La piraterie somalienne aiderait au développement économique régional

Écrit par Alex Johnston, La Grande Époque
26.01.2012

  • Un pirate somalien observe au large un navire coréen détourné par ses collègues en août 2010.(Staff: ROBERTO SCHMIDT / 2010 AFP)

Les stratégies élaborées pour contrer le pillage doivent tenir compte de cette réalité, selon un rapport

Bien que très dommageables pour l'industrie du transport maritime international, les fruits de la piraterie somalienne ne profitent pas qu'à une poignée de criminels : ils seraient partagés dans la communauté, indique un nouveau rapport basé sur l’imagerie satellite.

«La communauté internationale devrait garder ces résultats en tête lorsqu'elle développe des stratégies sur la terre ferme pour régler le problème de la piraterie en Somalie», affirme Dr Anja Shortland, l'auteur du rapport réalisé pour le compte du cercle de réflexion britannique Chatham House.

La recherche a été entreprise pour faire la lumière sur les ramifications financières de la piraterie en Somalie afin d'aider la communauté internationale à développer une approche sur terre plutôt qu'en mer pour combattre ce banditisme dans la Corne de l'Afrique. En 2010, on estime que la piraterie aurait coûté entre 7 et 12 milliards de dollars à la communauté internationale.

Culture de partage

Dr Shortland souligne qu'il y a une culture de partage très enracinée en Somalie. Ainsi, les gens plus fortunés élèvent leur statut en partageant avec des membres de leur clan. «Une part importante des rançons est dépensée en Somalie, mais la consommation flamboyante semble limitée par les normes sociales qui mettent l'accent sur le partage des ressources», indique le rapport.

L'importance de cet élément culturel est illustrée par un proverbe somalien cité dans le rapport: «L'homme qui possède 100 chèvres, mais dont les proches n'ont rien, est en fait pauvre.»

Lorsqu'un chef des pirates, Abshir Boyah, a été interrogé, il a dit : «Ce n'est pas comme si trois personnes se partageaient un million de dollars. C'est plutôt 300 personnes», indique le rapport.

Mohamed Abdi, un autre dirigeant pirate, «s'est esclaffé lorsque les Nations Unies ont menacé de geler les actifs des pirates», selon le rapport. Il a demandé : «Quels actifs?»

Cependant, la plupart des investissements des pirates semblent être effectués dans les grandes villes de Bosasso et Garowe plutôt que dans les régions côtières, où les pirates sont basés. Ceci a profité le plus aux travailleurs journaliers et aux agriculteurs du Puntland.

Pour évaluer la situation sur le terrain, les chercheurs ont considéré deux types de données. Un type, compilé auprès des organisations non gouvernementales internationales, a démontré qu'une large part des rançons était convertie en monnaie locale, que le prix du bétail avait augmenté proportionnellement à l'augmentation de la piraterie et que les gains de la piraterie avaient permis d'absorber les augmentations substantielles du prix des denrées en 2007-2008.

Ensuite, ils ont observé des images satellites prises la nuit pour identifier où la couverture électrique avait augmenté. Ils ont découvert que les villes à l'intérieur des terres brillaient davantage que les villes côtières du Puntland comme Eyl et Hobyo.

Une approche de terrain

Des années d'efforts pour contrer la piraterie, impliquant plus d'une trentaine de pays, ont permis d'aider à réduire le nombre de détournements.

Un rapport du Bureau maritime international indique que bien que les tentatives de détournement avaient augmenté durant les neuf premiers mois de 2011 comparées à l'année précédente (199 contre 126), le taux de succès des pirates était en baisse. Les pirates ont été en mesure de prendre le contrôle d'un navire 12 % du temps en 2011, comparé à 28 % en 2010.

Le rapport de Chatham House souligne qu'avec l'augmentation du nombre de navires-patrouilleurs et de la sécurité à bord des navires de commerce, les pirates ont tenté de soutirer des rançons plus importantes des navires capturés. «Les négociations de rançons s'étirent maintenant plus longtemps et produisent des paiements record.»

En 2010, la rançon moyenne pour un navire était de 10 millions de dollars et environ 40 % de cette somme contribuait au marché du travail local. Environ 250 millions de dollars ont été payés en rançons.

Dans ce contexte, ceux qui se penchent sur le problème cherchent des solutions qui seraient basées sur la terre ferme, comme remplacer le revenu de la piraterie par une autre source. Dr Shortland fait remarquer que même si la totalité des revenus générés par les rançons était remplacée directement, ce serait encore considérablement moins cher que les 12 milliards de dollars que coûte la piraterie.

Selon les résultats des recherches, Dr Shortland dit que le développement d'une stratégie devrait tenir compte que les communautés côtières du Puntland ne profitent pas des butins de la piraterie.

Une solution «devrait chercher à exploiter la déception au sein des communautés côtières concernant les avantages économiques de la piraterie et leur offrir une alternative qui leur soit beaucoup plus profitable que l'hébergement des pirates».

«D'un autre côté, une action militaire priverait un des pays les plus pauvres de la planète d'une importante source de revenus et ferait ainsi augmenter la pauvreté.»

Version originale : Somalia Piracy Leads to Economic Development