Il serait difficile de retracer une génération qui n'a pas été en contact avec les contes de fées aboutissant à un mariage. Cette culture, intensifiée par l'Occident, a prédominé la jeunesse et continue d'être renflammée même après l'âge adulte. D'un autre côté, des chiffres récents démontrent une décroissance de ce type d'union. Comment peut-on expliquer cela?

Le recensement  2011, publié depuis peu par Statistique Canada, démontre que non seulement la région montréalaise a connu une baisse du nombre de couples mariés, mais que la région de Sherbrooke et celle de la Mauricie sont également touchées. Thierry Pardo, doctorant en éducation de l'UQAM et conteur chevronné, fait la lumière sur ce paradoxe nécessitant autant un regard sur le réel que sur la fiction.

«Les contes traitent de choses qui sont assez loin de nos réalités, même s'il existe une petite part des contes qui est un peu plus terre-à-terre. Ce n'est pas parce qu'on a été bercé par Cendrillon ou Blanche-Neige qu’on a pu forcément établir un lien avec notre expérience de vie.» Selon M. Pardo, le mariage, dans sa définition authentique, est passé dans la même porte que tout l'invraisemblable des récits.

Influences

Les histoires bouclées par un mariage ne sont qu'une influence de ce qui a façonné l'idée du couple, uni légalement ou pas. M. Pardo avance que le fait d'avoir vécu dans une civilisation judéo-chrétienne mêlée à certaines revendications féministes a pu contribuer à l'essoufflement du romantisme et à la coupure du vécu avec le conte. «Un ami me racontait qu'il s'était fait insulter par une femme alors qu’il lui avait ouvert et tenu la porte. Ça ne donne pas trop le goût d'être le chevalier de la princesse en détresse et de lui demander sa main ensuite.»

Perceptions

La situation du Québec quant au mariage se veut en partie le reflet de sa perception du contrat conjugal. «Le mariage n'est en fait que le début, chose qu'on a pu concevoir avec le temps comme une fin. Le plus difficile ce n'est pas de passer à l'acte, mais bien les 40 ou 50 ans qui suivent.» Perçue comme une finalité, la vision du mariage que la majorité des gens a pu entretenir est devenue en quelque sorte un des symptômes révélateurs «d'une époque assez désenchantée». Thierry Pardo voit le mariage tel qu'il est vu aujourd'hui comme faisant partie de ce mouvement global de «désacralisation».

Les tendances

Les différents visages du mariage contemporains sont très loin de la consécration qu'elle pouvait avoir jadis. L'imaginaire sert pour différentes fins qui ont peu de choses à voir avec les contes. «Il n'y a pas si longtemps, il y a eu les mariages pour obtenir des prêts et bourses. Il n'est pas rare d'en voir qui le font pour sauver de l'impôt ou encore pour pouvoir immigrer plus facilement.»

La distorsion de la compréhension qu'on a du mariage continue de faire surgir des scénarios de plus en plus excentriques. «Je connais plusieurs couples qui ont des contrats officiels, devant le notaire, du genre : nous sommes en couple, on fait un enfant, je suis la femme qui le porte, mais n'oublie pas que pendant que je le porte, toi tu continues ton avancement de carrière et le jour où nous nous séparerons, il va falloir qu'on prenne ça en compte dans le partage des biens. Ces gens ne sont pas dans le milieu des affaires, mais bien des gens qui ont des valeurs dites humanistes, près de la nature.»

Mariage fait maison

Au Québec et dans d'autres pays du monde, le mariage est passé de grandes noces aux célébrations simplistes. «Ici, tu peux te marier dans ta cuisine avec ton copain qui fait la cérémonie, tu peux recevoir un ensemble prêt à marier, avec les textes à dire, avec témoin, tu envoies le tout à l'administration et tu es officiellement marié.» Peut-on désacraliser l'institution du mariage plus que cela? Thierry Pardo ne croit pas.

Même si M. Pardo fait partie des romantiques, il n'est pas marié à sa conjointe Laurie. S'il annonçait à ses deux garçons qu'il décidait de se marier, ils verraient sans doute cela comme une occasion de faire la fête, au même titre que de souligner un anniversaire. La dynamique familiale et éducative n'en serait pas changée. Pourtant, la dimension fantastique existe bel et bien dans la vie familiale et conjugale du conteur. Il a, depuis longue date, tracé un trait d’union entre le monde imaginaire et le monde plus réaliste et a grandi avec l’idée qu’ils ne sont pas complètement séparés. Il en aurait souhaité autant pour tous.