Vent de liberté en Tunisie un an après la révolution

Écrit par Mélanie Thibault, La Grande Époque
08.01.2012
  • Manifestants devant le palais du Bardo à Tunis (攝影: / Val

La population tunisienne, au sortir d’une dictature de 23 ans sous Ben Ali, et alors que la révolution fête sa première année, guette les faits et gestes du gouvernement provisoire. Tous les gens interviewés, sans exception, ont accepté de parler politique, chose autrefois interdite. Ce vent de liberté est palpable dans tout le pays où visiteurs et hôtes peuvent enfin échanger sans censure.

Les manifestants font un sit-in devant le palais du Bardo, là où la Constitution est en voie de rédaction par le biais d’une assemblée dominée par le parti islamiste Ennahdha. Les téléviseurs et les radios sont allumés dans les boutiques et les cafés, et la population suit au jour le jour la naissance d’une démocratie. Les journaux se multiplient avec 200 nouvelles parutions depuis la révolution du 14 janvier 2011. Le message est clair et se répète sur les pancartes des manifestants et lors des interviews : «Le peuple veut une vraie démocratie, sinon dégage!»

Comme le décrit Fethi Benslama dans son livre Soudain la révolution!, traitant du soulèvement tunisien, le régime de Ben Ali a autrefois réduit sa population à l’impuissance totale : «neutralisation politique […], transformation des acteurs publics en marionnettes, organisation policière brutale et techniquement sophistiquée, pillage des biens communs par son clan vorace au su de tous, humiliation physique et morale des opposants – avec dans bien des cas la torture et l’assassinat – arrogance et menterie quotidiennes». C’est pourquoi aujourd’hui, le désir d’une politique ouverte et respectueuse est maintenant sur toutes les lèvres…

Djamel Mlayah est un musicien traditionnel basé à Sidi Bou Said, ville prisée des touristes, mais plus calme depuis la révolution. Son chant andalou s’entend dans la rue par période d’achalandage et au café des Nattes qui surplombe l’avenue bercée par le coucher du soleil sur la Méditerranée. Il parle d’espoir dans le milieu artistique tunisien depuis le soulèvement. «On se rencontre pour discuter en pleine rue, c’est la liberté et ça transparaît aussi dans la musique. On a hâte que le tourisme reprenne, qu’il puisse participer à ce nouveau plaisir de vivre en Tunisie.»

  • le portrait du dictateur tunisien Ben Ali(攝影: / 大紀元)

Population avertie

Amira Ouerghi et ses copines, Samia Briki et Rana Ben Mna, venues prendre le thé dans ce même café, sont plus méfiantes quant à la prise de pouvoir du nouveau gouvernement. «On attend de voir si la nouvelle démocratie fera l’affaire, sinon on n’hésitera pas à intervenir de nouveau pour obtenir une vraie démocratie.»

Vendeur de souvenirs au musée du Bardo, proche du sit-in, Nasser Kachrami, 54 ans, est plus serein. Il parle d’Ennahdha comme d’un parti, certes religieux, mais moderne et démocratique. «On se sent libre de discuter, la peur a disparu. On échange avec les touristes. Même s’ils se font plus rares, j’ai bon espoir de les retrouver en masse quand ils comprendront qu’il n’y a rien à craindre.»

    

Un peu plus loin dans Bardo, les voix s’unissent pour clamer des slogans. Dora Bel Hadjkhelifa, fonctionnaire, a pris une journée de congé spécialement pour manifester. «Nous demandons à ce que la Constitution soit rédigée dans un temps déterminé d’un maximum d’un an. On veut aussi la séparation des pouvoirs.» Rien n’est encore acquis et c'est pourquoi Yasmine, étudiante à l’école supérieure de commerce, accompagnée de ses amis de l’université, reste jour et nuit devant le palais du Bardo, jusqu’à ce que tout soit plus clair. «Le gouvernement provisoire doit servir à rédiger la Constitution et non pour prendre le pouvoir. On demande l’assainissement du ministère de la Justice. On est ici pour laisser notre message, puisqu’on est dans une démocratie.»

L’un n’empêche pas l’autre

De retour à Tunis, la rencontre de Rached Mlouka, vendeur de tissus dans la capitale. Il dit avoir goûté à la dictature de Ben Ali. Mis en prison ferme durant un an, il a eu pour seul tort de sympathiser avec le parti Ennahdha en 1991. À 40 ans, il voit le gouvernement provisoire d’un très bon œil, suivant activement les déroulements politiques à la radio qui habite la boutique de son ambiance sonore. «Le gouvernement n’a pas de préjugé, il se veut égalitaire. C’est la liberté. Regardez, de la rue nous voyons à droite, la mosquée et à gauche, le bar, chacun est libre de faire son choix.»

Vivre sa religion au grand jour est une délivrance pour plusieurs. Rhama Zkhama, 24 ans, rencontrée dans la mosquée de Sousse, porte maintenant le voile à l’université. «Je suis libre, ça y est. Je peux enfin me consacrer à mon Dieu», lance l’étudiante en informatique. Une salle de prière est aussi offerte aux gens qui le souhaitent. «Mes sœurs ne sont pas voilées et on vit ensemble. L’un n’empêche pas l’autre», partage-t-elle.

Plus au sud, à Tozeur, Mohamed Ali Labidi Jaffli, 36 ans, marchand au café de la Maison Ben Achour, est fier de pouvoir enfin se laisser pousser la barbe. «Je respire! Tout ce qui compte maintenant, c’est le respect des autres. On sent les gens plus ouverts. Avant c’était impossible de discuter politique ou religion. On ne pouvait pas savoir si un fervent de Ben Ali se cachait chez les auditeurs.»

Mariage entre culte et politique

À Kairouan, Ghozzi Taïeb, le nouvel imam choisi par les fidèles, est en place depuis la révolution dans la plus prestigieuse mosquée de Tunisie. «Nous ne nous servons pas de la mosquée pour parler de politique, mais indirectement, faisons allusion à Ennahdha pour les prochaines élections.» Un parti qui pour l’imam soutient les valeurs religieuses de l’Islam sans se perdre dans l’extrémisme.

Il ajoute être actif aussi comme premier responsable de la Maison du Coran, où se dispensent enseignement et activités religieuses. Maintenant libre de prêcher auprès de la population, il entend défendre «deux choses immuables dans la religion musulmane : la liberté et la démocratie». Une liberté qui pour lui s’arrête quand elle touche celle des autres.

Islamiser la démocratie demeure une voie incertaine. La Tunisie est en situation inconnue après de «sombres années de séquestration», comme le mentionne l’auteur Fethi Benslama, «Les forces sont libérées, les demandes, les volontés d’appropriation, les haines et aussi les espaces de liberté.»

 

Cet article a été écrit suite à un voyage de presse payé par l’Office du Tourisme de Tunisie.