La bataille des États-Unis pour la reconstruction de son industrie manufacturière

Écrit par Bruce Stokes
19.05.2012

  • Le président américain Barack Obama s’adresse aux ouvriers de l’usine Master Lock à Milwaukee, dans le Wisconsin, le 15 février 2012.(Staff: Scott Olson / 2012 Getty Images)

La croissance de l’emploi préconisée par les candidats aux présidentielles américaines est incompatible avec le niveau de vie élevé du pays. Dans son discours en janvier 2012 devant le Congrès, le président des États-Unis, Barack Obama, a prononcé le terme «industrie» huit fois. Par opposition, à son prédécesseur George W. Bush qui ne l’avait mentionné qu’une seule fois en huit ans dans ses discours devant le Congrès.

Dans ce coup d’envoi de la campagne présidentielle de 2012 pour sa réélection, M. Obama s’est adressé aux  électeurs affectés par le sort de l’économie, en ces termes: «En ce moment, nous avons une énorme opportunité, celle de ramener l’industrie américaine dans le pays» et il a ajouté «qu’un projet pour une économie durable repose sur une industrie américaine».

Ses paroles étaient attendues par un public américain nostalgique d’un temps pas très lointain, où les emplois de l’industrie garantissaient un revenu permettant à l’ouvrier américain de mener une vie convenable et de se situer dans la classe moyenne. Il avait donc la possibilité d’économiser pour s’acheter une maison, payer les frais de scolarité de son enfant et financer son temps libre pour jouer au golf ou aller à la pêche.

La perte de ce niveau de vie  résultant de la disparition de l’industrie manufacturière pèse sur les Américains. Une enquête menée en 2011 pour The Alliance for American Manufacturing démontre que pour  79% des électeurs potentiels de 2012, les États-Unis ont perdu trop d’emplois industriels. 32% à 62% des interrogés pensent qu’il est plus important de créer des emplois industriels plutôt que de réduire le déficit budgétaire fédéral. Et 86% d’entre eux sont en faveur d’une stratégie industrielle nationale afin de s’assurer que l’économie américaine, la fiscalité, le travail et la politique commerciale vont ensemble pouvoir soutenir la fabrication américaine.

Les défis de la fabrication américaine

Ainsi, le récent intérêt présidentiel pour l’industrie – il n’avait mentionné le mot qu’une seule fois lors de ses trois précédents discours devant le Congrès – va dans le sens des sentiments des électeurs et tient compte de la réalité. Les gros titres des quotidiens parlent d’entreprises américaines qui rapatrient des emplois en provenance de Chine et effectuent de nouvelles embauches pour des ressortissants américains. KEEN, une entreprise de conception et de fabrication de chaussures qui s’était implantée en Chine, vient de réinstaller sa production dans l’Oregon. Et Master Lock a ramené des emplois de Chine dans son usine de Milwaukee, dans le Wisconsin. Le pays semble connaître une renaissance industrielle.

Mais la réalité sous-jacente du retour des industries, l’impact de ces retours dans la reprise économique de l’Amérique n’augure pas que cela  puisse aider à la réélection du président sortant à l’automne prochain. L’industrie manufacturière affronte des défis graves, tels que décrits dans le récent rapport de McKinsey: l’évolution technologique qui crée de nouveaux emplois détruit ceux qui existent déjà, l’écart grandissant entre les compétences recherchées par les entreprises et les compétences réelles des employés et enfin la situation géographique des emplois et des lieux d’habitation des ouvriers, sont des problèmes qui existent.

Selon les dernières données du Bureau Américain des Analyses Économiques, l’économie américaine a progressé de 3% au quatrième trimestre 2011, après l’ajustement de l’inflation, comparativement au trimestre précédent. Il remarque une accélération de la reprise aux États-Unis, après la grande récession déclenchée par la crise financière de 2008.

L’industrie a été un facteur majeur de cette croissance. Sa contribution dans la croissance de 2010 était pratiquement le double de celle du secteur des services. L’industrie manufacturière représente actuellement 11% du PIB américain – elle était de 25% en 1947 – et elle a chuté progressivement depuis lors, connaissant une forte baisse au début des années 1990. Mais il y a des raisons de croire que ce pourcentage va augmenter dans les années à venir et c’est certainement l’espoir de l’administration Obama.

Les Etats-Unis sont l’économie la plus puissante du monde basée sur la fabrication. Sa production est de  21% de tous les produits manufacturés à l’échelle mondiale. La Chine suit avec 15%. Les industriels sont des acteurs majeurs de l’innovation et comptent pour plus des deux tiers de toutes les recherches et développements menés aux États-Unis. Et les employés des manufactures ont un salaire plus élevé et des avantages plus importants, soit un cinquième plus élevé que les américains qui occupent des emplois non manufacturiers.

Le secteur manufacturier est un atout essentiel à la réussite américaine sur le marché mondial. Les exportations de biens représentent les trois cinquièmes de toutes les ventes américaines à l’étranger. Le président Obama a promis de doubler les exportations américaines en 2014. La seule façon d’atteindre cet objectif ambitieux est d’accroître les exportations de produits manufacturés. Cela nécessite un renforcement du secteur industriel.

L’emploi manufacturier est maintenant à la hausse, avec en février, 11,9 millions d’Américains employés dans le secteur manufacturier, alors qu’ils étaient 11,5 millions en janvier 2010. Mais en janvier 2002, c’étaient quelque 15,6 millions de travailleurs américains qui exerçaient dans ce secteur, de sorte que la reprise possède encore de la marge. 

Niveau de vie

Certains analystes soutiennent que la reprise se trouve à portée de main. Un rapport de 2011 du Boston Consulting Group a conclu que d’ici à 2015, la fabrication dans certaines régions des États-Unis sera aussi économiquement viable que la production en Chine, ce qui augure une nouvelle ère pour la fabrication américaine. Des preuves anecdotiques d’une telle internalisation existent déjà.

Mais les détails clés du rapport du Boston Consulting Group vont plus loin. Il préconise que les futurs salaires industriels – et donc le niveau de vie des employés américains de l’industrie – deviendront équivalents à ceux qui existent actuellement dans les usines du sud du pays, la région la plus pauvre.

L’étude préconise aussi une flexibilité du travail comparable à celle des nouveaux embauchés dans les industries automobiles du pays. Cette flexibilité recommande que les nouveaux employés soient payés la moitié du salaire des anciens travailleurs. Cela signifie également que les nouveaux travailleurs de l’automobile gagneraient 17% de moins que ce que leurs analogues gagnaient en 1961, après ajustement de l’inflation.

Tout cela suggère que la reprise de l’industrie aux États-Unis dans l’avenir ne devrait pas être assimilée à une reprise du niveau de vie américain. Il peut y avoir plus d’industries mais les employés gagneront des rémunérations plus faibles qu’il y a dix ans. De plus, la reprise du secteur ne s’opère que dans quelques États.

Jusque-là, les salaires hebdomadaires dans l’industrie dans les États décisifs pour la bataille présidentielle sont en hausse. Cela devrait être une bonne nouvelle pour Barack Obama. Cependant, les salaires de l’industrie augmentent moins vite que les salaires hebdomadaires moyens dans sept des dix États clés. Ainsi, les ouvriers des usines perdent du terrain en termes de niveau de vie par rapport à leurs voisins.

Dans les dix États clés de l’élection présidentielle de 2012, tels que l’Ohio, la Pennsylvanie et la Floride, où les résultats sont susceptibles de déterminer les grands électeurs américains qui éliront le futur président, le nombre d’emplois manufacturiers est en hausse dans chacun d’eux, du troisième trimestre de 2010 au troisième trimestre de 2011. Mais dans seulement quatre de ces États, l’industrie de la fabrication croît plus vite que l’emploi global. Ainsi la fabrication, au lieu de s’accroître, est à la traîne dans la majorité d’entre eux.

Cette dure réalité pourrait expliquer pourquoi, malgré la récente  reprise de l’emploi dans le secteur de l’industrie manufacturière américaine et le nouvel intérêt de Barack Obama dans la promotion de cette résurgence, cela ne l’avantagera pas forcément pour l’élection d’automne prochain. Cette réalité peut aussi expliquer pourquoi selon les sondages les plus récents de l’opinion publique, dans le duel qui l’oppose à Mitt Romney, Barack Obama ne devance son adversaire, en tenant compte de la petite marge d’erreur, que dans seulement trois des dix États clés.

Donc, l’économie américaine se redresse et la fabrication en est la cause. Mais plus d’emplois et plus de croissance ne signifie pas automatiquement une élévation du niveau de vie des Américains. Ainsi, malgré la résurgence de la fabrication et la reprise des exportations des États-Unis  dont  Barack Obama a fait la pièce maîtresse de sa stratégie économique, sa course à la réélection n’est pas gagnée d’avance.

Bruce Stokes est correspondant à la German Marshall Fund des États-Unis. Copyright © 2012, Yale Center pour l’étude de la mondialisation, Université de Yale.