L’Europe, à la fois cause et solution de la crise

Écrit par Charles Callewaert, The Epoch Times
19.04.2012

  • Avoir une monnaie unique sans politiques économique, budgétaire ou fiscale uniques, sans harmonisation ou sans intégration, n’a non seulement pas de sens mais est dangereux», écrit Matthieu Pigasse dans son livre intitulé Révolutions. (Staff: LIONEL BONAVENTURE / 2011 AFP)

En cette époque pré-électorale, où l’on risque l’indigestion au rayon des livres politiques, il est difficile de trouver un ouvrage d’économie expliquant sans fard les fondements de la crise que nous vivons et proposant un projet à la fois ambitieux et cohérent. C’est pourtant ce que vient de réussir Matthieu Pigasse, actuel directeur général de la banque Lazard France, avec son essai intitulé Révolutions.

La crise économique actuelle est européenne

Pour l’auteur, qui accepte l’éclatement de la bulle des crédits à l’immobilier aux Etats-Unis comme déclencheur de la crise de 2008, celle qui s’ensuivit en Europe a une triple origine: la croissance atone d’un continent vieillissant, l’inaboutissement institutionnel de l’Europe et, paradoxalement, le succès de la politique monétaire européenne. La création de la BCE (Banque centrale européenne) puis de la zone euro en 1998-1999, qui ont supprimé le risque de change et créé la confiance en cette nouvelle monnaie commune, ont entraîné une baisse générale des taux d’intérêt. Ceci a enclenché une généralisation de l’endettement, tant du côté des ménages et des entreprises que des États. Mais, alors que les pays du nord de l’Europe (Allemagne, Danemark, Finlande, Pays-Bas,…) en profitaient pour investir dans la préservation de leur industrie et l’aide à l’exportation, ceux du sud de l’Europe (Grèce, Espagne, Italie, France, etc.) privilégiaient la consommation des ménages et les investissements non exportables, comme l’immobilier ou le tourisme. D’où un décalage croissant entre les pays dits vertueux et les autres.

La «parenthèse de l’âge d’or européen» est terminée

Par la suite, la faiblesse que l’Europe a montrée lors des crises grecque et irlandaise, par son manque de solidarité et sa faible réactivité, a été à l’origine de la défiance qui a gagné les marchés. L’inquiétude grecque, qui selon Matthieu Pigasse n’était autre qu’un «feu de broussaille» au début, s’est ensuite transformée en un gigantesque incendie menaçant toute la zone euro et a révélé des dirigeants européens dépassés par les évènements. La paralysie des institutions européennes était telle que l’Europe a fait appel au FMI (Fonds Monétaire International) pour résoudre le problème grec, alors que ce pays ne représente que 2% du PIB européen. L’auteur n’hésite pas à qualifier cet appel au FMI «d’abandon de souveraineté» de l’Europe et constate que «l’âge d’or européen», cette «parenthèse» où depuis le XVIe siècle le continent européen a dominé le monde grâce à son dynamisme et sa rapidité de mouvement, est bel et bien terminé.

En effet, avec une croissance annuelle exponentielle de 8 à 10%, contre 1 à 2% pour l’Europe, les pays que l’on appelait «émergents» il y a à peine quinze ans sont actuellement en passe de doubler et de marginaliser l’Europe entière, si elle ne renoue pas rapidement avec la croissance.

Or, l’Europe n’est pas armée pour relever ce défi. Sa population ne croît plus et l’immigration reste marginale. Les gains de productivité sont insuffisants, à cause de la faiblesse de l’innovation et de la qualification. Par ailleurs, la consommation, sur laquelle les gouvernements successifs ont parié, en laissant les déficits budgétaires filer, ne peut plus jouer ce rôle en période de rigueur et de désendettement. Enfin, la désindustrialisation s’est faite au détriment des entreprises exportatrices, surtout dans le sud de l’Europe. De fait, selon Matthieu Pigasse, la croissance potentielle en Europe sur les dix prochaines années ne dépassera pas 1,5%.

Parallèlement, alors que tous les moteurs de la croissance tournent au ralenti, on assiste à une augmentation importante des inégalités, de la pauvreté et de la précarité. Cette situation de no future engendre l’insécurité sous toutes ses formes et nourrit le désenchantement de la population, dont les enfants ont pour la première fois depuis 1945 le sentiment que leur futur sera pire que celui de leurs parents.

Il faut mener la «révolution européenne» et faire aboutir le projet européen

La seconde partie de cet essai est consacrée à la première révolution à mener: «la révolution européenne». La crise grecque n’est pas vraiment résolue, et voilà que pointent les risques liés aux dettes italienne, espagnole et française. L’imbrication actuelle des économies européennes et de leurs banques est telle que l’effet domino jouera à plein, si la stratégie du chacun pour soi domine lors de la prochaine crise. L’euro puis l’Europe entière peuvent alors rapidement se retrouver à terre et provoquer une crise mondiale. En réaction, l’auteur appelle à des stratégies européennes coopératives, les seules capables selon lui d’échapper au scénario du pire. Parmi celles-ci, la coordination des politiques budgétaires, qui implique a minima plus de solidarité entre les pays et des efforts proportionnés aux capacités de chacun.

Mais il faut aussi faire aboutir ce projet européen inachevé: «avoir une monnaie unique sans politiques économique, budgétaire ou fiscale uniques, sans harmonisation ou sans intégration, n’a non seulement pas de sens mais est dangereux». L’Europe doit évoluer vers un État fédéral comme les États-Unis et l’Allemagne, afin d’instituer une solidarité budgétaire entre ses États membres. Parallèlement, il faut fusionner les dettes publiques et émettre des eurobonds, ce qui permettrait de réduire les taux d’intérêts et empêcherait les spéculations entre les pays européens. Enfin, élargir rapidement les statuts de la BCE en lui accordant les pouvoirs d’une banque fédérale.

Inverser les valeurs en favorisant le travail et le goût du risque   

Mais, pour Matthieu Pigasse, une seconde révolution est à inventer: celle de «l’inversion des valeurs». L’Europe, dont le trait dominant est le vieillissement de sa population, se caractérise par une politique excluant sa jeunesse: une taxation du travail (27% du PIB européen contre 17% aux États-Unis) plus élevée que celle du capital (12% en médiane), une flexibilité du marché du travail touchant essentiellement les jeunes (25% sans emploi et 50% en emploi temporaire en France et en Espagne), et l’obsession de la lutte contre l’inflation qui ne permet aucun allègement de dette. L’auteur préconise donc plus d’inflation grâce à la baisse de l’euro, tout en égalisant les taxations capital/travail pour alléger la dette et le coût du travail.

Parallèlement, il faut redonner à l’Europe cet esprit d’innovation et de conquête qui a fait sa force autrefois. Rappelant non sans humour que l’on est taxé en moyenne «à 12% quand on place du capital, à 19,6% quand on achète des vêtements, et à 40% quand on travaille», il conclut à l’utilité sociale et économique d’une taxation de la rente pour redonner le goût du risque aux européens.

L’ouvrage de ce banquier atypique a le mérite de poser les bonnes questions et d’y répondre par des idées concrètes et cohérentes. Faire de l’Europe un État fédéral reste le seul projet capable de mobiliser une jeunesse qui aspire à autre chose que le programme Erasmus. Puisse-t-il inspirer nos prochains présidents, premiers ministres et autres chanceliers!