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Réussite de la politique d’apaisement au Kenya

Écrit par Francis Njubi Nesbitt
08.03.2012
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  • L’inculpation de quatre responsables kenyans a fait les gros titres à Nairobi. (Tony Karumba/AFP/Getty Images)(Stringer: TONY KARUMBA / 2012 AFP)

La récente inculpation de quatre dirigeants kenyans par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre représente l’aboutissement d'un remarquable effort de paix, tant au niveau local qu'international. Ce fait contraste totalement avec l’intervention des armées occidentales en Côte d'Ivoire et en Libye l'an dernier. Le 23 janvier dernier, la CPI a condamné quatre dirigeants kenyans pour leur rôle dans l'escalade des violences politiques qui ont suivi les élections controversées de décembre 2007 et avaient provoqué la mort de 1.200 personnes et le déplacement de 250.000 autres.

Parmi ces quatre personnes, deux politiciens puissants, un fonctionnaire et un animateur radio. L'ancien ministre de l'Éducation William Ruto et l'actuel Premier ministre adjoint Uhuru Kenyatta ont tous deux décidé de participer aux prochaines élections présidentielles malgré leur inculpation.

Les juges de la Cour pénale internationale ont confirmé que les membres du parti d'opposition avaient commencé à planifier les actes de violence un an avant les élections de 2007. Le leader de l'opposition William Ruto et l'animateur radio Joshua Arap sont accusés d'avoir planifié les attaques visant des sympathisants du parti au pouvoir. Uhuru Kenyata et Francis Muthaura, tous deux membres du parti au pouvoir, devront répondre des actes d'accusation pour avoir financé et organisé les contre-attaques. Les quatre accusés devront répondre de meurtres, de persécution et de nettoyage ethnique.

Uhuru Kenyatta, désigné par Forbes comme l'homme le plus riche du Kenya, a démissionné de son poste de ministre des Finances après avoir été accusé, mais a gardé sa position de Premier ministre adjoint. Francis Muthaura, un fonctionnaire puissant, autrefois bras droit du président Mwai Kibaki, a également démissionné de son poste de chef de l'administration.

Avant que les accusations ne soient confirmées, le Groupe de crise internationale et les sympathisants des suspects avaient averti que ces accusations pourraient provoquer des tensions ethniques, voire des violences. Mais les craintes de violence et de manifestations contre la CPI se sont révélées infondées et les Kenyans ont réagi calmement à ces accusations. La majorité des Kenyans verrait dans ce tribunal une alternative au système judiciaire local qui a permis à des membres de la classe politique de commettre des actes de haine restés impunis.

Luis Moreno Ocampo, le procureur de la CPI, a remercié les Kenyans ainsi que les suspects d’avoir coopéré avec la Cour. Selon lui, l'affaire du Kenya est un «modèle pour le XXIe siècle» de gestion de la violence politique.

«Ces quatre dernières années, ils ont réalisé ce miracle. Ils ont établi ce gouvernement de coalition. Ils travaillent ensemble, alors que dans le passé, ils s'attaquaient les uns les autres», a reconnu le procureur, avant d'ajouter qu'il faudrait au moins 18 mois avant que le processus des appels ne soit conclu et que le jugement puisse commencer.

Une assemblée de spécialistes judiciaires a été constituée pour décider si William Ruto et Uhuru Kenyatta pouvaient se présenter aux élections présidentielles malgré les accusations. L'avocat général du Kenya Githu Muigai a aussi annoncé que son bureau allait établir un tribunal pour juger des centaines d'autres suspects accusés d'avoir organisé ou participé aux violences post-élections.

Médiation de l'Union africaine

Cette affaire kenyane souligne l'effort fructueux des groupes d'apaisement locaux ainsi que des organisations régionales et internationales dans la gestion du conflit politique, qui ont pu empêcher qu'il ne se transforme en guerre civile étendue.

Immédiatement après les élections controversées, les groupes d'apaisement kenyans avaient installé des vigies dans tout le pays appelant au calme et à l’établissement de négociations. Ces efforts restant vains, ils s’étaient adressés à l'Union africaine et aux Nations unies en leur demandant d’intervenir.

Le 6 janvier 2008, dix jours après l'explosion des violences, l'Union africaine annonçait que John Kufor, le président du Ghana et de l'Union africaine, allait faciliter le processus de médiation. John Kufor avait rencontré le président Mwai Kibaki et le leader de l'opposition Raila Odinga trois jours plus tard. Il avait ensuite annoncé la formation d'une équipe de médiation autour de «personnalités africaines éminentes».

L'Union européenne avait également joué son rôle, annonçant que plus aucune affaire ne pourrait être traitée avec le Kenya et menaçant de suspendre les aides si aucun compromis n'était trouvé entre les partis. L'administration Bush avait également appelé au compromis: Jendayi Frazier, la secrétaire adjointe de l'Administration Bush chargée des Affaires africaines, avait demandé à ce que le président Kibaki et le leader de l'opposition Raila Odinga se rencontrent «sans condition préalable». Elle avait affirmé qu'il était impossible de déterminer un vainqueur de ces élections truquées et avait appelé le gouvernement à lever l'interdiction de couverture médiatique et de manifestation.

Le Secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon, la Secrétaire d'État Condoleezza Rice, le président de l'Union africaine Jakaya Kikwete, les présidents d'Ouganda et de Tanzanie et d'autres dignitaires s’étaient alors rendus à Nairobi pour soutenir les négociations.

Les partis ont ensuite accepté de former un gouvernement d'unité nationale incluant le parti au pouvoir et l'opposition. La constitution a été amendée pour créer le poste de Premier ministre pour le leader d'opposition Raila Odinga. Les deux partis ont également accepté de constituer une assemblée indépendante de révision pour enquêter sur les élections contestées de 2007.

Contrastes frappants

L’intervention est un exemple de la façon dont la communauté internationale peut protéger les civils sans utiliser la force militaire. Au Kenya, l’Union Africaine (UA) a ouvert la voie avec le soutien du Conseil de Sécurité des Nations unies, l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord) et les États-Unis.

Cette intervention offre un contraste frappant avec les invasions militaires de l’année 2011, en Côte d’Ivoire et en Lybie. Dans ces deux cas, la France et l’OTAN ont ignoré les appels de l’UA, à une solution négociée. En Lybie, les forces de l’OTAN ont ouvertement bafoué la Résolution 1973 du Conseil de Sécurité des Nations unies, qui n’autorisait qu’une zone de non-survol. Elles ont aussi repoussé l’appel de l’UA à un cessez-le-feu que Mouammar Kadhafi avait déjà accepté, ainsi que l’offre de médiation de l’UA.

 

«L’UA estime que la résolution 1973 du Conseil de Sécurité des Nations unies a été largement dépassée sur certains aspects spécifiques», affirme Jacob Zuma, président d’Afrique du Sud, alors qu’il dirigeait une réunion du Conseil de Sécurité le 13 janvier 2012. Zuma a déclaré que le plan de l’UA pour une gestion négociée a été «complètement ignoré en faveur d’un bombardement de la Lybie par les forces de l’OTAN». Il a ajouté que les conséquences de la violence menée au nom des Nations unies se sont étendues aux autres nations et ont déstabilisé la région.

En réponse, Susan Rice, ambassadrice américaine auprès des Nations unies, a déclaré que le Conseil de Sécurité est responsable de la sécurité internationale et «n’est pas subordonné» à des «groupes régionaux ou locaux». Tentant de calmer les tensions, le Secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a affirmé qu’il y avait une «possibilité d’amélioration» et que les organisations devaient tenter «d’œuvrer de concert».

Un rapport des Nations unies, publié le 27 janvier, a dissipé les inquiétudes de l’Afrique du Sud au sujet de l’effet stabilisant des actions de l’OTAN. Ce rapport indiquait que d’importantes quantités d’armes libyennes étaient passées clandestinement vers des pays d’Afrique de l’Ouest, comme le Nigéria, le Tchad et le Niger. Les fonctionnaires des Nations unies craignent que les armes puissent tomber entre les mains de groupes terroristes comme Al Qaïda au Maghreb islamique et Boko Haram.

En 2011, lors d’une autre invasion militaire en Afrique, les troupes françaises ont chassé de force et arrêté l’ancien président de Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo, après son refus des résultats des élections de novembre 2010. En avril 2011, les forces de l’opposition soutenues par 1.600 soldats français ont déposé Gbagbo et installé Alassane Ouattara à la présidence. Plus de 3.000 personnes ont été tuées au cours de la campagne. La France a remis Gbagbo à la CPI où il attend actuellement son procès pour crimes contre l’humanité.

En Lybie et en Côte d’Ivoire, les forces de l’opposition et leurs alliés ont aussi été accusés de crimes de guerre. Cependant, la Cour pénale internationale n’a lancé aucune enquête sur ces allégations, exemple clair de la justice des vainqueurs.

Fin de l’impunité

Le Kenya a, de toute évidence, parcouru un long chemin depuis les violences électorales de 2007-2008. En 2010, le pays a pacifiquement accueilli une nouvelle constitution, comprenant des réformes judiciaires et politiques plus que nécessaires, ayant pour but de mettre fin à l’impunité. Ces réformes judiciaires seront longues vers la fin des cycles de violence électorale répétitifs au Kenya. Les élections prévues cette année ou début 2013 constitueront une étape importante sur la route de la réconciliation nationale.

Cependant, en dépit de ce progrès, de nombreuses causes, racines de la violence politique telles le chômage des jeunes, la disparité des richesses, la corruption, les divisions ethniques et les saisies foncières doivent encore être résolues. Des dizaines de milliers de personnes déplacées par la violence vivent encore dans des camps surpeuplés. Le pays a encore un long chemin à parcourir avant de briser le cycle de la pauvreté, de l’impunité et de la violence.

À l’approche des élections, les États-Unis et la communauté internationale devraient aider les Kenyans à empêcher la récurrence du chaos et assurer la paix sur le long terme. Le Kenya a longtemps été un partenaire des États-Unis, une force critique pour la stabilité en Afrique de l’Est et la vigie la plus importante de la région africaine.

La mobilisation de la société civile ainsi que le soutien régional et international en 2007-2008 montre que les outils diplomatiques et la gestion du conflit peuvent aider à empêcher le glissement vers la guerre civile. L’Administration Obama et le Congrès devraient soutenir les Kenyans en encourageant une responsabilité plus grande de la part des fonctionnaires gouvernementaux alors que préparer une réponse stratégique rapide devrait faire ressurgir la violence.

Francis Njubi Nesbitt, qui a contribué à Foreign Policy in Focus, est professeur aux Études Africaines à l’université d’État de San Diego. Avec l’aimable autorisation de Foreign Policy in Focus, www.fpif.org.

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