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La politique étrangère du Qatar est-elle tenable?

Écrit par Giorgio Gafiero, Epoch Times
25.07.2012
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  • Des anciens combattants talibans qui ont rejoint les forces gouvernementales afghanes le 31 mars. Les talibans ont annoncé cette année leur intention d’ouvrir un bureau politique au Qatar. (Aref Karimi/AFP/GettyImages)

Ces dernières années, le Qatar qui ne compte que 225.000 autochtones pour 1,7 million de travailleurs immigrés, a émergé comme un acteur influent de la région. L’Émir Hamad ben Khalifa Al Thani dirige le pays depuis 1995, à la suite d’un coup d’État sans effusion de sang qui lui a permis de remplacer son père au pouvoir. Depuis il mène une politique étrangère ambitieuse.  

La richesse de ses ressources naturelles, la propriété d’Al-Jazeera ainsi qu’un tissu d’alliances étrangères soigneusement construits ont permis à Doha, la capitale, de rayonner dans tout le Moyen-Orient.

La nature de la politique étrangère qatari fait l’objet de débat. Pour certains analystes, elle n’est influencée par aucune idéologie particulière, ses seules préoccupations étant d’ordre géopolitiques. Pour eux, Doha n’a pas de vision régionale et n’est guidée par aucune loyauté ou principe. Cependant pour d’autres analystes, la politique étrangère du petit pays est bien guidée par une forme d’idéologie islamiste sunnite qui cherche activement à renforcer ses membres dans le monde musulman.  

Il y a sûrement du vrai dans chacune des visions. Mais à mesure que le Qatar poursuit son exercice délicat d’équilibriste, il devient de plus en plus clair que les intérêts de Doha ne vont pas toujours s’aligner sur ceux de Washington. 

Des alliances à tour de bras

Avec une économie tractée par les exportations du pétrole et du gaz, le Qatar a un intérêt national vital dans le maintien de la stabilité dans le Golfe persique. Cette stabilité est nécessaire pour que les exportations voyagent par le détroit d’Ormuz afin d’atteindre les partenaires privilégiés du pays, à savoir le Japon, la Corée du Sud, l’Inde et Singapour. Compte tenue de la population qatari minuscule et de sa petite armée (la seconde plus petite armée du Moyen-Orient), Doha se repose en grande partie sur la coopération et l’assistance étrangère pour assurer la sécurité de ses intérêts.

Depuis la première guerre du Golfe, le Qatar est resté un proche allié militaire américain et il héberge encore aujourd’hui le siège du Commandement Central américain. Cependant, Doha entretient aussi des liens étroits avec Téhéran. En mars 2010, il a signé un accord de sécurité avec l’Iran «pour lutter contre le terrorisme et promouvoir la coopération de sécurité». En 2006, le Qatar était l’unique membre du Conseil de sécurité des Nations unies qui a voté contre la résolution 1696 du Conseil qui condamnait l’Iran pour ses activités nucléaires.

Si les relations entre le Qatar et son unique voisin limitrophe, l’Arabie saoudite, ont été troubles pendant des décennies, les initiatives diplomatiques de 2007 et 2008 ont permis un rapprochement des deux pays. Et avant la répression de Bachar al-Assad en Syrie, il entretenait avec la Syrie de solides liens politiques et économiques. Même si les Qatari et Israël n’ont jamais noué de relations diplomatiques officielles, l’État hébreux disposait d’un centre commercial à Doha avant l’opération « Plomb Durci » de 2008-2009. En outre les liens commerciaux avec Israël n’ont pas empêché le Qatar de développer des relations amicales avec le Hamas et les différentes factions libanaises, dont le Hezbollah.

Le délicat numéro d’équilibriste joué par le Qatar et sa richesse abondante ont permis à ses dirigeants de présenter leur pays comme un défenseur légitime et impartial de la paix, qui dispose de moyens nécessaires pour financer de vastes négociations pacifiques. En 2006, les dirigeants qataris ont commencé à arbitrer les pourparlers entre les factions palestiniennes qui se faisaient la guerre à Gaza, suite aux élections parlementaires de 2006. Leur plus grand succès diplomatique est la supervision des négociations de Doha qui ont mis fin aux violences entre le Hezbollah et les autres factions libanaises, peu après l’explosion des violences sectaires qui avaient embrasé tout le Liban au début 2008.  

Pourtant, plusieurs analystes dont Barak Barfi et Blake Houshell pensent que la politique étrangère du Qatar n’est pas durable en raison des limites inhérentes à la superficie du pays et aux réalités politiques de la région. Les amitiés de Doha avec Téhéran et d’autres pays restent une épine dans les relations avec l’Arabie saoudite et les autres États du Conseil de Coopération du Golfe, ainsi qu’avec les États-Unis. Pour mémoire, en 2009 le sénateur John Kerry avertissait le pays en ces termes: «Le Qatar ne peut pas continuer à être l’allié américain le lundi et envoyer de l’argent au Hamas le mardi».

De même, le soutien du Qatar à l’opposition syrienne et ses efforts pour isoler et affaiblir le régime d’Assad ont tendu ses relations avec l’Iran. Certains développements, comme un mécontentement des États-Unis  au sujet des sites nucléaires iraniens ou le débordement de la violence syrienne dans d’autres États pourraient obliger le Qatar à choisir un camps.

Al-Jazeera, source d’information indépendante ou arme qatarie?

Puisque les gouvernements arabes ont traditionnellement eu la main lourde dans leur censure des médias et que ces derniers connaissent une pénurie d’indépendance, les populations arabes ont développé un grand cynisme lorsque l’on parle de sources d’information. Toutefois, depuis le lancement d’Al-Jazeera en 1996 par le gouvernement du Qatar, la chaîne satellitaire est devenue une source d’information fiable pour des millions d’Arabes.

Même si Al-Jazeera fait rarement dans une couverture défavorable à Doha, les émissions critiques de la chaîne sur l’étranger ont souvent sévèrement ébranlé les régimes autoritaires. Comme le fait remarquer le professeur Ahmed E. Souaiaia de l’Université de l’Iowa, ces dernières années, «les gouvernements tunisien, marocain, égyptien, libyen et syrien ont tous fermé les bureaux locaux d’Al-Jazeera en réaction à ce qu’ils considéraient comme des reportages ‘diffamatoires’, ‘calomnieux’ et ‘toxiques’». L’hostilité des régimes arabes envers Al-Jazeera n’a fait qu’augmenter sa popularité auprès des masses arabes.

Cependant, certains accusent Al-Jazeera d’agir au nom des intérêts du Qatar plutôt que de procéder de manière strictement journalistique. Lynch note, par exemple, que les officiels égyptiens ont raillé avec ferveur « la vendetta qatarie contre Mubarak ». Et, en des termes qui suscitent la controverse, il ajoute: «Il est fort probable que le succès d’Al-Jazeera en Égypte ait atteint les oreilles de ses créateurs et que la famille royale qatarie ait commencé à envisager cette chaîne comme une arme politique régionale plutôt que de continuer à l’envisager comme le symbole d’indépendance qui est sa marque de fabrique depuis longtemps».

Vraie démocratie ou impérialisme qatar?

Lorsque les soulèvements anti-Kadhafi ont débuté au Liban, le Qatar a été le premier pays arabe à approuver une intervention militaire étrangère et à accorder aux rebelles une légitimité politique. Le Qatar a soutenu l’OTAN et lui a fourni une couverture politique alors qu’il commençait sa campagne militaire contre Mouammar Kadhafi en mars 2011. Doha a également envoyé six mirages au combat et a formé les rebelles libyens au Qatar.

Une situation similaire semble se jouer en Syrie. Lorsque la chaîne CBS a demandé à l’émir du Qatar s’il serait favorable à une intervention arabe en Syrie, il a répondu: «Je pense que dans une telle situation, il faut arrêter le massacre, les troupes devraient arrêter le massacre». Le Qatar a joué un rôle majeur dans la décision de la Ligue arabe d’exclure la Syrie en novembre 2011.

La motivation réelle de Doha derrière son soutien à une intervention militaire en Lybie et en Syrie est complexe. Les observateurs ont des divergences d’opinions concernant l’agenda politique qatari. Certains donnent un peu de crédit au régime en lui supposant un « agenda humanitaire », alors que d’autres le perçoivent comme une campagne pour étendre le Wahhabisme. En effet, le soutien du Qatar aux islamistes sunnites en Lybie, Tunisie et en Syrie, pendant et après leurs luttes contre le régime laïque, suggèrent que le Qatar cherche à former une alliance idéologique avec de nouvelles forces au Moyen-Orient. Mais il est difficile de savoir si le soutien du Qatar pour ces factions est conduit par une fidélité à l’idéologie islamiste ou s’il s’agit simplement d’une action opportuniste.

Le challenge de Doha

Plusieurs facteurs mettront au défi la durabilité de la politique étrangère de Doha.

L’impartialité et la neutralité du Qatar au sein de la tourmente de la région a mis en avant son image de partisan de la paix. Mais Doha se créera inévitablement des ennemis si elle continue à prendre part dans les guerres civiles étrangères. En effet, au cours des mois derniers, des rapports ont montré que le gouvernement syrien a mené une guerre informatique contre le Qatar en représailles à son soutien aux rebelles syriens. 

De plus, les tensions géopolitiques dans la région condamneront le Qatar à s’aligner d’un côté ou de l’autre. Jusque-là, le Qatar avait toujours su gérer les conflits d’intérêts des grands États en ne se créant aucun ennemi. Toutefois, cet exercice d’équilibre délicat peut devenir ingérable dans certaines circonstances, comme une confrontation militaire dans le golfe Persique entre les États-Unis et l’Iran par exemple.

Au final, l’engagement répété du Qatar pour la diffusion de la démocratie, de la liberté et de la dignité dans le monde arabe rend dubitatif, et pour de bonnes raisons. Le Qatar est un émirat, soit un régime non élu du peuple. La position de chef d’État et du gouvernement est héréditaire. Les autorités comme Amnesty International, Human Rights Watch et Freedom House y ont relevé une haute censure avec la présence de rares media indépendants et un système judiciaire discriminatoire.

Malgré tout, beaucoup soutiennent que le Qatar tente de remodeler son image en mettant en avant la démocratie et la modernité du pays.

Cependant, la volonté du Qatar de développer des relations amicales  avec des pays et des acteurs qui souhaitent affaiblir l’hégémonie des États-Unis – comme les factions islamistes du Maghreb – montrent que les intérêts du Qatar ne s’aligneront pas toujours avec ceux de Washington.

Néanmoins, jamais deux pays n’ont eu autant d’intérêts en commun. Et si l’hégémonie des États-Unis dans la région décline dans le futur, il est naturel pour d’autres pays, tels le Qatar, de tenter de combler le vide. En faisant cela, Doha sera moins sous pression pour s’aligner à l’agenda politique d’une superpuissance en déclin lorsqu’elle ne sert pas ses intérêts nationaux.

 

 

 

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