Vendredi noir pour la France qui perd son triple A

Écrit par Charles Callewaert, The Epoch Times
16.01.2012

  • Le président Nicolas Sarkozy, à l’Élysée le vendredi 13 janvier, après une réunion avec le ministre des Finances François Baroin, suite à l’abaissement de la notation par S&P. (Miguel Medina/AFP/Getty Images)(Stringer: MIGUEL MEDINA / 2012 AFP)

Des conséquences très incertaines pour l’économie française

PARIS - Le mythe du «vendredi 13», synonyme de mauvais présage, semble se vérifier avec l’annonce ce même jour par le ministre des Finances, François Baroin, d’une baisse d’un cran de la notation de la dette souveraine française par Standard & Poor’s de AAA à AA+, assortie d’une perspective négative et de la dégradation de huit autres pays européens. Signe fort d’un décrochage avec une Europe plus vertueuse au niveau budgétaire, l’Allemagne ainsi que trois autres pays du nord de l’Europe (Pays-Bas, Luxembourg, Finlande) restent notés AAA assortis d’une perspective stable. Ainsi seuls quatre pays européens et quatorze pays (*) au niveau mondial sont à présent notés triple A.

 

Une issue inévitable anticipée par les milieux financiers

Le suspense était savamment entretenu depuis l’été, mais l’écart croissant des taux d’emprunt entre la France et l’Allemagne signait l’anticipation par les milieux financiers d’une décision devenue inévitable. Les seize sommets «de la dernière chance» convoqués par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ont permis d’entretenir l’illusion, mais la menace, le 5 décembre 2011, par S&P d’abaisser la note de 15 pays européens dont les 6 pays notés triple A, avait contraint le gouvernement français à en accepter enfin l’augure. La récente annonce par Fitch Ratings, la filiale du groupe financier français Fimalac présidée par Marc Ladreit de Lacharrière, ami du président français, que «la note de la France ne devrait pas être abaissée en 2012» n’a pas suffi à convaincre l’agence américaine, pas plus que le second «coup de rabot budgétaire» voté en fin d’année par les députés.

 

Une euro-zone fragilisée par les déséquilibres entre ses membres 

Dans sa note d’accompagnement, l’agence de notation évoque plusieurs raisons : tout d’abord, l’absence d’avancée significative lors du sommet européen du 9 décembre 2011, en particulier «au sujet des ressources supplémentaires et de la flexibilité nécessaires pour soutenir les pays de la zone euro soumis aux pressions du marché». Parallèlement selon S&P, si l’accord européen reconnaît la nécessité de réduire les déficits budgétaires, il n’évoque pas «les déséquilibres extérieurs croissants ni les divergences de compétitivité entre pays européens», qui sont également à l’origine de la crise. Pour l’agence, les seules mesures d’austérité budgétaire, sans accompagnement en termes d’emploi ni de maintien de la consommation, entraîneront une baisse des recettes fiscales avec un effet autodestructeur.

 

Concernant la France, si S&P souligne la bonne santé et la diversité du tissu économique, elle met en cause «le niveau élevé de la dette souveraine ainsi que les rigidités de son marché du travail». L’agence invite donc le gouvernement à poursuivre sa «stratégie de renforcement budgétaire et ses réformes structurelles», mais précise qu’il y a «une chance sur trois» de voir la notation à nouveau abaissée si les résultats ne sont pas au rendez-vous, en particulier si la croissance est en décalage avec les prévisions gouvernementales de 1% en 2012 et de 2% en 2013 ou si la France devait renforcer ses engagements financiers dans la zone euro.   

 

Autosatisfaction gouvernementale

Cherchant à minimiser l’événement politique en comparant la France à un élève qui, habitué au 20/20 se voit recevoir une note de 19/20 à laquelle il s’attendait depuis un moment, le ministre des Finances a aussitôt précisé que «la gestion du gouvernement n'est pas en cause», que cette dégradation «s'explique par la crise dans la zone euro» et qu’il n'y aura pas de nouveau plan de rigueur puisque «ce n'est pas une question de rigueur budgétaire».

 

Dans son allocution du samedi 14 janvier 2012, le Premier ministre, François Fillon, a affirmé sa volonté «d’engager une nouvelle étape au service de la compétitivité de l’économie française et de la croissance» et fixé, dès maintenant, les thèmes du sommet du 18 janvier avec les partenaires sociaux : «la formation des demandeurs d’emploi, les accords de compétitivité dans les entreprises et le financement de la protection sociale pour abaisser le coût du travail». Il a aussi annoncé un prochain débat avec les collectivités locales au sujet des «efforts de réduction des déficits».

 

Unanimité de l’opposition contre la politique du gouvernement

L’autosatisfaction gouvernementale a aussitôt été critiquée par les candidats de l’opposition à l’élection présidentielle : pour le candidat socialiste, François Hollande, la perte du triple A s’illustre par les écarts entre les deux grands partenaires de l’Europe. Rappelant que «c’est la première fois, depuis que les États sont notés, que la France décroche par rapport à l’Allemagne», il dénonce «un déficit budgétaire de 5,5% du PIB en France contre 1% en Allemagne, une balance commerciale française déficitaire de 75 milliards d’euros contre un excédent de 160 milliards d’euros pour l’Allemagne, et une croissance quasi nulle dans notre pays». Le centriste, François Bayrou pour sa part renvoie dos à dos les gouvernements successifs de gauche et de droite qui «portent chacun leur part de responsabilité». Quant à la présidente du Front National, Marine Le Pen, elle conclut à l’échec de Nicolas Sarkozy tout en prédisant un «éclatement de la zone euro». 

 

Les marchés financiers ont déjà anticipé cette dégradation, mais on estime ainsi qu’une hausse des taux de 1% entraînerait une surcharge de la dette de 2 milliards d’euros dans l’immédiat et de près de 14 milliards à 10 ans. La ministre du Budget, Valérie Pécresse, a précisé dès cet été, que «la perte du triple A… coûterait à peu près 5 milliards d’euros par an… soit le budget du ministère de la Justice» et en a tenu compte dans le budget 2012. Cependant, si le gouvernement semble relativement serein sur le plan budgétaire, il risque de l’être beaucoup moins sur le plan de l’économie et de l’emploi. Il n’est en effet pas inutile de rappeler que la perspective de 1% de croissance sur lequel le budget 2012 est bâti risque fort de ne pas être au rendez-vous.

 

L’activité économique et l’emploi au centre des négociations futures

Avec la perte du triple A, l’État ne sera pas le seul à emprunter plus difficilement. Les collectivités locales, dont les budgets proviennent en partie de dons de l’État et par ailleurs, en situation difficile à cause des prêts à taux variable vendus notamment par Dexia, seront fortement touchées. Il en est de même des banques françaises qui, du fait de leur exposition sur les emprunts grecs et de leur nécessité de se recapitaliser, risquent de limiter très fortement le crédit aux PME si elles ne peuvent alléger rapidement leur bilan. Ainsi, la baisse prévisible des commandes de l’État et des collectivités locales, associée à un risque d’assèchement du crédit aux entreprises, pourrait étrangler ces dernières et provoquer un accroissement rapide du chômage dans les prochains mois. Le pays peut-il encore le supporter ?

 

La vraie question qui se pose est donc celle du maintien de l’activité économique de la France, c’est-à-dire de l’emploi. Est-il encore possible d’y parvenir sans demander aux couches aisées un effort de solidarité nationale et sans provoquer une profonde réforme fiscale ? La rencontre du 18 janvier prochain trouve là sa pleine justification, mais le gouvernement a-t-il gardé suffisamment de crédibilité pour parvenir à un réel accord entre les partenaires sociaux ?

(*) L'Allemagne, l'Australie, le Canada, le Danemark, la Finlande, Hong Kong, le Liechtenstein, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, Singapour, la Suède et la Suisse.