Les femmes, victimes invisibles de la guerre indo-pakistanaise

Écrit par Venus Upadhayaya, The Epoch Times
16.05.2012

  • Une femme de la zone frontalière et montagneuse du Jammu-et-Cachemire, un État au nord de l’Inde. (Venus Upadhayaya/The Epoch Times)(攝影: / 大紀元)

JAMMU, Inde – Depuis plusieurs décennies, les femmes qui vivent à la frontière conflictuelle entre le Pakistan et l'Inde souffrent sans que leur histoire soit entendue dans le tintamarre de la diplomatie et du fanatisme de la région.

 

Le conflit qui oppose les deux États voisins au sujet de la région du Jammu-et-Cachemire a brisé de nombreuses vies. Des familles ont été séparées une première fois lors de l'établissement de la frontière du Cachemire entre 1947 et 1949, puis entre 1965 et 1971, lorsque la frontière à été redessinée. Tous les membres de ces familles sont victimes de la séparation, et parmi elles les femmes sont les plus durement touchées.

«Les femmes qui habitent la frontière disputée ont énormément souffert des six décennies de guerre qui opposent l'Inde au Pakistan», explique Seema Shekhawat de l'université de Mumbai.

Elles doivent se déplacer souvent, subir des tirs et des bombardements, se nourrir en cultivant des terres infestées de mines anti-personnel - et bien sûr composer avec le malaise global d'une vie en zone de guerre.

Amnesty International constate que les femmes de la région subissent également des viols et d'autres abus sexuels. De profonds préjugés sexistes et sociaux, ajoutés à la pauvreté, rendent leur vie encore plus difficile sur ces frontières en guerre. Et pourtant la région est inhospitalière, extrêmement montagneuse et peu peuplée. Pour Shekhawat, la voix de ces femmes est cruciale pour comprendre la situation.

«Elle ne sont pas seulement les victimes de la séparation, mais elles souffrent davantage en raison de leur statut même dans une société où tout, y compris leurs droits, est déterminé au travers du prisme d'un système patriarcal», analyse Shekhawat.

Bon nombre de collectivités sont sous-équipées et sous-développées, les routes et les transports n'étant arrivés chez certaines d’entre elles que ces deux dernières décennies. En hiver les fortes chutes de neige isolent davantage les régions en haute altitude.

Une femme que nous appellerons Farhana et qui redoute les représailles de sa communauté et des activistes, sait à quel point la vie peut être difficile. Cachemirie, elle est née dans l’État du Jammu-et-Cachemire, dans la ville de Billawar située dans les zones himalayennes difficiles de Lohai Malhar. Sa vie pénible dans cette région dangereuse a pris une tournure plus dure après la mort de son mari.

«Un jour, mon mari a ressenti une douleur, mais il n'y avait pas d'hôpital dans les environ pour l'y conduire. Il est mort dans les vingt-quatre heures», raconte Farhana. Dans la région, les jeunes veuves finissent souvent comme domestiques dans les grandes familles claniques ou comme maîtresses des frères de leur défunt mari. Toutefois grâce à ses parents, Farhana a réussi à fuir vers les zones intérieures du Shivalik, un voyage pénible effectué le plus souvent à pied, avec ses deux enfants. Là elle a pu commencer une nouvelle vie à l'abri des vulnérabilités liées à sa féminité et aux insurrections frontalières.

«Il fallait que je quitte mon village de Lohia Malhar. L'atmosphère était devenue très dangereuse», se souvient Farhana.

Mais son départ n'a pas mis fin à ses ennuis. Un jour, son fils de 15 ans a disparu. En général, dans la région montagneuse du Jammu-et-Cachemire, lorsqu’un jeune homme disparaît, il est fort probable qu'il soit tombé dans les opérations transfrontalières illégales. L'année dernière, il est miraculeusement revenu, neuf ans après sa disparition.

Farhana confie que «depuis neuf ans, chaque jour et chaque nuit je priais pour son retour».

Neuf années de traumatisme pour Farhana. Non seulement elle avait perdu son fils, mais elle recevait régulièrement la visite de la police qui l'interrogeait à son sujet. Aux questions des policiers, elle répondait toujours évasive dans son dialecte local «O bar chalieera ha» («il est sorti»).

«Il est revenu l'an dernier et je lui ai trouvé une femme afin qu'il puisse se poser. À présent il a un enfant». Elle sourit et montre du doigt des petites chaussures sur la véranda de sa nouvelle maison en béton. Le plus jeune fils de Farhana travaille six mois par an dans une chambre froide à Mumbai et le reste de l'année, il cultive le petit lopin de terre que sa mère a acheté en vendant du lait.

Vêtu d'un jean et de baskets, il sort avec des amis pour jouer au cricket.  Farhana  explique: «J'ai deux vaches et un buffle. J'ai élevé mes enfants en travaillant dans les étables et les fermes des alentours. Je dis toujours à mes fils qu'un repas par jour est suffisant, mais que c'est une mauvaise chose de manger grâce à de l'argent gagné malhonnêtement». Farhana ne veut pas que sa belle-fille connaisse le même destin qu'elle, alors elle se réjouit de voir cette dernière s'inscrire  au lycée. «Il devrait y avoir plus d'opportunités de travail pour les femmes comme nous. Ma belle-fille devrait pouvoir étudier et obtenir un travail».

Privées du même accès au monde du travail que les hommes et à cause du peu de droits qu’elles ont, les femmes comme Farhana ont énormément souffert de la surveillance populaire, de la vie dans des villages vulnérables et des fanatiques.

Récemment grâce à la réouverture des routes traditionnelles restées longtemps fermées entre les deux pays et du lancement d'un nouveau  service de transport par bus, beaucoup de femmes ont pu raconter leurs histoires sur les paradoxes et les difficultés causées par les frontières souvent changeantes.

Rabia, alias Satya Devi, voyage par exemple dans un des bus qui relie Poonch en Inde à Rawalakote au Pakistan. Elle est l'une des innombrables victimes directes de la guerre indo-pakistanaise de 1947 et de la politique frontalière qui en a découlé. Son histoire est parue dans le livre Women in Indian Borderlands.

Rabia avait dix ans lorsque sa famille hindoue a été contrainte de quitter le Pakistan pour s'installer en Inde. Elle a été séparée de la caravane familiale par des maraudeurs et  a plus tard été recueillie par une vieille femme musulmane qui l'a mariée à son fils. Sa nouvelle famille l'a convertie à l'islam et lui a donné une nouvelle identité.

Dans son livre, Satya Devi raconte sa peine en ces termes: «Je suis prise dans l’étau du destin. Maintenant je vais devoir passer le reste de ma vie avec lui [le mari] alors que ma famille est de l'autre côté. Qui mieux que nous et nos familles sait que ces  contours n'ont pas été tracés sur des territoires géographiques, mais que c'est sur nos vies qu'ils passent si brutalement».

Passés soixante ans, Rabia qui est devenue femme, puis mère et grand-mère a pu rendre visite aux membres survivants de sa famille, un frère et une sœur et d'autres parents éloignés qui vivent à Poonch en Inde. Pour le professeur Shekhawat, l'ouverture de certains itinéraires traditionnels a permis à quelques familles – mais pas toutes – d'être à nouveau réunies.

Pour elle, «il y a nécessité d'ouvrir toutes les routes traditionnelles afin de faciliter le regroupement des familles séparées. Les histoires tragiques de femmes vivant aux frontières est une situation humanitaire à laquelle on doit accorder l'importance qui leur est due plutôt qu'aux politiques tenaces du territoire ou aux réflexions stratégiques».

Selon Shekhawat, les frontières doivent être un point de contact et devenir «des endroits où non seulement des États se rencontrent, mais aussi des gens».