorité sera vendue au voisin kenyan.

Le barrage empêche le débordement annuel de la rivière, duquel dépendent les tribus pour faire pousser certaines cultures qui se nourrissent du riche limon laissé par la rivière lorsqu'elle retourne dans son lit.

En Éthiopie, la survie des tribus de la vallée de l'Omo – comptant environ 200 000 membres – dépend entièrement de la terre pour cultiver et faire paître le bétail.

Dans un récent entretien avec la Deutsche Welle, Essayas Kebede, directeur de l'Agence d'investissement agricole du gouvernement éthiopien, a expliqué que l'offre de terres aux étrangers pouvait aider à augmenter la production et le pouvoir d'achat des Éthiopiens.

Il a dit que 37 millions d'acres de terres étaient en jachère, et que de ceux-ci environ 9 millions convenaient à l'agriculture commerciale. «Mais pour cela, nous avons besoin d'investisseurs. Ils peuvent venir d'Éthiopie ou de l'étranger, ça nous est égal, mais nous avons un besoin pressant de capital et de technologie moderne pour augmenter la productivité de notre secteur agricole.»

Une partie du Bas-Omo est considérée un site du patrimoine mondial par l'UNESCO en raison de son importance culturelle et archéologique pour l'humanité. Le Comité du patrimoine mondial a récemment exhorté l'Éthiopie à «interrompre immédiatement» le projet de barrage Gibe III.

«Il n'y a plus de chants ni de danses le long de la rivière Omo maintenant. Les gens ont trop faim. Les enfants sont silencieux. Nous, les adultes, allons dans les abris et dormons en silence. Nous ne discutons pas», s'est plaint un homme d'une tribu Mun dans des propos relayés par courriel par Christina Chauvenet, relationniste pour Survival International USA.

Un homme du peuple Mursi a dit : «À cette époque (2006), la terre était très riche. Nous avions beaucoup d'inondations de la rivière Omo et nous étions très heureux. Aujourd'hui, il n'y a plus d'eau et nous sommes tous affamés. Ensuite, ce sera la mort.»

Mme Chauvenet explique que de nombreuses tribus dans la région ont peur de s'exprimer par crainte des représailles. En 2009, le Bureau de la justice du sud de l'Éthiopie a révoqué les permis de 41 ONG locales ou associations communautaires. En conséquence, les tribus n'ont pas d'organisation pour défendre leurs causes ou exprimer leurs points de vue.

Elle a ajouté que Survival International a reçu des rapports crédibles indiquant que tout membre de tribu qui s'oppose au barrage est ciblé par l'armée et la police secrète avec des passages à tabac, la torture et l'emprisonnement. Ils se sont fait dire «d'aller planter ailleurs», de «vendre leur bétail et de dépenser l'argent».

Les acquisitions font augmenter les prix des denrées

En 2008, les prix des denrées ont atteint des records suite à une série de catastrophes naturelles. Bien qu'ils soient par la suite redescendus, ils sont demeurés élevés dans plusieurs pays en développement.

L'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) estime à 1 milliard – soit le sixième de la population mondiale – le nombre de personnes qui ressentent la faim avant d'aller dormir, n'ayant pas un apport quotidien en calories suffisant pour mener une vie saine. Cette année, la Corne de l'Afrique a souffert de la pire sécheresse en 60 ans, condamnant au moins 10 millions de personnes à un destin tragique.

Soren Ambrose, un spécialiste des acquisitions massives de terres chez ActionAid, affirme que les petits producteurs font face à une compétition grandissante de l'industrie agricole pour la terre et les ressources. La production de nourriture pour l'exportation réduit l'approvisionnement local et fait monter les prix.

«Si l'on ne fait pas attention, les conséquences pour les communautés locales seront dévastatrices. Les prix locaux des denrées vont exploser, forçant les gens les plus pauvres à devenir encore plus pauvres», met en garde Soren Ambrose.

Le chômage est également en hausse dans les communautés, elles qui sont déplacées en raison des acquisitions de terres. Lorsque les investisseurs étrangers prennent possession des terres pour des projets agricoles, ils promettent habituellement des emplois aux habitants. Néanmoins, il y a peu de postes comparés au nombre de personnes qui pouvaient vivre de la terre et, de surcroît, les salaires sont très bas.

«Les fermiers disent qu'ils ne veulent pas abandonner l'agriculture pour devenir des travailleurs manuels. Ce n'est pas un bon compromis pour eux», explique en entrevue depuis Montréal Devlin Kuyek, de l'organisation internationale GRAIN.

Lorsque les communautés locales sont évincées, elles n'ont pas d'autre choix que de s'exiler vers les villes. Selon les experts, la plupart des gens déplacés dans les villes sont d'anciens agriculteurs.

«Donc, lorsque vous constatez la pauvreté urbaine en Afrique, c'est en fait une pauvreté rurale déplacée dans les villes», explique Harwood D. Schaffer, chercheur et professeur adjoint au Tennessee Institute of Agriculture.

Mariya Nedelcheva, membre du Parlement européen et membre de la délégation de l'Union européenne pour l'Afrique, a décrit une expérience similaire vécue à Luanda, capitale de l'Angola.

Selon elle, afin que les acquisitions massives de terres puissent bénéficier aux Africains, des règles claires et un mécanisme de surveillance sont nécessaires.

«Lorsque cela est fait dans le seul but d'acheter des terres arables de grande qualité, cela prive les petits fermiers de leurs terres et les transforme en travailleurs manuels, leur coupe l'accès à leurs propres terres et, en plus, cette terre pourrait être utilisée pour produire de la nourriture, mais elle est utilisée pour les biocarburants. C'est vraiment effrayant ce qui est en train de se passer.»

À suivre dans la prochaine édition.

Version originaleLand Grabs in Africa Threaten Greater Poverty

 

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