Anglais | Chinois | Coréen | Français | Allemand | Espagnol | Japonais | Russe | Ukrainien | Hébreu | Roumain | Bulgare | Slovaque | Tchèque | Indonésien | Vietnamien
Faites un don

L’état de la gouvernance démocratique dans le monde

Écrit par David Kilgour
20.04.2012
| A-/A+

  • La pro-démocrate birmane Aung San Suu Kyi souriante après avoir visité le bureau de vote de la circonscription de Kawhmu où elle s’est présentée comme candidat, le 1er avril 2012. Avec plus de 90% des votes en sa faveur, l’opposition du Myanmar a remporté une victoire historique dans sa tentative pour obtenir pour la première fois un siège au parlement birman. (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT/AFP/Getty Images)(Staff: CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / 2012 AFP)

Pour connaître l’état de la démocratie dans le monde, on peut tirer de nombreux enseignements de l’édition 2011 du rapport annuel sur la gouvernance de The Economist Intelligence.

Voici les résultats du rapport qui a étudié 165 pays indépendants:

Dans certains pays, la confiance du public dans les institutions politiques continue de chuter, provoquant de plus en plus de troubles sociaux qui pourraient menacer la gouvernance démocratique dans plusieurs capitales.

En 2011, ce sont douze pays d’Europe de l’Est et sept pays d’Europe de l’Ouest qui ont régressé dans leurs classements démocratiques.

Les États-Unis ont été affectés par la polarisation politique, la surenchère et la paralysie, et occupent l’une des dernières places des pays qui sont des «démocraties accomplies».

En Amérique latine, la démocratie a été négativement touchée par la violence, le trafic de drogue et d’autres crimes qui gangrènent certains de ces pays.

À court terme, les perspectives en Europe sont incertaines à cause de «la sévère crise» qui met à mal la résistance des institutions européennes, une nouvelle récession cette année et un taux de chômage toujours haut, avec peu de signes de reprise de la croissance.

Selon The Economist, si cette année la moitié des États du monde sont des démocraties, l’an dernier seuls 25 étaient encore des «démocraties accomplies», 53 des «démocraties imparfaites», 37 des États étaient des «régimes hybrides» et enfin les 52 restants étaient des «régimes autoritaires».  

Le développement de l'Afrique et des pays arabes

Pour The Economist, parmi les 44 pays que compte l'Afrique sub-saharienne, l'île Maurice est la seule «démocratie accomplie», entourée de neuf «démocraties imparfaites», de 11 «hybrides» et de 23 gouvernements «totalitaires». Ce classement ne prend pas assez en compte un certain nombre d'indicateurs encourageants comme le fait que depuis 1991 – comme le révèle une autre enquête de The Economist – 30 partis ou dirigeants sub-sahariens ont quitté le pouvoir après l'organisation d'élections.

Le rapport met en exergue, à juste titre, la démocratisation inattendue d'un certain nombre de pays du monde arabe, un phénomène qui a balayé beaucoup de stéréotypes simplistes sur le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord. Il met aussi en lumière l'idée que les peuples veulent décider de leurs dirigeants et de la manière d'être gouverné d’après le rapport, une autre vague de démocratisation pourrait bien être en cours.  

Les démocrates à travers le monde devraient se réjouir. Les autres gouvernements devraient par contre se méfier de la sécurité que leur confère le statu quo sur la liberté politique sous prétexte de «maintien de la stabilité». Nous ne devons par exemple pas laisser la peur d'un Islam radical nous empêcher de soutenir les démocraties arabes émergentes. Ni nous laisser embarquer dans le raisonnement égocentrique des tyrans qui veulent nous faire croire que la seule solution pour contenir l’Islam radical est le maintien de la dictature. Car il existe une meilleure option, celle que les peuples du monde arabes ont choisie.

Pour les 33 pays membres de la Ligue Arabe – dont les populations sont majoritairement musulmanes – un enjeu majeur en terme de gouvernance démocratique est de savoir comment appliquer le précepte du Coran qui commande «d'exiger la droiture et de condamner le mal». En 2009, lorsque l'Indonésie – la plus grande démocratie musulmane – a organisé les élections parlementaires, le soutien aux partis extrémistes a chuté. La majorité des électeurs étaient préoccupés par la question de la bonne gouvernance, de l'emploi et de la croissance. Dans l'ensemble, le soutien aux partis fondamentalistes a baissé.  

Idem pour les élections malaisiennes de 2008: la plupart des électeurs ont voté pour les partis qui promettaient une bonne gouvernance. Les partis politiques qui n'avaient qu'un programme religieux ont obtenu de faibles scores.

La Syrie

Malgré les vagues insensées d'atrocités commises par le régime Assad en Syrie, si la révolution démocratique réussissait tôt ou tard, elle pourrait modifier l'équilibre stratégique des forces régionales. La seule éventualité d'un tel résultat est déconcertante pour les régimes dictatoriaux géopolitiquement voisins comme l'Iran, la Chine, la Corée du Nord, etc. La dynamique démocratie turque, les progrès démocratiques en Égypte et la position charnière de cette dernière offrent un exemple d'une contagion démocratique régionale, qui oblige les «islamistes» à collaborer avec les partis modérés.  

L’Europe

L'enquête de The Economist montre que dans le centre, l'est de l'Europe et les Balkans, il y a une baisse du soutien à la gouvernance démocratique, mais suppose que cette baisse ne signifie pas une volonté de retour à l'autoritarisme, mais plutôt le symptôme «d'un épuisement des systèmes politiques contemporains, une désillusion générale, l'apathie et le désengagement». Plus encourageant est le soutien croissant des anciens États de l'ex-Union Soviétique à la démocratie.  

La Russie

Vladimir Poutine a été réélu président de la Russie le 4 mars dernier suite à des élections présidentielles entachées de graves irrégularités électorales selon les observateurs russes et internationaux. Cette réélection s'explique par le soutien continu dont il a joui dans l'Oural, la Sibérie et ailleurs plus que celui de Moscou et de St-Petersbourg, villes symboles de pouvoir et de fierté nationale.

Jeremy Kinsman, ancien ambassadeur du Canada à Moscou dans les années 1990 et directeur du Council for a Community of Democracies (CCD) expliquait à son retour récent de Russie que «...dans les immenses rassemblements anti-Poutine... qui ont surgi sur le tard, c’est une impulsion démocratique qui commence enfin à s'affirmer dans la Russie d'aujourd'hui...»

Un mois avant les élections, Mikhaïl Gorbatchev avertissait que Poutine serait balayé du pouvoir par la nouvelle «génération glasnost» russe s'il ne répondait pas à leurs demandes en matière de réforme démocratique. Gorbatchev avait ajouté que Poutine ne devait pas briguer un troisième mandat, après son pacte d'échanger de poste avec le président Dmitri Medvedev: «La difficulté pour Poutine est l'accumulation de tant de problèmes dans le pays. Beaucoup de gens, dont certains de ses proches, ont le sentiment que nous sommes dans une sorte d'impasse... Le temps est venu pour un renouvellement et un changement de toute l'équipe.»

Des États fragiles

Pauline Baker, présidente émérite du Fonds pour la Paix, écrivait un article en 2011 sur le processus de démocratisation dans les États fragiles. La chute des despotes en Afrique du Nord et au Moyen-Orient est un motif de réjouissance notait-elle, l'action politique auprès des masses populaires, par opposition aux coups d’État militaires et aux assassinats, devenant le principal moyen de se débarrasser des dirigeants impopulaires dans de nombreuses parties du monde. Les élections sont pour elle une caractéristique essentielle de la démocratisation, même si elles peuvent provoquer des conflits lorsqu'elles sont «tenues trop tôt, sont manifestement manipulées, manquent de transparence ou sont marquées par la violence».

Baker pense que le meilleur moyen pour éviter guerres civiles, urgences humanitaires et  ruptures nationales réside dans le renforcement de l'État. Il faudra pour cela adopter de nouvelles constitutions garantissant les libertés fondamentales, avoir des élections libres et équitables et construire ou restructurer les institutions clés. La transition en Tunisie lui semble être le meilleur modèle actuel, avec une Assemblée constituante qui est chargée de rédiger une nouvelle constitution, associée à la nomination d'un gouvernement intérimaire.

Les régimes autoritaires

La Cour Pénale Internationale et les autres mécanismes judiciaires internationaux peuvent également jouer un rôle capital dans l'accélération de la chute des régimes autoritaires. Certes, leur présence peut parfois retarder la démocratisation, car il est plus vraisemblable qu'ils mettent en accusation un tyran qu'ils ne l’enlèvent du pouvoir. Mais ces mécanismes peuvent aussi améliorer la qualité de la gouvernance dans le long terme en encourageant, par leur présence, une plus grande responsabilisation des fonctionnaires.

Lorsqu’en 1989, les peuples de l'Europe centrale et de l'Est se sont soulevés contre le totalitarisme, les pays étrangers se sont empressés de les encourager. Lorsque les moines birmans ont conduit des manifestations contre les dirigeants militaires du pays en 2007, nous les avons encouragés en exigeant le départ des généraux. Suite aux élections présidentielles massivement truquées en Iran en 2009, le régime a lancé une répression sanglante à l'encontre des manifestants pacifiques, nous avons demandé que les responsables soient sanctionnés. On ne parle pas de périodes de transition sans fin ou de retour des tyrans d'hier pour superviser l'avancée vers un avenir démocratique. Nous comprenons que les transitions, après des années de despotisme, seront balbutiantes. Nous nous attendons à ce que des erreurs soient commises. Les démocraties sont partout des constructions imparfaites qui, soit sont en progression constante, soit s'écroulent.

Conclusion

Dans les démocraties pluralistes, les citoyens accordent volontiers aux gouvernements la direction du pouvoir, mais ils doivent rester engagés dans le processus politique afin de garantir une bonne gouvernance. L'objectif est d’offrir à tous, sans crainte ni favoritisme, la garantie d'une vie épanouie, l'harmonie sociale, régionale, nationale et internationale.

Dans leur quête d’intérêts économiques ou de ce qui assurerait leur propre sécurité, certains gouvernements ont laissé de côté leurs propres principes au détriment du progrès démocratique ailleurs. Ils font même l'éloge de régimes totalitaires qui violent les droits humains. Combien de fois avons-nous vu les principes du droit et des libertés fondamentales être abandonnés par des gouvernements démocratiques, parce qu’ils ne veulent pas en payer le prix? Les démocraties devraient toujours s'opposer à l'oppression, à la terreur, à la corruption et à la ségrégation, et favoriser la diversité, les différences et le respect de toutes les personnes et communautés culturelles.

Une éducation démocratique généralisée est urgente pour diffuser ces notions. Un outil parfait pour cela est le CCD Diplomat's Handbook for Democracy Development.

Dans toutes les régions du monde actuel, on trouve des démocraties. Le désir universel d'un gouvernement représentatif, qui garantisse la dignité humaine, et d’une gouvernance basée sur le droit, continue de progresser. Il est désormais pris en charge par le Programme des Nations Unies, qui apporte son aide à un tiers des parlements dans les pays en développement et participe à une élection toutes les deux semaines. En 2010, ce programme a aidé plus de 130 pays et a dépensé 1,36 milliard de dollars US de ressources pour accompagner les programmes de gouvernance démocratique.

Cet article est l'adaptation d'une note présentée le 14 mars 2012 lors d'une réunion du Council for a Community of Democracies (CCD) à Washington, DC.

David Kilgour est co-président des Amis canadiens d’un d’Iran démocratique et directeur du Conseil pour une communauté de démocraties (CCD). Il était membre du Parlement canadien de 1979 à 2006 et a aussi été Secrétaire d’État Asie-Pacifique en 2002 et 2003. David Kilgour a été nominé pour le Prix Nobel de la Paix 2010.

Pour en savoir plus: www.david-kilgour.com

Plus de 204 720 056 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.