Des élections truquées pour une démocratie fragile en Afrique

Écrit par Kremena Krumova, The Epoch Times
26.01.2012

  • Un électeur crie sur un agent électoral en République démocratique du Congo, le 29 novembre 2011, dans un bureau électoral qui a subi une attaque la veille par des hommes armés qui ont brûlé tous les bulletins de vote. (Phil Moore/AFP/Getty Images)(Staff: AFP / 2011 AFP)

  Les récentes élections en République Démocratique du Congo (RDC) se sont déroulées d’une manière malheureusement trop bien connue en Afrique: accusations de fraude électorale, violence, contestation des résultats avec, dans ce cas précis, le perdant se déclarant lui-même président en rejouant le scénario de la Côte d’Ivoire de l’année dernière.

Dans de nombreux pays de l’Afrique subsaharienne, la démocratie n’est guère plus qu’un spectacle pour le peuple et même peut-être pour le monde, sans un réel intérêt pour ses principes fondateurs. Lorsque la démocratie est reconnue comme le meilleur chemin pour la stabilité, sa création n’en reste pas moins un véritable défi.

On peut dire que les réformes démocratiques ont été encouragées par les pays occidentaux en échange d’une aide en dollars. Le processus a commencé en 1989 avec le rapport de la Banque mondiale, «Afrique subsaharienne: de la crise au développement stable» qui, pour la première fois, a établi le lien entre l’aide au développement  et la «gouvernance», selon le rapport de 2003 pour la résolution constructive des conflits de Njunga M. Mulikita, président du Centre d’Afrique du Sud. Une bonne gouvernance impliquait entre autre un système multipartite, la liberté politique, une société civile active, une justice indépendante et la transparence dans les prises de décisions.

Manipuler pour garder le pouvoir et obtenir de l’aide

Les nations dirigées par des dictateurs ont été sommées de se transformer instantanément en démocraties, avec des constitutions, des droits de l’homme et des systèmes électoraux multipartites. Ainsi l’Afrique a embrassé la démocratie. Néanmoins, la démocratie a été adoptée comme un cosmétique, utilisé non comme une fin mais plutôt comme un moyen: celui de garder le pouvoir et de s’assurer de soutiens. La définition de la démocratie a été manipulée et bafouée par ceux qui voulaient conquérir et garder le pouvoir.

Vingt années plus tard, les changements sont minces. Depuis les élections de novembre 2011 en RDC (le deuxième vote national) Joseph Kabila le président sortant, a gardé son emprise sur le pouvoir, même si pour de nombreux observateurs les élections ont été manipulées et les résultats faussés.

Selon des experts, Kabila a délibérément saboté le processus électoral en instituant les commissions électorales neuf mois seulement avant le vote, créant ainsi le chaos dans les bureaux de vote. Certains n’ont même jamais ouvert.

De même, au Cameroun, en octobre 2011, le président en fonction Paul Biya avait réservé tous les avions disponibles voyageant vers le Nord du pays, empêchant ainsi concrètement ses adversaires de mener leur campagne électorale. C’est de cette manière que Biya a pu assurer son sixième mandat consécutif.

«La démocratie est utilisée de manière minimale pour tenter de justifier son pouvoir au travers des urnes, même si ce pouvoir ou cette élection est illégitime», a déclaré par téléphone Sanusha Naidu, analyste politique indépendant de Cape Town en Afrique du Sud.

Dans un exemple récent en Côte d’Ivoire, bien que le candidat Alassane Ouattara ait été déclaré gagnant par les observateurs des Nations unies, il n’a pas pu entrer dans ses fonctions parce que l’ancien président dictateur Laurent Gbagbo refusait de renoncer au pouvoir. Un ex aequo violent et prolongé s’en est suivi jusqu’à ce que Gbagbo soit écarté et finalement arrêté, avec l’aide des forces françaises. Il risque maintenant une inculpation devant la Cour criminelle internationale pour avoir fait couler le sang à la suite des élections.

À cause de l’intervention internationale, on n’a pas pu éclaircir sur qui reposait réellement la culpabilité d’avoir trafiqué les élections en Côte d’Ivoire. Les médias occidentaux ont soutenu Ouattara et décrit Gbagbo comme le saboteur alors que l’Union africaine a remis en cause la légalité de la campagne de Ouattara.

En RDC, la fraude était tellement exacerbée qu’il n’était pas évident de savoir qui sabotait le processus démocratique, le candidat sortant Joseph Kabila ou son adversaire historique Etienne Tshesekedi qui contestait le résultat.

«La RDC et la Côte d’Ivoire sont les cas d’une tendance ayant cours largement en Afrique à savoir le sabotage systématique de la période post-électorale sans aucun égard vis-à-vis des résultats réels, ceci pour satisfaire des intérêts personnels», a écrit dans un email Grant Masterson, grand spécialiste de l’Institut Électoral pour la Stabilité démocratique en Afrique (EISA) à Johannesburg.

Quand la structure démocratique favorise la ségrégation

Selon des observateurs, il devient de plus en plus difficile de tenir des élections dont les résultats seraient acceptés par tous, une des raisons principales étant que la structure démocratique encourage les divisions de type ethniques ou religieuses, qui sont déjà abondantes.

Selon l’auteur irlandais Christopher Ruane, dans les pays où existent des frontières marquées entre les différentes ethnies, religions et cultures, l’approche démocratique ouvre la porte aux violations systématiques des droits par le groupe majoritaire.

C’était la raison invoquée par le président de l’Ouganda Museveni pour son «démocratie sans parti». Museveni prétend que la démocratie basée sur la différence entre les partis va dégénérer rapidement en partis ethniques qui s’affronteront aux élections sur une base de ségrégation.

On peut trouver un autre exemple de ce phénomène avec le Soudan du Sud, le pays le plus récent d’Afrique, né après des années de guerres civiles sanglantes. En effet, de nombreuses tribus du Soudan du Sud ne reconnaissent pas la légitimité du gouvernement du Mouvement de la Libération du Peuple. Cela explique la haute méfiance entre les partis politiques.

«Ils ne donnent pas l’impression d’être des partenaires, comme des joueurs dans un même stade; ils donnent l’impression d’être des ennemis car dans le passé récent, ils faisaient partie de différentes factions rebelles qui se combattaient entre elles. Tout cela se retrouve ensuite dans l’arène politique», a déclaré Vincent Tohbi, le directeur national du EISA en RDC.

Les démocraties défaillantes

Les États africains ont eu bien du mal à établir un pouvoir fort. La population en général se méfie de l’État et du système électoral à cause de législations et de commissions électorales partiales. La plupart des politiciens manquent d’une connaissance basique sur ce qu’est une bonne gouvernance ce qui contribue aussi à la méfiance du peuple envers les institutions.

«Vous pourrez trouver de nombreuses personnes n’ayant aucune notion quant à la manière de gouverner», dit Tohbi. De plus, le politicien est perçu comme voulant, non pas se dévouer pour le bien du peuple mais plutôt satisfaire ses intérêts personnels politiquement et financièrement. Pour de nombreuses nations qui ont un secteur privé réduit, l’État est la seule source de revenus.

Prévisions optimistes

D’après Tobhi, l’expérience africaine démontre qu’il faut un minimum de trois ou quatre élections pour fonder une démocratie plus stable. Parmi les 44 pays africains au classement, un seul d’entre eux était considéré comme une démocratie à part entière, il s’agit de l’Île Maurice située dans l’océan Indien et qui a adopté une réforme démocratique dès 1968.

Un rang en dessous, on trouve les «démocraties défaillantes» qui comprennent l’Afrique du Sud, Cap-Vert, le Botswana, la Namibie, le Lesotho, le Ghana, le Mali, le Bénin et depuis 2011 aussi la Zambie. La plupart de ces pays, mais pas tous, ont connu plusieurs élections multipartites. Néanmoins 23 parmi les 53 dictatures dans le monde se trouvent en Afrique subsaharienne.

Néanmoins, place à l’optimisme. En effet, contrairement aux démocraties établies déjà depuis des centaines d’années, la plupart des États africains n’ont que 50 ans d’existence. De plus, l’Afrique connaît un développement économique sans précédent et montre un fort potentiel. Donc le temps est venu pour rattraper l’écart.

Avec la résonance du Printemps arabe, les Africains eux aussi espèrent un changement social et politique. «Les citoyens ordinaires reprennent le pouvoir en main» dit Ebrahim Fakir, directeur à l’EISA de Johannesburg.

La «marche vers le travail» (walk to work), manifestation qui eut lieu en avril 2011 en Ouganda, les rassemblements de masse en janvier 2011 au Gabon et de différentes ampleurs, des révoltes en Côte d’Ivoire, au Nigeria, au Congo, au Soudan, indiquent que les citoyens commencent à participer à la vie politique et sociale de leur nation.