Inde: des fermiers privés d'accès à leurs terres

Témoignages angoissés des agriculteurs et des aînés

Écrit par Venus Upadhayaya, Epoch Times
13.11.2012
  • Chak Changa, village de Hiranagar, État de Jammu, octobre 2012, près de la frontière indo-pakistanaise, deux femmes occupées à la récolte du riz. (Vénus Upadhayaya/Epoch Times)

CHAK CHANGA, Inde – Une terre riche est fertile, c'est la joie d'un fermier, mais pour les agriculteurs, de l'État de Jammu, à la frontière avec le Pakistan, entretenir des champs de haut rendement est devenu une source d'angoisse au quotidien.

Le gouvernement indien a érigé une barrière pour empêcher la contrebande d'armes et l'infiltration d'intrus armés en provenance du Pakistan. Cette barrière n'est pas, cependant, directement sur la frontière. Elle empiète sur le territoire indien et traverse les champs des agriculteurs, coupant les paysans de leurs moyens de subsistance.

Tous les projecteurs internationaux sont désormais dirigés sur cette frontière, qui s'étend sur 800 km environ de la région Akhnoor au Jammu jusqu'au Rajasthan, plus au sud.

«Les villageois ne peuvent accéder à leurs champs qu'à travers une porte, ouverte de 9 heures à 16 heures», explique Ramesh Sharma Chandar, un fermier et habitant du village Ganguchak.

Le niveau de vie  dans Ganguchak et ses alentours semble meilleur que dans bien des villages en Inde.

Quelques grandes  habitations, décorées avec fantaisie et colorées sont disséminées le long de huttes de boue parfaitement définies. La région offre une terre fertile où l'on peut cultiver le riz. Les femmes et les hommes travaillent activement à la récolte et à la culture et sont en bonne santé. Les enfants vont à l'école dans des uniformes bleu et blanc. Les Gujjars (une tribu nomade pastorale qui campe à proximité) viennent ici amasser du  fourrage pour les bœufs de leurs chars.

Cette image idyllique est entachée,  cependant, par l'anxiété. Dans le village voisin de Chak Changa, à 1,5 km de Ganguchak, un groupe d'hommes âgés réunis dans une épicerie s'inquiètent. Ils se demandent pourquoi la clôture traverse leurs champs au lieu de longer directement la frontière - les autorités n'offrent aucune réponse claire.

La seule explication fournie par les autorités est «problèmes de sécurité», explique Sunil Sharma, le président de la Speech India Environment Foundation (Fondation  pour la liberté d'expression de l'environnement en Inde), qui  travaille avec les jeunes de la frontière depuis 10 ans.

«Or cette barrière complique au plus haut point la vie des habitants, notamment ceux qui possèdent la majorité de leurs terres de l'autre côté», a-t-il déclaré.

  • Chak Changa village à Hiranagar, État de Jammu, en Inde, octobre 2012. Les projecteurs internationaux sont actuellement focalisés sur la clôture érigée sur le territoire indien près de la frontière indo-pakistanaise. (Vénus Upadhayaya/Epoch Times)

«Nous avons constaté que le nombre d'enfants qui vont poursuivre leurs études jusqu'à l'enseignement supérieur dans ces villages a fortement baissé, car ils ne disposent plus de ressources suffisantes pour poursuivre leurs études.»

La clôture se trouve à cinq minutes, devant une caserne de l'armée, de Chak Changa. Des deux côtés de la barrière, la sarkanda (une herbe haute et fleurie) se courbe doucement sous la brise. Les vaches de l'autre côté de la barrière doivent paître en territoire pakistanais.

Bal Krishna, 65 ans, le lambaddar (chef désigné) de Chak Changa et du village voisin Chhan Tanda, témoigne d'une altercation récente entre les paysans et les forces de sécurité de la  frontière.

«Il y a une semaine, les gardiens hindous de la frontière ont arrêté des hommes de 30 à 40 ans qui revenaient chez eux après avoir coupé l'herbe de leurs terres à travers la clôture,» explique-t-il. L'armée a trouvé un tunnel creusé à travers la frontière au village de Chadwal. Ils ont  renforcé la sécurité, alléguant que des activités illégales avaient lieu dans le tunnel.

Voulant protéger ces hommes, Krishna a parlé avec les gardes en leur nom. Surmené par les tensions le long de la frontière, il a fini par devenir désespéré.

«Je leur ai dit que j'allais m'auto-immoler si l'un d'entre eux était reconnu coupable», s'est-il souvenu.

Sirotant du thé au lait, les anciens se sont rassemblés devant l'épicerie de Krishna expliquant que nombreuses ont été les fois où le personnel de la sécurité des frontières les a empêchés de se rendre aux champs sans fournir de raisons valables.

Les agriculteurs ont été informés que désormais, conformément aux dispositions ordonnées par le gouvernement, chaque fois qu'ils avaient à traverser la barrière pour travailler leurs terres, trois à quatre agents de sécurité les accompagneraient.

«Parfois ils sont feignants et ne veulent pas accompagner les agriculteurs, alors ils les bloquent à la porte (et ne leur permettent pas de la franchir)», a déclaré l'un des agriculteurs. «Cela dépend de qui est en service. Les bons font leur travail, les flemmards créent des problèmes», affirme un autre.

Les habitants de  la frontière indo-pakistanaise subsistent pour la plupart grâce à l'agriculture. Leurs terres, qui ont servi de champ de bataille durant la guerre de 1971, sont pour nombre d'entre eux, leur seule source de revenus.

  • Octobre 2012, les agriculteurs Ramesh (à gauche), Nanak Chand (au centre), et Bal Krishna (à droite) du village de Chak Changa en Inde s'expriment sur les difficultés provoquées par la barrière de la frontière qui traverse leurs terres. (Vénus Upadhayaya/Epoch Times)

Nank Chand, 80 ans, président de la Border Union Trust (Union Financière de la Frontière) et qui a joué un grand rôle pour collecter les plaintes de la population afin de les transmettre à divers ministères, décrit les effets néfastes sur les cultures: «Auparavant, nous avions l'habitude de cultiver à la fois le riz et le blé sur les terres de l'autre côté de la barrière. Mais, à chaque fois, le riz a été gâché par des hordes de cochons sauvages derrière la clôture. Ils ont non seulement gâché la récolte, mais aussi creusé les terres. Depuis que la clôture a été érigée, nous ne pouvons faire pousser qu'une seule récolte de blé par an, nous ne pouvons plus protéger correctement notre terre.»

Chand estime qu'environ 120 hectares de terres fertiles dans le village de Chak Changa se trouvent de l'autre côté de la barrière: «Sur cette terre, nous pouvons développer une riche moisson sans utiliser d'engrais, mais la situation à la frontière est des plus incertaines et pose beaucoup de problèmes. Parfois, quand nous devons louer des machines agricoles et que nous sommes stoppés à la porte pour des raisons de sécurité, nous perdons notre argent. Quant à l'entrepreneur, il veut son argent, même s'il passe toute sa journée à attendre le consentement des gardes et ne travaille pas.»

L'accès aux champs au-delà de la barrière est totalement bloqué dès que s'accentuent les tensions entre l'Inde et le Pakistan et chaque fois qu'on tire sur la frontière. Les villageois signalent cependant que ce type de situation est extrême et rare.

Bien que les champs de Chak Changa et Ganguchak soient fertiles, ils portent déjà des cicatrices. Suite aux conflits en cours, ainsi que la guerre en 1971, on y trouve des obus de mortier, ce qui rend certaines portions de la terre inexploitables. Des efforts sont nécessaires pour récupérer et rendre ces terres cultivables.

Les villageois signalent de ce fait des pertes de bétail. Ramesh, un agriculteur local a déclaré: «Au cours des dernières années, mes champs, par trois fois, ont vu des explosions d’obus.»

Version anglaise: Pakistan-India Border Fence Severs Farmers From Land

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