Sciences Po: L’État rappelle les dirigeants à l’ordre

Écrit par David Vives, Epoch Times
28.11.2012
  • Geneviève Fioraso, ce jeudi 23 octobre. L’organe de la Cour des comptes, la cour de discipline budgétaire et financière, a été saisie par la ministre, qui compte mettre l’IEP sous tutelle de l’État. (Jacques Demarthon/AFP)

La publication du rapport de la Cour des comptes, ce jeudi 22 novembre, a mis fin – du moins on peut l’espérer – aux nombreuses agitations qui ont violemment secoué l’institut de Sciences Po. Les dirigeants Jean-Claude Casanova et Michel Pébereau ont été épinglés pour leur «gestion défaillante», et ont été amenés à s’expliquer sur certaines pratiques de la maison: «coût excessif, une insuffisante maîtrise des dépenses et des irrégularités de gestion», selon le rapport.

Point d’orgue de cette instruction chargée: l’évocation du salaire plus ou moins évolutif de Richard Descoing, estimé à 537.000 euros. Comparé aux salaires moyens de directeurs d’universités dites «moyennes» – 120.000 euros–, ce chiffre semble résumer l’écart qui différencie SciencePo du reste des universités.

Jean-Claude Casanova a déclaré, face à l’assemblée: «On ne parlerait pas de Sciences Po s’il n’y avait pas eu le problème de la rémunération de Richard Descoings, et celui-ci ne serait pas mort s’il n’y avait pas eu ce problème.»

Cependant, l’État a le dernier mot et compte le faire savoir aux dirigeants: «Même si Sciences Po a beaucoup développé ses ressources propres, le principal financeur, sans lequel la politique de développement n’aurait pas pu être menée, c’est l’État», assène Didier Migaud, président de la Cour, bien déterminé à ramener l’institut dans les clous du service public.

Les privilégiés, l’État, et les autres

Ce qui interpelle, au fond, c’est l’attitude affichée, volontairement non conventionnelle de Sciences Po. Jean-Claude Casanova et Michel Pébereau, bravant la recommandation de la ministre de ne pas faire de nomination pour une présidence en intérim, ont procédé à un vote en interne. Hervé Crès, un homme de confiance, fut ainsi désigné à la succession de l’ancien président.

Ce n’est qu’au dernier moment que Jean-Claude Casanova a annoncé cette décision actée à la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Une démarche froidement accueillie par cette dernière, qui a refusé cette nomination en interne, faisant valoir son droit de veto. Historiquement parlant, on n’avait jamais vu ça côté gouvernement. Du côté Sciences Po non plus, d’ailleurs.

Le rapport continue sa fronde sur le système développé: «L’absence de contrôles internes et externes de Sciences Po constitue l’un des éléments expliquant les défaillances et les irrégularités dans sa gestion (…) Les instances de gouvernance [de l’école] apparaissent fragmentées et peu informées face à un exécutif unifié et puissant. Elles n’ont pas exercé avec la vigilance nécessaire leur rôle de supervision de l’activité de la fondation.» Le désaveu puissant vise particulièrement la gestion cavalière de l’ancien directeur.

L’excellence a t-elle un prix? 

Sciences Po, ces dix dernières années, a remarquablement progressé.  Son image rayonne effectivement au panthéon des universités du monde, aux cotés de Harvard, de «l’Ivy League américaine et de la LSE», selon The Economist.

42% des élèves sont des étrangers, venant de 130 pays différents. En 2000, on comptait 1.000 étudiants étrangers, c’est quatre fois moins qu’aujourd’hui. Interviewé par 20 Minutes un jour avant le compte-rendu, Hervé Crès commentait: «Ma plus grande crainte est qu’on finisse par jeter le bébé avec l’eau du bain»…

Tara Heuzé, une élève de l’université, estime excessive la charge contre le président dans un article paru sur La Tribune: «À Harvard, le budget annuel est de 1 milliard de dollar.[…] Pour être une université de rang mondial, il faut être capable de rivaliser sur la scène de la recherche internationale, il faut être capable d'attirer les meilleurs, et il faut être capable de donner les moyens (dans tous les sens du terme) aux gens qualifiés pour faire changer les choses pour le bien de la «chose publique» plutôt que ceux‐ci ne se dirigent vers le secteur privé.»

Pour Tara, il ne faut pas «refuser l’exception». La réponse du gouvernement, si elle est excessive, risque sérieusement de porter atteinte à l’image de Sciences Po. «En France, nous sommes les champions de l’auto-dévalorisation…», déplore-t-elle.

Dans le fond, l’État reproche à l’université de ne pas se conformer aux usages des universités dites «moyennes». Des mesures permettant un droit de regard sur la gestion de l’université ont été décidées: des représentants de l’État seront nommés au sein du conseil d’administration.

Ainsi, la succession à Richard Descoings est rouverte. D’éventuelles poursuites judiciaires pourront être engagées contre les actuels dirigeants. Le prochain dirigeant de Sciences Po aura fort à faire…

Selon la ministre, il sera conseillé à ce dernier de «retoiletter» les «statuts» de l’administration.