La zone euro en sursis, mais pour combien de temps?

Écrit par Jean-Pierre Lehmann, Epoch Times
26.07.2012
  • La gouvernance de l’Union européenne est devenue un véritable casse-tête. Peu d’Européens savent que le président de l’Union européenne s’appelle Hermann van Rompuy, et s’ils sont au courant, peu d’entre eux savent exactement ce qu’il fait, écrit Jean-Pierre Lehman. (Georges Gobet/AFP/GettyImages)

La crise de la zone euro rappelle qu’aucun leader n’offre de vision unie de l’Europe.

Après le sommet des chefs d’État européens, les gouvernements et les marchés de l’Union poussent un soupir de soulagement: la tempête est reportée, au moins jusqu’au prochain sommet. Depuis deux ans, ces moments de soulagements sont habituels, mais le répit temporaire.

La chancelière allemande Angela Merkel semble ne pas avoir tenu son rôle habituel de «Dame de fer». Selon la fameuse devise thatchérienne, «la dame n’est pas pour le changement». Les médias ont annoncé une défaite de l’Allemagne et une victoire de l’Italie et de l’Espagne.

Si – et c’est un grand ‘si’ – la zone euro pouvait émerger et devenir une entité inébranlable, crédible et solidaire, le sommet de juin 2012 pourra alors être considéré comme une étape au changement. Ce sommet a été le premier à dépasser les attentes – même faibles – plutôt qu’à ne pas du tout les toucher du doigt.

Pour le moment, un effondrement du système bancaire espagnol a pu être évité et une décision pour aider l’Italie a été prise. L’aspect le plus remarquable de ce sommet a certainement résidé dans son haut degré de consensus. Même s’il était plutôt ténu et hésitant, le sens de la solidarité a tout de même été perçu parmi les dirigeants politiques.

Mais la question sous-jacente du sommet était de savoir si, dans le futur, il existerait encore une Union européenne ou si elle deviendrait une simple agrégation hétéroclite d’États. L’Europe est à la croisée des chemins: résistera-t-elle ou non? Le 29 juin dernier, les leaders européens semblent avoir décidé qu’elle fera face.

L’Union semble se diriger vers plus d’intégration, de centralisation, de supervision et de contrôle. L’Europe forte devra se construire autour d’une gouvernance supranationale basée sur les intérêts collectifs plutôt que sur des souverainetés nationales fondées sur d’étroits avantages nationaux. Malgré la «défaite» de l’Allemagne lors du sommet, la manière d’envisager l’avenir se base sur les principes énoncés par le pays et soutenus par Berlin: discipline et austérité.

Aujourd’hui, les doutes sur la viabilité de l’euro sont davantage liés à la nature de «l’édifice euro» en lui-même. L’expérience de ces quatre dernières années a bien montré la fragilité des fondations: construire sur de frêles armatures rend l’édifice moins solide. 

L’expérience de la CEE

L’Histoire de l’euro contraste fortement avec celle des origines de la Communauté économique européenne. Les solides fondements de la CEE ont permis d’établir la «communauté européenne du charbon et de l’acier» en 1950, seulement cinq ans après la fin de la Seconde guerre mondiale.

Initié par la France et l’Allemagne, quatre États ont rejoint la communauté par la suite, formant les premiers membres de la CEE: l’Italie, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg. Au cours des années suivantes, la formation de l’Union européenne par le traité de Maastricht en 1992 a progressivement combiné idéalisme, état d’esprit visionnaire, leadership et pragmatisme.

La CEE a été bâtie sur du roc. Bien sûr, il y a eu certains challenges à dépasser, notamment suite à l’effondrement soudain du bloc soviétique et à la réunification allemande, mais la communauté a tenu bon et en est même ressortie plus forte. En 1950, le nombre de pays démocratiques européens était faible mais l’Europe actuelle représente un large territoire démocratique qui dépasse les frontières de l’Union européenne. 

Alors que l’Union européenne a sans doute été l’un des succès remarquables de la seconde moitié du XXe siècle, on peut douter de son adaptabilité et de sa viabilité au XXIe siècle. L’Union européenne semble avoir perdu son chemin en 2004, avec la proposition de promulguer une Constitution européenne.   

Malgré une forte pression des gouvernements européens, la Constitution restait impopulaire: elle a été rejetée par les citoyens lors des référendums de deux membres clés de l’Union, la France et les Pays-Bas. Mais l’Union européenne ne s’est pas découragée: face à leur  incapacité à gagner l’opinion publique pour une Europe plus intégrée par le biais d’une constitution, les leaders politiques ont souhaité promulguer un traité supposé rejoindre approximativement les mêmes objectifs que la Constitution. À ce moment-là, l’Europe était «déconnectée» de sa population. Le «déficit démocratique» s’est alors transformé en véritable gouffre.

Une gouvernance brouillée

La gouvernance de l’Union européenne est devenue un véritable casse-tête. Le traité qui remplace la Constitution nécessite un président européen. Aujourd’hui, cette personne existe. Cependant, peu d’Européens savent qu’il s’agit du Belge Hermann van Rompuy. Et s’ils sont au courant, peu d’entre eux savent exactement ce qu’il fait, qui plus est avec la présence du Portugais José Manuel Baroso, président de la Commission européenne.

Au plus fort de la crise, Angela Merkel et le président français Nicolas Sarkozy étaient sous les feux de la rampe avec leur fameux duo «Merkozy». Après la défaite de Sarkozy, Merkel était souvent seule ou en compagnie des leaders italiens et espagnols. Ni van Rompuy ni Baroso n’ont particulièrement été visibles. La question est donc: qui est aujourd’hui en charge de l’Union européenne?.

 

La leçon à tirer du fiasco de la constitution de 2004 était que les Européens souhaitaient non pas plus, mais moins d’Europe. Ils souhaitent une intégration plus lente, pas plus rapide. Jusqu’à aujourd’hui, la vox populi – ou voix du peuple – a été ignorée. Peu importe la volonté des leaders des États européens ou des eurocrates, le principal problème de l’Europe réside dans l’absence de solidarité entre les peuples. Il n’existe ni de véritables préoccupations, ni d’identité commune dans l’Union. Il existe des groupes européens, mais pas d’équipe européenne.

Pour le dire clairement, on n’y croit pas.

L’euro est un exemple flagrant de cas où l’on a mis la charrue avant les bœufs. Le premier pas aurait dû être la recherche d’une légitimité populaire. Au départ, l’euro était le bienvenu pour des raisons pratiques: la monnaie permettait aux Néerlandais de partir en vacances en Sardaigne et de ne pas se sentir escroqués au change avec la lire italienne. Mais, quelle qu’ait été la vision convaincante de l’euro, cela n’a jamais été communiqué. Le deuxième pas aurait dû consister en l’installation d’institutions politiques requises pour la création d’une union monétaire à la fois forte et souple. Ces institutions sont la charrue, l’euro les bœufs.

Le sommet a décidé, rétroactivement, de placer la charrue avant les bœufs. Cela peut-il être réalisable ? Certainement assez difficilement. Cela pourrait être possible mais seulement à travers un fort leadership et un large soutien populaire pour l’Union. Et c’est là le problème existentiel de l’euro et de l’Union européenne. Tout comme il n’existe pas de communauté européenne, le leadership européen est inexistant. Comme nous avons pu le constater, van Rompuy et Barroso sont quasi-inexistants. Par ailleurs, les autres dirigeants sont d’origine nationale – Français, Italiens, Allemands, Espagnols, Irlandais et d’autres. Ils défendent leurs intérêts nationaux sans réelle «vision commune» de l’Europe.

Au vu des circonstances actuelles et de la tendance, l’euro ne semble pas viable. En réalité, le sommet n’aura réussi qu’à repousser un peu le jour des comptes auxquels l’euro aura à faire face. La monnaie unique ne pourra survivre qu’avec une transformation profonde de la gouvernance européenne qui devra devenir forte, crédible, légitime et populaire.

Jean-Pierre Lehmann est professeur émérite à l’IMD (International Institute for Management Development) à Lausanne et agrégé supérieur du Fung Global Institute à Hong Kong. Copyright © 2012, Yale Center for the Study of Globalization, Yale University.

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