Putsch et insurrection: une situation dangereuse pour le Mali

Écrit par Kremena Krumova, The Epoch Times
14.05.2012
  • Ali Al Hassan, un réfugié malien, arrive dans un camp près de Bassiknou(攝影: / 大紀元)

Le Mali, autrefois pacifique et considéré comme un modèle de démocratie en Afrique, a été projeté dans la tourmente ces dernières semaines et se voit aux prises avec deux guerres civiles sans issue évidente.

La première découle du coup d'État du 22 mars dernier. Dans la capitale Bamako et dans le sud-ouest du pays, des loyalistes du président délogé, Amadou Toumani Touré, ont livré des combats aux forces de la junte militaire.

Entre-temps, le Nord est déchiré par des affrontements entre rebelles touaregs, groupes islamistes radicaux et milices arabes. Les protagonistes du putsch ont justifié leur prise de pouvoir en citant la mauvaise gestion du président concernant la situation des Touaregs, mais depuis le 22 mars, les choses se sont aggravées.

Les deux guerres sont entrelacées. Les observateurs affirment que la crise au nord ne pourra se résorber tant que l'ordre constitutionnel ne sera pas rétabli dans la capitale. Et les pourparlers de paix parrainés par la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) ont été sans cesse remis à plus tard par la junte.

«Sans une solution qui stabilise la situation politique et qui remet en état de marche les institutions, il est difficile de voir comment le Nord pourrait connaître un apaisement. À ce stade, il y a beaucoup de confusion et d'incertitude», commente dans un courriel l'auteur malien Mohomodou Houssouba depuis la Suisse.

Le Mali est une démocratie où les droits politiques et les libertés civiles sont bien cotés depuis 1993. C'est l'un des rares pays africains considérés «libres» par le classement de Freedom House en 2011.

Malgré la stabilité relative du Mali, la situation dans le nord contient tous les ingrédients d'une recette désastreuse. Depuis l'indépendance du pays en 1960, le Nord s'est plaint d'un traitement injuste de la part des autorités centrales, étant écarté de la politique et voyant son accès aux ressources refusé.

«Je m'inquiète pour le Mali. C'est comme une boîte de Pandore que personne n'aurait jamais dû ouvrir», affirme l'auteure Julie Owono, qui contribue à la section Afrique subsaharienne de Global Voices.

Mme Owono indique qu'il s'agit d'un phénomène commun en Afrique de l'Ouest et que c'est la raison principale pourquoi les groupes touaregs nomades revendiquent l'autonomie et que les groupes islamistes radicaux s'infiltrent dans le nord du Mali.

«Nous avons une bombe à retardement dans un espace grand comme l'Union européenne, avec des guérillas et des gens qui craignent le pire si on ne trouve pas rapidement des solutions pour établir la paix», estime Mme Owono.

Elle blâme les problèmes actuels sur la faiblesse de l'État. «S'il y a un État, il n'y a pas de raison pour l'islam radical ou les demandes d'indépendance de se répandre.»

La majorité de la population hautement diversifiée du Mali est concentrée dans le sud, y compris Bamako. Seulement 10 % de la population vit au nord.

Parmi les groupes ethniques au nord, il y a les Arabes, les Peuls, les Songhaïs, les Maures et les Touaregs, qui ne constituent pas plus de 10 à 20 % de la population de la région. Malgré leurs faibles nombres, le mouvement rebelle touareg – le Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA) – a décrété l'autonomie quatre fois depuis l'indépendance du Mali.

Certains soldats du MNLA ont combattu dans la guerre civile en Libye en 2011 et sont retournés chez eux avec de nouvelles habiletés et de nouvelles armes. La rébellion a éclaté le 17 janvier et le 6 avril, elle avait déclaré unilatéralement l'indépendance de l'État d'Azawad. Depuis, le MNLA a conquis les villes septentrionales de Gao, Kidal et Tombouctou, un site du patrimoine de l'UNESCO.

Néanmoins, plusieurs experts affirment que les Touaregs ne recherchent pas vraiment l'autonomie : ils souhaitent simplement qu'on se penche sur leurs revendications. Ils demandent un développement des infrastructures et un accès aux ressources naturelles. Ils veulent aussi que leur héritage nomade soit reconnu plutôt que de faire face à l'assimilation culturelle.

Les Touaregs sont aussi victimes depuis des années d'organisations qui profitent de leur statut marginal pour les entraîner dans le trafic de drogues et d'armes.

«La communauté internationale sonne l'alarme concernant ce problème depuis plusieurs années. Mais quand le pays lui-même n'a pas décidé de régler le problème, il ne peut être résolu», estime Mariya Nedelcheva, membre du Parlement européen et de la délégation pour l'Afrique de l'Union européenne.

Les Touaregs

Les Touaregs sont les anciens habitants de l'Afrique du Nord. Ethniquement, ils sont berbères et non arabes. Les Berbères ont été déplacés par les invasions arabes. Ils se sont réfugiés dans les régions montagneuses de Kabilye, d'Aurès et de l'Atlas en Algérie et au Maroc, où les populations berbères sont encore majoritaires aujourd'hui, de même que dans le désert du Sahara, où les populations berbères existaient probablement déjà.

«Ces résidents et immigrants berbères dans le Sahara sont devenus les Touaregs que nous connaissons aujourd'hui», écrit dans un courriel Jeremy Swift, expert du pastoralisme nomade en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie centrale.

Culturellement, les Touaregs se distinguent des Maghrébins. Ils parlent une langue différente et, dans leur ordre social, les femmes peuvent avoir beaucoup d'influence. Les hommes touaregs portent des voiles, mais pas les femmes. Les Touaregs sont maintenant musulmans, mais la plupart rejettent le fondamentalisme. Typiquement, ils habitent dans le désert dans des tentes fabriquées en cuir noir. Historiquement, ils sont les gens qui accompagnaient les caravanes à travers le désert.

On retrouve les Touaregs dans sept pays : le Mali, le Niger, la Mauritanie, le Maroc, l'Algérie, la Libye et le Burkina Faso. Quand les colonialistes français sont arrivés en Afrique du Nord à la fin du XIXe siècle, ils ont remarqué que les Touaregs étaient répandus dans la région de l'Azawad.

Un État d'Azawad hautement improbable

Les revendications territoriales des Touaregs couvrent environ 60 % du territoire malien, ce qui rend toute chance d'indépendance hautement improbable.

Aussi, le MNLA ne représente qu'une fraction de la communauté touareg et qu'une fraction de la population dans le Nord.

«Une véritable indépendance de l'Azawad nécessiterait une mobilisation de tous les groupes ethniques maliens contre le gouvernement, et de tous les Touaregs à l'extérieur du Mali. C'est impossible», estime Manthia Diawara, professeur de littérature à l'Université de New York.

De plus, les Touaregs sont par définition nomades, et les nomades n'ont pas le concept de frontières.

Finalement, l'association de Touaregs avec des groupes islamistes radicaux comme Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), Ansar Dine et autres pourrait mettre en péril leur légitimité devant la communauté internationale.

Les violations des droits de la personne commises par les rebelles touaregs et les groupes islamistes armés, consistant en de véritables crimes de guerre, sont monnaie courante depuis le début de l'insurrection, selon un récent rapport de Human Rights Watch. La liste d'atrocités comprend le viol, l'utilisation d'enfants soldats, le pillage d'hôpitaux et d'écoles, la flagellation en public et les exécutions. Selon le département d'État américain, 320 000 personnes ont été déplacées depuis le début de la rébellion.

Coup d'État insensé

Lorsque le capitaine Amadou Haya Sanogo a réalisé son putsch le 22 mars – avançant les problèmes de corruption et la mauvaise gestion de l'insurrection touareg – la nouvelle a immédiatement précipité la défaite de l'armée aux mains du MNLA dans le Nord.

Le putsch en soi était étrange, puisque le président Touré ne se présentait pas aux élections prévues pour le 29 avril. Touré a démissionné de son poste le 8 avril à la suite d’une entente parafée par la CEDEAO, dans laquelle la junte a promis de céder le pouvoir à un gouvernement civil.

«C'est le coup d'État le plus ridicule jamais vu», commente M. Diawara.

La véritable raison du coup d'État était une lutte de pouvoir, selon M. Diawara. Le putsch a été soutenu par un groupe de politiciens marxistes-léninistes qui s'attendaient à perdre les élections, alors ils ont décidé de prendre le pouvoir par la force.

M. Diawara, qui est en contact quotidien avec ses proches à Bamako, affirme que ces derniers lui disent que la plupart des gens ne s'intéressent pas à ce qui se passe au nord. Pour eux, le problème le plus important au Mali est la pauvreté et ils sont fâchés que la junte s'intéresse seulement au pouvoir, non à la population.

Version originale : Mali Caught in Dangerous Limbo Amid Military Coup and Rebel War